Arcane, le pouvoir des femmes ?

Une série qui détrône Game of Thrones (rien que ça)

Qualifiée déjà de meilleure série de tous les temps, Arcane est devenue en quelques semaines un phénomène sur la plateforme Netflix puisqu’entre le 15 et le 21 novembre 2021 elle compte, à l’échelle mondiale, plus de 38 millions d’heures de visionnage. Que ce soit en France sur le site officiel d’AlloCiné [1] et à l’international sur IMDb (Internet Movie Database) [2] ou Metacritic [3], les spectateurs et la critique placent Arcane devant Game of Thrones, tout en haut du podium. Alors ce succès est-il surfait ? Pourquoi tant d’engouement ? Sur ce point, je pense qu’il y a déjà eu assez de billets chantant les louanges de la série.

Vi, Jynx, les personnages d'Arcane
Affiche officielle de la série Netflix.

Parmi ce palmarès des raisons qui ont fait le succès de cette production « made in France », il en est une qui m’intéresse particulièrement  : ses personnages fouillés. C’est en persévérant dans l’analyse de ces derniers que me sont apparues certaines dialectiques intéressantes à mettre en lumière, surtout passés l’éblouissement et le fanatisme des premiers visionnages.

D’aucun ne pourrait remettre en question la qualité et la beauté des images réalisées par le studio français Fortiche. Quant au scénario, malgré quelques moments cousus de fil blanc, il est assez haletant pour nous inciter au binge watching. Bien sûr, il ne faut pas oublier que le matériau originel est celui tiré du jeu vidéo League of Legends et donc que les contraintes scénaristiques existaient déjà préalablement à la série Arcane.

Mais avant toute chose, revenons sur le studio français Fortiche, pour une fois qu’on a une production française qui cartonne dans le monde entier, ce serait bête de se priver du « cocorico ».

Les studio Fortiche

Cette société française de création, d’animation et de production, basée à Paris mais aussi à Montpellier et en Espagne à Las Palmas, est encore jeune puisqu’elle a été créée seulement en 2009 – en même temps que le jeu vidéo, coïncidence, je ne crois pas – par Jérôme Combe, Arnaud Delord et Pascal Charrue. En moins de quelques semaines ce studio, peu connu à l’origine, a été propulsé sur le devant de la scène grâce au phénomène « arcanien ». On reconnaît en eux une patte visuelle et artistique forte, presque cinématographique, tant les plans sont travaillés avec des plongées et des contre-plongées, des plans serrés et des plans larges mais aussi et surtout un mix singulier entre la 2D et la 3D. 

Ce qui a aussi beaucoup frappé c’est l’irruption, au XXIe siècle, d’un retour aux formes traditionnelles du dessin : la proportion des corps est par exemple parfaitement préservée contrairement aux personnages Disney actuels qui ont des yeux démesurés par rapport au reste du visage. Ce qui fait enfin leur force c’est bien sûr cette importance donnée aux détails, comme le mouvement des cheveux, les dégradés de couleur ou les plans de la ville toujours très minutieux… En même temps il aura fallu pas moins de six années pour arriver à ce résultat ! Il n’y a pas de doute, Fortiche production a de beaux jours devant elle grâce à Riot Games, l’entreprise américaine d’édition et de développement des jeux vidéo.

Le street art dans Arcane (Zaun)
Photogramme tiré de l’épisode 5. Vi est de retour dans les bas-fonds de Zaun où le street art s’épanouit…

Le monde prolifique de League of Legends

Adepte du jeu depuis maintenant un an, ce qui m’a tout de suite attirée vers League of Legends [4], produit par Riot Games, c’est bien son univers fantasy, extrêmement abouti et réfléchi. En découvrant chaque champion, on découvre une histoire, une légende. Bientôt les pièces du puzzle s’emboîtent et c’est tout un monde, celui de Runeterra [5], qui s’offre à nous, joueur mais aussi lecteur. Au sein de cet univers, il y a treize régions dont font partie Piltover et Zaun, lieux où se déroulent la série. Et de ces treize régions, sont issus pas moins de 157 champions ou personnages. Nous avons ainsi douze champions tirés des bas-fonds de Zaun et huit champions venant de la Cité du Progrès, Piltover.

champions de Piltover et Zaun
Petit récap visuel de tous les champions issus des régions de Piltover et Zaun.

