
On trouve de tout dans les boîtes à livres. Des vieilleries surtout qui ne demandent qu’à reposer en paix. Mais parfois, aussi, des pépites. Cette rubrique vous propose de jeter un coup d’œil sur ces bouquins abandonnés et glanés au hasard de déambulations livresques.
Par Yves-Daniel Crouzet (retrouvez-le sur Facebook !)
Jungle pulp
[Boîte à livres de Paris (5ème)]
Retrouver Tarzan, c’est retrouver un vieil ami. De ceux qui ont bercé votre enfance à la télévision, en bandes dessinées, puis en romans. Ah, le plaisir de dénicher dans les années 70 et 80, chez les bouquinistes, les aventures de l’homme singe parues aux éditions N°1 ! Tarzan et la citée d’Opar, Tarzan et les croisés, Tarzan et les hommes-fourmis, Tarzan et l’empire romain, Tarzan et Pellucidar (un des premiers crossovers de la littérature de l’imaginaire, je gage), Tarzan dans la préhistoire, et j’en passe. L’aventure avec un grand A. Un héros sauvage aux allures de demi-dieu, un continent mystérieux plein de dangers, des civilisations (presque) disparues, de l’exotisme, de l’érotisme soft…

On le sait Edgar Rice Burroughs est un père fondateur (comme un Robert E. Howard, un Dunsany, un Lovecraft !). Il a créé des univers délirants à la confluence du western, de la science-fiction et de la fantasy. Il a inspiré tous les écrivains de SFFF de la première moitié du 20ème siècle et même bien après. Mais qu’est-ce que ça vaut aujourd’hui ?
Eh bien, j’ai une nouvelle fois été agréablement surpris. Tarzan l’invincible n’est pas le meilleur Tarzan. C’est un Tarzan mineur estampillé « aventures dans la jungle ». La cité mythique d’Opar avec ces hommes-bêtes et ses sublimes prêtresses, apparaît trop peu à mon goût. « La » est là (seuls les connaisseurs comprendront, mais lisez donc l’extrait ci-dessus !), mais elle n’est qu’une silhouette découpée dans du papier pulp, que l’auteur promène d’un point de la jungle à un autre. Bien sûr, on retrouve tous les ingrédients d’un Tarzan : des méchants avides d’or, des traîtres prévisibles, de belles femmes en détresse, des Noirs superstitieux, des Arabes fourbes et concupiscents, des Blancs courageux et… Quoi ? Je choque, là ? Stop ! Attendez ! Je vous rappelle qu’il s’agit ici d’un roman paru en feuilleton en 1930 et 1931 dans les pages d’un pulp magazine américain, The Blue Book Magazine. Presque cent ans ! Le monde était alors radicalement différent. Il s’en est passé des choses depuis et pas que des mauvaises, notamment en matière de reconnaissance de l’altérité (oui, je sais, il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine). Mais je m’éloigne de mon sujet. Car le sujet ici, c’est Tarzan, une sympathique série B, écrite pour faire rêver les masses laborieuses (remember : on est alors en pleine récession à cause du krach boursier américain de 1929.)

Tarzan l’invincible fait le job comme on dit, avec sa succession de coups de théâtre, d’action, de suspense et de grands sentiments. C’est plutôt bien écrit, mieux selon moi que beaucoup de romans de SFFF. ERB (pour les intimes) égratigne au passage les méchants communistes (classique, ça !), mais aussi les vilains exploiteurs capitalistes. Tout le monde en prend pour son grade. Burroughs, humaniste ?
Quant à Tarzan, il représente la quintessence de l’Homme et ce vers quoi il devrait tendre : droiture, courage, noblesse, désintéressement, générosité et bien sûr les aptitudes physiques et intellectuelles nécessaires pour vivre avec un tel fardeau ! Tarzan précurseur des apôtres du développement personnel ? Allez savoir !

Il y a une chose qui m’a toujours émerveillé dans les aventures de Tarzan : c’est l’exiguïté de cette jungle que Burroughs nous décrit pourtant comme immense et impénétrable. On n’arrête pas, en effet, de s’y perdre, de s’y croiser et de s’y retrouver aussi sûrement que sur la place d’un petit village un jour de marché. Bah, c’est aussi ça qui fait le charme de Tarzan l’inoxydable !

Pour lire la chronique précédente : Le Petit Prince – Antoine de Saint-Exupéry.