L'homme noir Robert E. Howard critique

On trouve de tout dans les boîtes à livres. Des vieilleries surtout qui ne demandent qu’à reposer en paix. Mais parfois, aussi, des pépites. Cette rubrique vous propose de jeter un coup d’œil sur ces bouquins abandonnés et glanés au hasard de déambulations livresques.

Par Yves-Daniel Crouzet (retrouvez-le sur Facebook !)

L’aventure, la folie, la violence

[Boîte à livres du Prège]

Quelle claque ! Ou plutôt devrais-je dire quelles claques puisque j’ai lu à de nombreuses reprises ce petit livre au fil des années. Et toujours avec le même émerveillement !
L’Homme noir est le premier recueil de nouvelles fantastiques de Robert E. Howard paru en France (hors Conan). Quel recueil ! Quelle découverte pour moi, à l’époque ! Il précédait de quelques encablures le – encore meilleur – Pacte noir publié aux regrettées Nouvelles Editions Oswald (NEO).
Je me souviens encore de ma première lecture. J’avais déniché ce livre et son inquiétante couverture chez un bouquiniste de Saint-Étienne. Bien sûr, je savais que Robert E. Howard était le créateur de Conan, Conan le Cimmérien ou Conan le Barbare pour la postérité, dont les aventures dessinées par Barry Smith (il n’avait pas encore ajouté Windsor à son nom), puis « Big » John Buscema, sous scénarios de Roy Thomas, enchantaient mes heures perdues d’adolescent (et j’en avais beaucoup !). Je ne pouvais donc pas passer à côté !

Robert E. Howard L'Homme noir extrait
L’Homme noir, extrait de la page 230

C’est ainsi que Robert Erwin Howard (REH pour les intimes), le père fondateur de l’Heroic Fantasy, est devenu un de mes auteurs favoris. Quel magnifique premier contact ! Quel bonheur de lecture ! D’abord celui de retrouver les textes originaux que Roy Thomas avait très habilement transformés en aventures de Conan pour son comic. Trois au total : L’homme noir, avec Gil Kane au dessin (et, excusez du peu, Neal Adams à l’encrage !), Les Dieux de Bal-Sagoth, toujours de Gil Kane, et Le jardin de la peur, de Barry Smith. Place, ensuite, à des textes d’inspiration lovecraftienne comme Ne me creusez pas de tombe (également adapté en comic par Roy Thomas et Gil Kane), La chose ailée sur le toit (adapté par Roy Thomas et Frank Brunner) et Les enfants de la nuit. Et pour terminer ce florilège infernal, un texte plus anecdotique, Dans la forêt de Villefère, et, surtout, une nouvelle qui, elle, ne l’est pas, Les pigeons de l’enfer, chef-d’œuvre d’épouvante et de violence. Soit huit nouvelles pour 254 pages.

Robert E. Howard L'Homme noir extrait
L’Homme noir, extrait de la page 58.

Par où commencer ? Tout est très bon ou presque dans ce recueil. De mon point de vue les trois plus faibles sont Dans la forêt de Villefère, courte histoire de lycanthropie trop classique, La chose ailée sur le toit histoire, banale (mais efficace) de malédiction, et Les enfants de la nuit, histoire de haine raciale séculaire difficilement lisible aujourd’hui. Mais les autres ! Bon sang, Les pigeons de l’enfer ! Je crois (que dis-je, je suis sûr !) que c’est après l’avoir lue, adolescent, que j’ai développé une haine tenace pour ces volatiles. Un texte écrit dans les années 30 d’une tension incroyable et d’une violence insensée. Robert E. Howard nous livre un récit de maison hantée avec mort-vivant, vaudou, vengeance et vilain démon. Toute la matière est là pour un film d’horreur pour teenagers. On pourrait même dire que Les pigeons de l’enfer en jette les bases. Ça tombe bien puisque le texte a été adapté pour la télévision dans les années 60 (pas vu, mais nécessairement décevant). Au passage, il est amusant de noter que le héros, tétanisé par l’horreur, vient de Nouvelle-Angleterre et que le shérif courageux et déterminé qui lui vient en aide est, quant à lui, du Sud. Difficile de ne pas y voir un petit coup de griffe du Texan à l’égard d’Howard Phillips Lovecraft, originaire de Providence, et, au-delà, une nouvelle expression du mépris de REH à l’égard de la civilisation. Sacré Two-Gun Bob (surnom donné à REH par HPL) !

