La jeunesse de Gandhi, le revers de la « grande âme »

« En me jugeant moi-même, j’essaierai d’être aussi âpre et dur que la vérité et je voudrais que le soient aussi les autres » p.5 d’Autobiographie ou mes expériences de vérité de Gandhi

Emprisonné en mars 1922, Mohandas Karamchand Gandhi commence l’écriture de ses mémoires [1]. Relâché le 7 février 1924, il se plaint de ne pas avoir encore eu le temps de les finir mais continue de s’y atteler. L’exercice est particulier car il juge que « l’autobiographie est une coutume typiquement occidentale ». Il s’y soumet néanmoins, non pas pour se mettre en avant, mais pour écrire sa vérité pour qu’elle puisse guider ses lecteurs futurs.
Principal pilier de l’indépendance indienne de 1947, Mohandas n’est plus à présenter. Le film de 1982 avec Ben Kingsley a largement marqué les esprits. Celui que l’on surnomme « Mahatma » (grande âme) ou tout simplement « Bapu » (le père) semble quasiment divinisé. Les pâles tentatives de le rabaisser n’ont pas pu atteindre un homme qui a atteint le statut de légende le jour de son assassinat, le 30 janvier 1948 à Delhi.
 
Gandhi se vêtait simplement
Voilà la trogne de Gandhi en 1931 (quasiment au moment de la parution de ses mémoires)
Gandhi est célèbre pour son ascèse mais aussi le nombre important de jeûnes qu’il a pratiqué. À l’instar de Saint François d’Assise, Mohandas n’est cependant qu’un humain comme les autres lorsqu’il naît le 2 octobre 1869, à Porbandar. À la lecture de ses mémoires, l’épais brouillard de sa légende se dissipe peu à peu ; son style simple et clair étonne un lecteur qui s’attendait à une lecture difficile ; la banalité de son enfance redonne de l’humanité au légendaire Gandhi.
Ainsi, nous allons plus particulièrement nous intéresser à la jeunesse de Gandhi. Nous allons voir que l’auteur n’a pas oublié de décrire ses hésitations et ses fautes. Le hardi lecteur de cet article sera intrigué de suivre le parcours du jeune Mohandas, de l’enfance jusqu’à ses études de droit en Angleterre.

Des origines favorisées

Porbandar est une ville qui se situe tout à l’Ouest de l’Inde, à quelques 900 kilomètres au Nord-Ouest de Mumbai (anciennement appelée Bombay). Le 30 janvier 1869, un bébé promis à un grand avenir pousse son premier cri. Né dans la caste Banya (marchands), le nouveau-venu est entouré par des personnages importants au niveau local : son père Kaba a occupé la place de premier ministre du Porbandar et est « membre du tribunal rajasthanique ». [2] (p.10)
Sa mère était « profondément religieuse » (p.11) et pratiquait très régulièrement le jeûne. Ses deux parents étaient, comme certainement toute la communauté locale, des vishnouites. Ce sous-courant du bouddhisme a marqué le jeune Mohandas : il fut exclusivement entouré de végétariens. De plus, il assiste à de nombreuses cérémonies de dévotion envers Vishnou. Dans ces jeunes années, le jeune Gandhi ne rejette pas ce culte mais il ne croit pas à la cosmogonie hindoue.
 
Voilà le temple du dieu protecteur protecteur Vishnou : le grand Skippy vous permettra d’atteindre une totale liberté de pensée cosmique, vers un nouvel âge reminiscent [3]
Comme George ORWELL dans un essai tardif [4], l’auteur s’attarde sur son parcours scolaire. L’élève Gandhi est plus que normal : c’est d’abord un « élève médiocre » selon lui, très timide et détestant les lectures scolaires. Un jour, il se passionne pour une pièce de théâtre sur la dévotion de Shravana (p.14) et va petit à petit devenir un lecteur assidu. Gandhi se décrit souvent comme étant peu cultivé littérairement et passe son temps à se déprécier par rapport à des « grands personnages » qu’il rencontre.
Bien plus tard, quand il aura lui-même des enfants, Gandhi choisira de les éduquer lui-même, et ses fils n’iront pas au lycée. Cela aura comme conséquence de les couper de la littérature classique que Gandhi surnomme la « demi-culture » et rejette « l’éducation artificielle » des lycées anglais ou sud-africains. Il est fier que ses jeunes gens soient restés au foyer familial : « lorsqu’il faut choisir entre liberté et érudition, qui ne dira que l’on doit mille fois préférer la première à la seconde ? » (p.252).