C’est une vaste toile d’araignée qui est tissée entre chaque protagoniste de toutes les régions. Les guerres font rage, les royaumes s’écroulent ou au contraire s’érigent tandis que la magie, toujours plus puissante, accompagne le récit particulier de chacun des champions. Quelques comics reprenant la légende de certains ont été publiés, de nombreuses nouvelles sont mises en ligne régulièrement sur le site officiel, mais rien qui n’ait rencontré le succès aussi fulgurant et retentissant de la série Arcane.

Le résumé rapide d’Arcane

Le but n’étant pas de divulgâcher toute l’histoire, je vous dirai seulement que nous avons comme trame de fond une lutte des classes sociales entre les riches qui habitent la partie supérieure de la cité de Piltover et les pauvres qui survivent dans les bas-fonds véreux et sordides constituant la partie inférieure de la ville et appelée Zaun.

La série se découpe en trois actes – comme le schéma classique des pièces de théâtre – composés chacun de trois épisodes. Les trois premiers épisodes se déroulent alors que Jinx, alias Powder, et Vi, les deux personnages principaux qui sont par ailleurs sœurs, sont encore enfants. À partir du quatrième épisode, nous suivons la trajectoire des deux jeunes femmes qui ont été séparées depuis plus de dix ans et qui luttent chacune contre leurs démons… Se retrouveront-elles ? Jusqu’à quel point auront-elles changé ? Je vous laisse le découvrir par vous-mêmes.

Les hommes dans Arcane : une brève analyse

Avant même de nous pencher sur les personnages féminins, sujet même de notre article, j’aimerais évoquer très rapidement le rôle de deux personnages masculins dans la série, à savoir, Vander et Silco, qui n’existent d’ailleurs que dans Arcane (pour le moment).

Vander

Ce dernier a recueilli les deux sœurs orphelines et les a élevées comme ses propres filles. L’origine de cette adoption n’est que très rapidement évoquée dans la série, toutefois on comprend que la mort de leurs parents a sûrement un rapport avec une répression organisée par les dignitaires de Piltover. Quoi qu’il en soit il les aime comme un père et à leur contact il semblerait que le dur à cuire qu’il ait été auparavant se soit évanoui. Il est prêt à tout pour les protéger, pactiser avec la haute comme avec le diable, jusqu’au sacrifice ultime. En somme, il a tout d’un bon père, lui… 

Vander récupère Vi et Powder
Photogramme tiré du premier épisode de la série. Vander récupère Vi et Powder après la mort de leurs parents.

Silco

Lui, c’est le père adoptif numéro 2, mais de Jinx seulement. Il devient son mentor, son protecteur, son gardien, bref il devient son monde après que tout s’est écroulé pour elle. À certains égards, leur relation m’a parue bien ambiguë : ils ont en effet des gestes l’un envers l’autre qu’on imagine difficilement entre un père et sa fille, je vous laisse en juger ne serait-ce qu’en voyant le photogramme ci-dessous.

Silco et Jynx, relation ambiguë
Photogramme tiré de l’épisode 4. Jinx joue les infirmières tandis qu’elle s’apprête à inoculer du Shimmer dans l’œil de Silco.

Outre cette tension incestueuse, ce qui dérange le plus c’est que Silco acquiert justement sa part d’humanité grâce et par cette relation fusionnelle qu’il entretient avec Jinx. Dès lors, il serait désagréable d’envisager que la seule chose qui ne fasse pas tomber son personnage dans l’archétype du bad guy soit son attirance sexuelle pour sa fille adoptive. *Gloups*

On l’aura compris, Silco n’est pas vraiment le père idéal, du moins au niveau de la morale on a vu mieux. Ce dernier est notamment devenu en quelques années un despote des bas-fonds qui exploite sans vergogne la misère et la détresse des jeunes pour en faire des soldats d’élite bourrés au Shimmer, un produit chimique qui décuple les forces mais rend aussi terriblement dépendant.

