
On trouve de tout dans les boîtes à livres. Des vieilleries surtout qui ne demandent qu’à reposer en paix. Mais parfois, aussi, des pépites. Cette rubrique vous propose de jeter un coup d’œil sur ces bouquins abandonnés et glanés au hasard de déambulations livresques.
Par Yves-Daniel Crouzet (retrouvez-le sur Facebook ! et toutes ses chroniques)
Rock ma vie
[Boîte à livres de Boulogne Billancourt.]
« Ma vie est un roman ! » indique le bandeau rouge. Pas sûr que ce soit tout à fait exact sur la forme, mais sur le fond quelle aventure ! Quelles aventures au pluriel !
Philippe Manœuvre, j’ai l’impression de l’avoir toujours connu, d’avoir grandi avec lui. Depuis Les Enfants du Rock et Sex Machine et même bien avant lorsqu’il interviewait des artistes et chroniquait des concerts pour Rock & Folk. En fait, depuis son article sur Aerosmith de passage à Paris le 1er novembre 1976 pour un concert au Pavillon de Paris. Qu’est-ce qu’il m’a fait rêver, moi le gosse de Saint-Étienne, cet article dithyrambique ! Quelques années plus tard, j’ai croisé Philman (son surnom) à la sortie d’un concert de ces mêmes Aero au Zénith de Paris (sur la tournée Pump.). Je l’avais questionné à ce sujet : « Alors c’était mieux ou moins bien qu’en 1976 ? » et, très gentiment, il m’avait répondu « Mieux ! », même si je n’en ai pas cru un mot.

Quelle vie que celle de Philippe Manœuvre ! Journaliste, producteur, homme de radio et de TV, rédacteur en chef des magazines Rock & Folk et Métal Hurlant. Et tous ces géants qu’il a côtoyés de près et dont il nous parle dans son livre : les Stones, Iggy Pop, les Sex Pistols, The Clash, Moebius, Druillet, Jodorowski, Hugo Pratt, James Brown, Gainsbourg, Johnny et tant d’autres ! Dément ! La chance ! La chance ? Pas seulement, car un destin ça se force, les rencontres ça se provoque (« Est-ce que le pape est catholique ? » comme aime à le répéter Manœuvre chaque fois qu’on lui propose un truc dingue.), et le feu de la passion ça s’entretient.

Son livre est bourré d’anecdotes, bourré de rencontres, de voyages, de concerts ; bourré de substances toxiques et de beuveries, aussi. On y apprend plein de choses. Que Madonna et Mickaël Jackson chantaient en partie en playback, que Serge Gainsbourg se lavait finalement, qu’entre Johnny Hallyday et Jean-Jacques Goldman ça s’est moyennement bien passé, que c’est lui qui a traduit le comic Les clous rouges de Roy Thomas et Barry Smith d’après Robert E. Howard pour les Humanoïdes Associés, que Prince ne l’appréciait pas du tout et lui a piqué sa liste de questions pour la réutiliser sur MTV, que la télévision est un beau panier de crabes (ça on s’en doutait !), qu’il a vécu des expériences mystiques au Mexique, que le 1er décembre 2001 il a vu un OVNI au-dessus de la capitale, que son chauffeur et ami était un des lieutenants de Jacques Mesrine, que Polnareff… Des anecdotes, il y en a tant ! Dérisoires parfois mais toujours passionnantes pour le fan de base que je suis. Ce mec a rencontré, picolé et fumé avec tout le gratin du rock. Quant à la liste des artistes interviewés, elle remplit plus de trois pages et compte des noms incroyables comme, comme… bah, c’est pas la peine, il y en a trop ! Ah si ! je vous en cite au moins un, peut-être le plus improbable : Ray Bradbury l’auteur des Chroniques martiennes et de Fahrenheit 451. J’en suis vert de jalousie. Je hais Manoeuvre ! Il a vécu mes rêves !
Un petit regret toutefois, c’est qu’il ne parle pas de ses rencontres avec les Led Zeppelin, Aerosmith, Van Halen, Kiss et quelques dizaines d’autres. Pas un mot non plus sur le Boss Bruce Springsteen. Étrange…

En plus, le bougre est foncièrement sympathique avec ses lunettes noires et sa voix de crécelle. On a l’impression d’écouter parler un grand frère, mieux : un pote de quartier, le type qui traîne, nonchalant, avec son perfecto, sa clope et son sourire au bec. On se sent prêt à l’écouter et à le suivre jusqu’au bout de la nuit, émerveillé souvent, incrédule parfois. Ce que j’ai fait grâce à son livre. Rock se termine trop vite (à quand le volume 2 ?) sur un Philippe Manoeuvre assagi, père de famille, désintoxiqué de toutes les dopes sauf d’une seule : ce bon vieux rock !

Éditions Harper Collins (2018).
Pour lire la chronique précédente : Barrière mentale – Poul Anderson