Le château maudit Jean Valhardi Eddy Paape

Une BD Culte est une BD un peu mythique, presqu’oubliée, mais dont tous les amateurs forcenés de l’histoire du 9ème art parlent comme on parlerait d’un Atlantide de 44 planches.
Se reporter à l’âge d’or de la bande dessinée est tout indiqué pour trouver ce type de trésor, recherché et toujours adoré par les purs spécialistes, mais désormais un peu boudé du grand public.

Par Mathieu Depit

À cet effet, Le Château Maudit est un bon exemple d’album ayant marqué la bédésphère de l’époque, mais dont l’aura n’est aujourd’hui plus la même.
Le Château Maudit est une aventure du célèbre Jean Valhardi. Ce personnage, apparu en 1941 dans Le Journal de Spirou de la plume de Jean Doisy et des pinceaux de Jijé, a d’emblée été populaire chez les lecteurs. Caricature du héros valeureux et hardi (comme son nom l’indique), le personnage, amateur de camping, de scoutisme et disposant d’une poigne de fer, parcourt le monde pour les besoins de son employeur, une compagnie d’assurances pour laquelle il est enquêteur. Parti pour les USA en 1946, Jijé abandonne son personnage, repris par Eddy Paape. Celui-ci, peu apprécié de Charles Dupuis, continue de faire évoluer Valhardi, tout d’abord sur des scénarios de Delporte, avant de rencontrer en 1951 un jeune scénariste de 27 ans qui vient de connaitre le succès avec Buck Danny : Jean-Michel Charlier. Celui-ci vient tout juste d’abandonner le dessin et s’apprête à devenir le raconteur d’histoire que tous les fans de BD connaissent. Pour l’heure, le scénariste, qui a besoin d’être ultra prolifique pour gagner sa vie, propose à Paape le scénario de ce qui s’appelle encore Jean Valhardi contre le Monstre. Cette aventure entraine le héros et son ami le trouillard Arsène, au château de Malicorne où vit Smith, qui a souscrit une assurance vie de 20 millions chez l’employeur de Valhardi. Or, un terrifiant monstre hante la région de Malicorne et pourrait s’en prendre à Smith…

case Château maudit Valhardi Eddy Paape
Une case du Château maudit, scénario de Jean-Michel Charlier et dessins d’Eddy Paape.

Cette aventure, prépubliée dans Le Journal de Spirou entre octobre 1951 et juillet 1952, marque l’histoire de la BD à plus d’un titre. Elle est, à l’époque, alors profondément moderne. Construite comme une sorte de huis clos, c’est une histoire d’atmosphères au climat particulièrement inquiétant. Sans jamais rien montrer et tout en suggestion, Charlier utilise toutes les ficelles de la littérature d’épouvante – grosse bâtisse perdue dans une campagne peu hospitalière, nuit brumeuse, monstre qui rode, vieux cimetière aux croix penchées – en y ajoutant un héros sans peur et une intrigue qui s’avérera ultra cartésienne au final. A l’instar de Jacobs et de sa fameuse Marque Jaune, publiée 2 ans plus tard, le scénariste utilise nombre de sources littéraires – notamment Conan Doyle et son Chien des Baskerville – et cinématographique, comme le néoréalisme de Fritz Lang ou les classiques d’épouvante, tel Les Chasses du Comte Zaroff.
Paape accompagne l’histoire de formidable manière. Avec son style réaliste clair rappelant Hubinon, il représente le brouillard, les ombres, la noirceur et les décors d’une campagne mortifiée donnant des frissons aux lecteurs, sans jamais représenter d’images choquantes ou gore. Les couleurs, tantôt bleues nuit, noires ou grises, renforcent l’atmosphère de la bande dessinée et lui donnent un aspect fantastique du plus bel effet, qui marquera l’imaginaire des lecteurs des 50’s.

Couverture du Château maudit Valhardi Eddy Paape
Couverture du Château maudit, par Jean-Michel Charlier et Eddy Paape.

L’album parait en décembre 1953 sous son titre final, Le Château Maudit. Sa couverture montrant un Valhardi en imperméable, l’air froid et déterminé, sur fond de château inquiétant dominé par une Lune blafarde, résume parfaitement l’histoire, plébiscitée par les lecteurs du Journal de Spirou. En plus de la modernité de son histoire, Le Château Maudit est particulièrement important, car il s’agit du premier album d’Eddy Paape. Il sera tiré à 50 000 exemplaires.
Ajoutons aussi que, en plus du reste, la forme de cette bande dessinée est, elle aussi, résolument moderne, puisqu’il s’agit d’un ouvrage de 44 planches, l’un des premiers de l’histoire de la BD. Le Château Maudit mérite bien son statut de culte !