Debunkage d’une série qui aurait pu être féministe

Elles sont les protagonistes principaux d’Arcane : Vi et Jinx, deux jeunes filles qui deviendront deux jeunes femmes au caractère bien trempé. Autour d’elles gravite une ribambelle de femmes toutes plus intéressantes à étudier les unes que les autres. Grand dieu ! Aurions-nous une série, tirée d’un jeu vidéo, qui soit féministe ? Où les femmes ne sont pas seulement de grosses badass guerrières avec une poitrine généreuse et un minimum syndical de vêtements ? 

De prime abord, il semblerait en effet qu’Arcane ait pris du large par rapport au point de vue un tantinet masculiniste du jeu vidéo pour embrasser une vision nouvelle de la féminité. Malheureusement, c’est ce que les producteurs et scénaristes, masculins, ont bien voulu nous faire croire … Je vous vois monter sur vos grands chevaux, vous avez peur d’un énième discours polémique sur une série que vous avez, comme moi, adorée. Rassurez-vous, mon but n’est pas de crier au scandale mais simplement d’analyser en profondeur des personnages dont on a l’impression qu’ils sont originaux et modernes, alors qu’ils ne sont en réalité qu’un patchwork de poncifs faussement féministes et engagés.

Vi, la guerrière indépendante dite la « cogne de Piltover »

Vi et Caitlyn, relation ambiguë
Photogramme tiré de l’épisode 5, lorsque Vi et Caitlyn se retrouvent dans une maison close pour enquêter.

Même jeune, elle est indépendante, fougueuse voire colérique. À la tête de sa joyeuse bande d’amis dont fait partie sa petite sœur Powder, Vi est la protégée du maître de Zaun, Vander. Cet ancien malfrat, reconverti en père adoptif et chef de clan, lui a tout enseigné, l’art du combat comme l’art de la diplomatie (cette partie-là n’a pas dû être bien intégrée apparemment !). Elle est fière, peut-être même un peu trop, mais a de nobles aspirations notamment redonner force et dignité au peuple de Zaun. Malheureusement les événements vont petit à petit faire de cette jeune enfant idéaliste, une femme assoiffée de vengeance et pleine d’amertume…

Adulte, Vi refait surface après un long séjour en prison qui a sûrement dû influencer sur son caractère. Très vite, on constate que ce brin de femme aime faire « cavalier seul », pourtant elle va s’allier avec une certaine Caitlyn. Bien sûr, les scénaristes n’inventent rien, tout a été écrit en partie pour ce champion dans le jeu vidéo. La particularité toutefois de la série est d’avoir traité le partenariat de Caitlyn et Vi sous les auspices modernes d’une relation amoureuse puisqu’on devine à travers les paroles et sous-entendus que les deux jeunes femmes sont attirées l’une par l’autre. Pourtant leur monde est si différent que leur amour naissant semble voué à l’échec – finalement on assiste à une éternelle romance contrariée… 

[Spoiler alerte] La scène au milieu de l’épisode 8 est un topos cinématographique puisque d’habitude les deux protagonistes se retrouvent et s’embrassent sous la pluie. Ici, bien sûr, même si les attentes sont déjouées puisque Vi quitte Caitlyn et Piltover pour retourner à Zaun, on comprend très clairement que leur relation n’est pas seulement amicale, comme en témoigne le dialogue ci-dessous :

Caitlyn : What about us ? « Et nous ? »

Vi : Oil and water. Wasn’t meant to be. « Comme l’huile et l’eau. Ça n’existe pas. »

Caitlyn : You’r just saying that. « Tu ne penses pas ce que tu dis. »

Vi : Do yourself a favor, cupcake. Go back to that big shiny house of yours and just… forget me, ok ? « Protège-toi, princesse. Rentre dans ta belle et grande maison et… oublie-moi, d’accord ? »

Vi n’est donc pas seulement une dure à cuire puisque, sous l’armure, se cache un petit cœur sensible. Arcane innove. Contrairement au jeu vidéo qui ne donnait que peu d’informations concernant la relation obsédante et explosive entre Vi et Jinx, l’une, justicière de la haute, et l’autre, folle trublionne de la basse, la série fait de la relation entre ces deux personnages, qui sont dès le début présentés comme étant sœurs, le centre même du récit. Vi est une aînée protectrice qui, sous ses airs de guerrière insensible et insolente, est plus que jamais dépendante de l’amour de Powder.