Robert E. Howard L'Homme noir extrait
L’Homme noir, extrait de la page 201.

Parlerai-je de Le jardin de la peur ? Un récit magnifique rempli de scènes saisissantes mettant en scène un barbare (comme par hasard !) et le dernier survivant d’une civilisation disparue. Ah ! la charge des mammouths poussés par le feu contre la tour maléfique ! Ah ! la créature ailée volant au-dessus de celle-ci en menaçant de jeter en pâture à des fleurs carnivores affamées la bien-aimée de Conan – pardon, de Hunwulf. Eh oui, les sublimes images de Barry Smith se superposent à celles issues de mon imagination.
Même chose pour L’homme noir et Les dieux de Bal-Sagoth. Impossible d’oublier les dessins de Gil Kane. Mais la lecture n’en est pas gâchée pour autant. Ces deux aventures de Turlogh Dubh sont les sommets de ce recueil. De purs joyaux. Tout y est : l’aventure, la folie, la violence, le lyrisme. Je n’ai pas peur de dire que les aventures de Turlogh le Noir sont meilleures que celles de Conan (et pourtant, Dieu sait si je porte une véritable vénération au personnage). Jamais Howard n’a écrit les exploits du Cimmérien avec une telle intensité, une telle puissance évocatrice. Est-ce parce que les aventures de Turlogh se déroulent dans le monde réel ? Celui des Gaëls, des Vikings et des Saxons. Qu’on y évoque l’Angleterre, la France, l’Espagne et Byzance. Dans L’homme noir, l’élément fantastique est d’ailleurs très ténu. Une étrange statue dont le poids varie selon qu’elle est soulevée par un ami ou par un ennemi, l’évocation d’un passé mythique faisant référence au roi Kull de Valusie et à son fidèle Brule, le Tueur à la Lance, à Bran Mac Morn, le dernier roi picte (tous autres personnages de Robert E. Howard). Howard nous plonge dans une époque violente et tourmentée. Son héros est un hors-la-loi banni du clan O’Brien. C’est l’archétype du héros howardien, mais avec un petit truc en plus : l’humanité. Il hait les Vikings qui répandent la mort et la désolation sur leur passage, qui violent et qui pillent par seul goût du sang. C’est une dimension qu’on ne retrouve pas chez Conan et les autres personnages de REH. Ou alors seulement dans Au-delà de la rivière noire, une aventure qui est, ni plus ni moins, la transposition d’un récit de cow-boys et d’indiens dans l’ère hyborienne, donc en quelque sorte un récit historique aussi.

Robert E. Howard L'Homme noir extrait
L’Homme noir, extrait de la page 43.

La préface et la traduction sont assurées par François Truchaud. Que cet homme soit béni pour avoir fait découvrir REH en France et m’avoir fait rêver pendant des années grâce aux recueils parus sous sa direction chez NEO. Attention toutefois, amis lecteurs : tout REH n’est pas de cette belle eau. Il a commis des textes franchement mauvais (les Steve Harrison, Steve Costigan et autres Dennis Dorgan, notamment), que Truchaud et les éditions NEO nous proposaient pour surfer sur le succès des précédents volumes. Si vous ne connaissez pas le Robert E. Howard fantastique, lisez Le pacte noir et L’homme noir, c’est la quintessence de son œuvre. On les trouve chez tous bons bouquinistes dans diverses éditions. Ensuite, si comme moi vous devenez accro, lisez Vulméa le pirate noir, Sonya la Rouge, Kull le roi barbare, Bran Mak Morn, El Borak, et bien sûr Conan. Le reste, c’est du bonus, des fragments de bonheur, de la poussière de rêve. ‘Nuff said !

Robert E. Howard L'Homme noir couverture
L’Homme noir, Robert E. Howard (recueil posthume 1963), Le Masque Fantastique (1976)

Pour lire la chronique précédente : Tarzan l’invincible – Edgar Rice Burroughs