Alors, description d’un monde qui n’est pas manichéen, ou au contraire, fausse subtilité pour éviter l’archétype de la guerrière insensible et bourrine ? 

Jinx, l’ado rebelle aussi appelée la « gâchette folle »

Jynx écoute de la musique
Photogramme extrait de l’épisode 4 où Jinx écoute sa musique Get Jinx.
Les studio Fortiche avaient collaboré pour la première fois en 2013 avec Riot Games pour réaliser le clip de cette chanson.

Jinx ou Powder… Tels sont les deux noms de ce personnage qui est en réalité le vrai sujet de la série. Là encore, cette dernière s’est attaquée à un gros morceau, surtout dans le cadre d’un animé : traiter du dédoublement de personnalités. Nommée Powder dans sa jeunesse, alors qu’elle n’a pas encore connu le traumatisme qui la fera vriller (bon, même si techniquement, elle est orpheline et élevée dans un endroit insalubre, ce qui n’est pas vraiment favorable pour l’équilibre d’un enfant…), elle se fait appeler, au deuxième acte, Jinx. Ce premier changement est un tip pour le spectateur qui comprend dès lors que l’adolescente a un trouble mental. En elle, deux entités s’affrontent : la petite fille, Powder, terriblement désireuse d’aimer et être aimée, et l’ado rebelle, Jinx, qui a fait de sa folie une compagne.

Tiens, tiens, est-ce qu’elle ne nous ferait pas penser à quelqu’un ? Jinx a été très justement comparée au personnage d’Harley Quinn, anti-héroïne dans Batman associée souvent au Joker… Comme cette dernière, elle est l’archétype de la méchante sympathique qui a la particularité d’être énergique et enjouée. Tout au long de la série elle ne semble en effet qu’obéir à elle-même, malgré son accointance avec le machiavélique et despotique Silco. Encore une fois, on a l’impression d’avoir un personnage indépendant, mais à quel prix ? En effet, est-ce vraiment si positif d’être libre mais dominée par sa propre folie et ses démons ? Alors, certes, elle n’est pas dominée par un homme, pourtant je ne peux m’empêcher de penser que son personnage est aussi le modèle du personnage féminin hystérique dont un homme ne peut qu’avoir peur sauf à être son machiavélique papa !

[Spoiler alerte ] Bien que Jinx semble n’en faire qu’à sa tête, semant au passage terreur et angoisse, elle est en effet loin d’être aussi indépendante qu’il n’y paraît. Dans une scène absolument grandiose et émouvante je dois l’admettre – encore une fois vous avez ici le debunkage par une fan de la série – Jinx propose à sa sœur de choisir qui de Jinx ou de Powder elle doit devenir, soit quelle personnalité doit l’emporter, la gentille petite fille ou l’incontrôlable psychopathe. Elle remet ainsi son destin entre les mains de Vi, même si comme vous le verrez sûrement, les événements vont décider pour elle.

Alors, voilà, cette Jinx nous fait rire, nous émeut, nous séduit avec son personnage fou, complètement incontrôlable et truculent. Toutefois, niveau originalité scénaristique, on repassera…

Caitlyn, la loyale défenseuse des opprimés

Caitlyn jeune, flashback
Photogramme extrait de l’épisode 5 d’Arcane. Flashback où Caitlyn, plus jeune, est en compétition avec le shérif.

Caitlyn, c’est une autre histoire… On a un personnage à la fois doux et volcanique, à la fois obéissant et impulsif. Cet éternel clair-obscur, cet équilibre entre ténèbres et lumières que l’on pourrait emprunter aux grands maitres de la peinture comme Caravage, mais aussi aux comédies romantiques les plus lisses ! Elle fait partie de la haute, elle est la fille de la conseillère Kiramman, une des personnalités politiques de Piltover, qui a d’ailleurs la particularité de fonctionner selon un système oligarchique – le gouvernement des meilleurs. Très vite, le spectateur comprend que la jeune femme n’est pas à l’aise parmi les froufrous et les bijoux, elle préfère les courses poursuites et les coups de crosse.

Alors qu’elle bénéficie de la protection de son clan et fait partie des « planqués », elle décide, elle aussi, de faire cavalier seul et de désobéir aux ordres pour mener sa propre investigation concernant les différentes menaces auxquelles fait face Piltover. Cette quête va l’emmener jusqu’aux bas-fonds les plus sordides et dangereux sans que jamais cette dernière n’ait froid aux yeux, si ce n’est peut-être, et c’est le plus désopilant, lorsque Vi l’entraîne dans une maison close pour qu’elle use de ses charmes afin de récolter des informations…

Caitlyn appréhende davantage le repère des catins que le repère des gros bras : elle est bien éduquée, elle se retrouve dans un bordel, alors bien sûr pour elle et son éducation étriquée, ça craint plus que de foutre des gnons. Vous aurez compris, nous avons ici un enjeu psychosocial vieux comme le monde : la fille au tempérament de feu qui a grandi avec une cuillère dans la bouche, qui n’a jamais vu un homme ou une femme nue et qui, tout à coup, est extraite de son milieu. Au début elle est terrifiée, à la fin, elle se réjouit…

Transgresser les barrières sociales c’est bien, mais encore une fois, est-ce vraiment original si c’est pour s’enticher du premier bad boy venu, tout droit sorti de prison ? Même si ce bad boy est devenu, entre deux adaptations scénaristiques, une fille aux allures de garçon manqué ?

Mel Medarda, l’intrigante conseillère

Mel Medarda
Photogramme extrait de la bande-annonce de la saison 1 d’Arcane.

Medarda la jeune est, selon moi, un des personnages les plus intéressants, car le plus stéréotypé. Elle représente le parfait modèle de l’intrigante : belle, charmeuse et habile diplomate. Elle fait de la politique, tire les ficelles et avance ses pions en permanence, c’était du moins ce qu’elle comptait faire en se rapprochant de Jayce, le jeune et brillant savant qui aurait dû être banni pour ses recherches scientifiques qui ont tourné au vinaigre. Quand Medarda veut quelque chose elle l’obtient et de fait, tout son plan semble se dérouler à merveille. Son jouet et amant est en place, l’avenir lui tend les bras… Vous connaissez l’expression : derrière chaque grand homme se cache une grande femme.

On reconnaîtra tout de même à ce personnage la subtilité d’une tendresse toute féminine. Il n’était pas question en effet de peindre un personnage entièrement machiavélique et manipulateur. Tout comme Cersei dans Game of Thrones, et qu’on adore par ailleurs, il fallait qu’elle ait un peu de cœur et qu’elle soit aussi fragile que les autres. Les scénaristes ont donc pris la liberté de creuser un personnage qui n’était pas présent dans le jeu originel de League of Legends. Ils ont dépeint ses doutes sur la manière de régler les problèmes entre Piltover et Zaun, problèmes qui s’intensifient au fur et à mesure des épisodes, et déjouent – ou pas – nos attentes de spectateurs en révélant une part de sensibilité chez cette femme qui semble, elle aussi, porter le poids d’un lourd passé.

Bannie et exilée de sa propre patrie depuis dix ans, il s’avère que Medarda a dû se construire seule – encore – et affirmer sa position au sein du conseil du mieux qu’elle pouvait et en ne comptant que sur ses propres forces. De nouveau, c’est une destinée solitaire qui semble être dépeinte même si sur le chemin on a quand même un homme, beau, en plus ! Miracle.

Ambessa Medarda, la guerrière impitoyable

Ambessa Medarda dans son bain
Photogramme tiré de l’épisode 8.

On nous l’introduit comme étant la mère de Mel Medarda, pourtant, rien avoir avec la jolie conseillère. Ambessa est bourrée aux testostérones tant ses muscles sont saillants et c’est bien cette femme qui a donné naissance à Mel, un être aux proportions parfaites, raffiné et délicat. Caricaturale, dites-vous, la manière de représenter les deux personnages ? L’une est très féminine, elle a de longues robes blanches, symbole virginal, et des bijoux, symboles de séduction, et comme par hasard, elle est davantage adepte de la diplomatie. L’autre est stéroïdée, met des pantalons et porte les cheveux courts, adore le sang et préfère la guerre aux jolies courbettes… 

On insiste d’ailleurs sur ce stéréotype en inversant les rapports genrés de domination et en montrant par exemple la mère qui séduit ouvertement les domestiques masculins. Comme si une femme qui ne voudrait pas répondre aux codes du genre serait forcément un pendant féminin de l’homme avec des attitudes clichées que les femmes dénoncent justement chez la gent masculine, à savoir, le mépris du genre opposé, son esclavagisation et hypersexulisation. 

Prenons par exemple cette scène ci-dessus où Ambessa se trouve dans le bain. Elle a les jambes écartées comme un homme – man spreading quand tu nous tiens – elle boit à une coupe de vin et se fait masser par son petit esclave maigrichon et blanc. Parce que ça aussi c’est une manière pour les scénaristes de se départir de toute critique, tomber dans le renversement permanent des rôles : le mâle blanc dominant devient le mâle blanc dominé. 

Qu’on ne s’y méprenne pas, Ambessa doit quand même rester une femme donc on va représenter un corps glabre, et au passage, on va la faire sortir du bain comme ça on aura un aperçu rapide de son fessier bien rebondi. Mais après tout, je suis peut-être mauvaise langue et est-ce seulement un moyen de montrer que le comportement des uns et des autres n’a rien avoir avec leur genre ?

Quoiqu’il en soit, cette mère a tout sauf l’air d’une maman aimante : rappelons déjà qu’elle a envoyé sa fille à l’autre bout de la terre pendant dix ans et qu’elle revient seulement pour la mener à la baguette et lui demander de fonctionner selon ses propres idées. Vraiment, ce personnage est détestable… Jusqu’à ce qu’on sache pourquoi elle a banni sa propre fille : cette dernière affaiblissait son caractère et la rendait vulnérable à la douceur. 

Horreur et damnation ! Comment envisager un monde où on ne trucide pas son voisin pour conquérir son royaume ? Peut-être est-ce le seul moment où l’archétype semble perdre quelque peu de sa force. Tout ce que je peux ajouter, c’est que son jeu est, malgré tous les clichés, terriblement savoureux.

Sevika, la méchante badass

Sevika en colère
Photogramme extrait de la bande-annonce. Scène qui se déroule dans le dernier épisode de la saison. 

Enfin, Sevika, c’est celle qui est censée représenter très clairement le camp des méchants. Elle est l’alliée de Silco, son bras droit – son bras gauche à elle étant d’ailleurs mal en point … – et son « homme » à tout faire. Elle est indépendante, certes, mais encore une fois en apparence puisqu’elle obéit et revient toujours auprès de son maître. Quand bien même ce dernier la traiterait mal, elle répondrait présente. Alors, sexisme involontaire ou véritable subtilité et génie scénaristiques ? Sevika est en effet la figure la plus loyale d’Arcane, alors qu’elle est un des personnages les plus détestables car sa loyauté va à l’un des pires malfrats…

Bien sûr, on est supposé ne pas l’apprécier car elle lutte contre les forces du bien, mais sa force alliée à sa fidélité, fait d’elle un sujet d’admiration au sein du mal ou alors, de raillerie, cela dépend de l’angle que l’on choisit d’adopter. Elle aurait pu à de nombreuses reprises tirer son épingle du jeu et jouer de sa position pour anéantir Silco, devenant ainsi la véritable maîtresse des bas-fonds de Zaun et s’assurant ainsi une position de leader dans un monde quand même essentiellement masculin, mais non, il n’en est rien. Peut-être parce qu’il reste en elle la confiance en l’autorité capable de leur offrir un monde meilleur. D’ailleurs, au début de la série, n’est-elle pas une alliée de Vander ? Au fond, son passage du côté obscur de la force, n’est-il pas dû à sa soif d’idéal ? Un idéal noble, celui d’acquérir dignité et grandeur pour les pauvres égarés de Zaun, mais vicié par une vie de misère et d’offense ? Le point de vue est double.

À travers Sevika ce sont les éternels tiraillements de l’être humain qui sont mis en avant. À cet égard, on peut dire que la série sonne juste. La lutte des classes, tout en étant la toile de fond de cette histoire, envenime la personnalité et les chemins de vie de tous les personnages. Mais voilà, n’est-ce pas là trop caricatural et attendu ?

Faire œuvre de modernité ?

Tous ces personnages féminins, peuvent, à première vue, répondre à une ambition de modernité puisqu’on a des femmes qui ont une certaine liberté d’esprit et d’action : même si Jinx est prisonnière de sa folie, c’est à elle et à elle seule que revient l’initiative de ses actions, même si Sevika semble obéir à son maître Silco, c’est seulement parce qu’elle met l’honneur et la loyauté au-dessus de tout qu’elle ne le trahit pas.

Je ne peux toutefois m’empêcher de constater une vision encore bien trop stéréotypée de la femme et même de la libération de la femme. Comme si le seul moyen d’introduire des personnages féminins étaient soit de les dépeindre comme des pendants guerriers des hommes, avec des muscles saillants, des tatouages et de lourdes armes, soit de les cantonner à un rôle d’intrigante, bien fichue et séductrice.

L’autre moyen d’être libre et indépendante pour toute ces femmes c’est de s’affranchir de la maternité, toujours vécue comme un fardeau. En effet, on peut constater la terrible manière de représenter les femmes-mères dans cette série : la mère de Caitlyn s’avère être une maman poule un peu chiante, pardonnez-moi l’expression, Ambessa est tout simplement despotique et dure, tandis que la mère de Vi et Powder est absente, véritable personnage en creux, les deux fillettes étant orphelines. Ces dernières n’auront donc d’autre destin que d’être élevées par des hommes. Alors voilà, être une femme moderne selon Arcane, c’est être une femme-homme élevée comme un homme par un homme ou par une femme très masculine.

On aurait apprécié qu’au moins une seule figure maternelle soit dépeinte avec complaisance, histoire de ne pas verser dans une position ouvertement caricaturale qui voudrait qu’une femme forte et indépendante, libérée du joug patriarcal, soit obligatoirement une femme non mère. Mais bon, comme vous l’aurez compris, cela fait longtemps qu’on est tombé dans le faux-politiquement correct. Peut-être que la saison 2 nous réservera à cet égard quelques surprises.

Vi, Jynx, Caitlyn, Mel Medarda
Les quatre personnages principaux féminins d’Arcane.

Un point de vue qui reste profondément masculin

Alors, oui, je le confesse, je me suis fait attraper au début et j’ai cru qu’on me proposait des personnages de femmes véritablement badass et indépendantes mais en réalité on me resservait une version éculée et stérile du héros masculin aux gros bras mais aux jolies courbes, comme dans Alien et Mad MaxÀ quand des personnages féminins écrits par des femmes et pour des femmes ? Parce qu’à part nous proposer des héros féminins qui font la même chose que les hommes, c’est-à-dire, parler fort et faire la guerre, Arcane n’induit pas de modernité scénaristique particulièrement frappante dans sa manière de construire les personnages féminins… (Et oui, les scénaristes de la série sont des hommes !)

On pourra lire à ce propos un texte de la romancière Ursula Le Guin, bien connue des lecteurs de science-fiction, qui évoque les difficultés d’une écriture féministe et subversive. Pour ma part, bien sûr, je ne veux point être manichéenne et j’avoue que ce n’est qu’en me penchant véritablement sur les personnages et l’histoire que j’ai levé le lièvre.

Un doublage remarquable

Nous avons en effet, à défaut de personnages féminins profonds et subtils, des jeux truculents et des voix parfaitement adaptées à chacune des figures. Vi est doublée par Hailee Steinfeld, une actrice américaine reconnue qui a notamment doublé le personnage de Gwen Stacey dans le film d’animation Spider-Man : New Generation. Quant à sa voix française, elle est assurée par Alice Taurand, qui a travaillé sur plusieurs séries notamment Stranger Things, True Blood, The 100 et plus récemment WandaVision

La voix délurée et énergique de Jinx est assurée par Ella Purnell en VO et Adeline Chetail en VF. La première, à seulement 25, a déjà joué dans plusieurs films comme Kick-Kass 2, Miss Peregrine et les Enfants particuliers réalisé par Tim Burton ou encore Army of the Dead. Adeline Chetail, doubleuse depuis l’âge de ses sept ans, est quant à elle la voix régulière de Vanessa Hudgens mais aussi la voix de la princesse Zelda dans le jeu vidéo éponyme. Je vous incite à consulter son CV plutôt conséquent et remarquable… 

Caitlyn est quant à elle doublée par Katie Leung, Cho Chang dans les films Harry Potter, et Elsa Davoine, qui, détail surprenant, a notamment doublé la voix du jeune Ned Stark dans la série Game of Thrones ! 

La jolie Mel Medarda s’offre la voix onctueuse de la nigérienne Toks Olagundoye pour la VO, connue pour son rôle dans la série américaine The Neighbors, et celle de la martiniquaise Géraldine Asselin, voix française régulière d’Halle Berry et Michelle Rodriguez. 

C’est avec un plaisir coupable qu’on écoute la voix grave d’Ellen Thomas, doubleuse américaine peu connue du personnage d’Ambessa, et celle de Maik Darah dans la version française, qui a par ailleurs doublé Whoopi Goldberg dans Sister Act ou encore Viola Davis dans Suicide Squad

Enfin, c’est l’actrice américaine Amira Vann, connue pour ses rôles dans Underground et Murder, qui double le personnage de Sevika.

Le doublage de Vander et Silco sonne également très juste. Jean-Benoît Blanc, d’origine française, est la voix anglaise de Vander, il est par ailleurs doubleur de nombreux personnages au cinéma, à la télévision mais aussi pour les jeux vidéo. Il fait notamment la voix du champion Braum dans League of Legends… Quant à la version française, c’est Boris Rehlinger qui a la charge du doublage. Vous reconnaîtrez peut-être sa voix puisqu’il double non seulement Colin Farrell, Jason Statham mais aussi Ben Affleck et Joaquin Phenix.

Silco n’a rien à envier à Vander concernant son doublage puisque sa voix est aussi envoûtante que déroutante grâce au jeu de l’américain Jason Spisak pour la version anglaise, qui a notamment doublé Deadpool dans la série d’animation de Marvel ou encore Le Joker (un autre personnage de méchant bien flippant), et grâce à la célèbre voix de Bernard Gabay pour la version française, qui a doublé entres autres Viggo Mortensen, Antonio Banderas ou encore Robert Downey Jr. et Brad Pitt.

Pourquoi regarder quand même Arcane ?

Alors, oui, il faut regarder malgré tout cette série qui a le mérite d’offrir des visuels grandioses dans une atmosphère saisissante où la musique joue un rôle prépondérant. Au fond, l’appât fonctionne et on s’attache aux personnages même s’ils sont caricaturaux. Je vous recommande Arcane pour le plaisir des yeux et vous incite enfin à oublier tout ce que vous venez de lire pour vraiment apprécier la série, si vous ne l’avez toujours pas vue. Personnellement, je regrette d’avoir écrit cet article et d’avoir eu à creuser mon sujet… Maintenant mon plaisir est corrompu – merci Thomas Spok, qui m’a proposé d’écrire cet article !

Image de la bande-annonce d'Arcane
Photogramme extrait de la bande-annonce. À très vite, pour de nouvelles aventures…

[1] Critiques sur Allociné

[2] Critiques sur IMDb

[3] Critiques sur Metacritic

[4] Voir le site officiel de League of Legends

[5] Le monde de Runeterra