Le mariage précoce d’un adolescent rebelle

Un événement marquant arrive à l’âge de 13 ans lorsqu’il se… marie ! Et oui, c’est un peu précoce mais c’est évidemment un mariage arrangé (moins sympa que le rhum), une pratique très commune en Inde. Sur le moment, Gandhi dit apprécier la riche cérémonie, mais adulte il aura honte de cette pratique qu’il juge néfaste. Il n’en a pas forcément conscience aussi jeune et « joue au mari » pendant quelques temps. Sa femme l’envoie cependant valser et se refuse de céder à sa jalousie adolescente.
 
Gandhi était très amoureux de sa femme Kastürbā
On notera le regard blasé de Kasturba qui a dû subir toutes les lubies de son « saint mari » : « Pourquoi portes-tu un sac à glaçons sur la tête Mohandas ? Tu te reconvertis dans le bartending ? »
Très amoureux de sa femme, Gandhi a longtemps succombé à « l’amour charnel ». Il explique avoir mis longtemps à dompter ses désirs sexuels envers sa femme. Ce n’est que bien plus tard, en 1906, qu’il prononce ses vœux de brahmacharya. Pour les plus nuls au fond de la salle, un brahmacarin mène une vie chaste, même avec sa compagne (c’est pas la fête à la Saint Valentin). Ainsi, tout comme nos chers hommes politiques contemporains, le Mahatma a lui aussi été tenté par la luxure !
Tout jeune marié, il se met à fréquenter un ami de son frère : un petit chenapan… Gandhi a continué de le voir alors qu’on le lui avait déconseillé. Ensemble, ils mangèrent de la viande et Gandhi s’en voulut pendant longtemps. Toute une propagande existait autour de la viande qui rend plus fort, même dans les milieux végétariens indiens. Finalement, Gandhi s’en veut de mentir à ses parents et abandonne vite l’état de « carnivore ».
Un jour les deux amis allèrent même dans une « maison de tolérance » (p.34). Ayant réglé la somme convenue, Gandhi entre dans la chambre du péché et s’assoit sur le lit. « Je fus frappé de cécité et de mutisme » et la dame « perdit patience » et il fut mis dehors « couvert d’insultes ». Gandhi a longtemps ruminé cet épisode et se considère coupable d’être entré (même sans avoir « consommé »). Mais « Dieu l’a sauvé car il était bon et fidèle… » en paralysant son corps.

Études en Angleterre et végétarisme

Ayant fini ses études en 1887, Gandhi doit choisir son orientation. Un véritable choix de pauvre : médecine ou avocat !? Finalement, on lui conseille de partir en Angleterre pour étudier le droit. Juste avant de partir, Gandhi est exclu de sa caste ! Ils ne veulent pas cautionner le départ d’un indien en Angleterre où il perdra obligatoirement sa religion et dont il reviendra forcément perverti (p.55).
Le 4 septembre 1888, il quitte enfin Bombay après avoir prêté serment auprès de sa mère de ne pas manger de viande. Tout juste arrivé sur place, il subit des difficultés culinaires. En effet, il n’arrive pas à se nourrir car tous les plats contiennent de la viande et il n’arrive pas à bien comprendre  l’anglais (et il est timide, en plus). Il ne mange que de l’avoine et du pain au début et commence à maigrir…
 
Gandhi eut du mal à se nourrir en végétarien à Londres
Et voilà, encore un végétarien en mauvaise santé ! Ici, Gandhi en 1924… Non ? Qu’entendez-vous exactement par jeûner ?
Gandhi commence à retrouver le bonheur lorsqu’il trouve enfin un restaurant végétarien dans Farrington street. Soulagé de l’intérieur, il lit ensuite le Plaidoyer pour le végétarisme de Salt, et se réconforte ensuite le cerveau. Né dans une société végétarienne, c’est en Angleterre que Gandhi devient définitivement végétarien ! « Mon choix était fait » p.65.
Il joue un brin le gentleman et prend des cours d’un peu tout (langues, musique, rhétorique…), mais abandonne vite. Vivant mal le fait que sa famille paie tout pour lui, Gandhi fait tout pour dépenser un minimum. Il s’impose une comptabilité très sévère, économique sur tout et le vit bien. « Au contraire, ce changement mit de l’harmonie entre ma vie intérieure et ma vie sociale ».
Petit à petit, il se rapproche de l’ascétisme (ne pas dire radinerie) qu’on lui connaît plus tard. Gandhi raconte même qu’il crée un club végétarien dans le quartier où il vit, mais il le quitte car il est fan de déménagements (quel homme bizarre). Il fit même un voyage en Paris lors de l’exposition universelle de 1889 : il y vit la flambant neuve Tour Eiffel ! Cependant, il n’y vit qu’un attrape-touriste… (snif)

Un timide végétarien en quête de sens

Il rejoint enfin la société végétarienne et on lui propose de faire partie du comité (la classe). Malgré ses efforts en anglais, ses quelques leçons de rhétorique, Gandhi n’arrive pas à se libérer de sa timidité. Il explique qu’à diverses reprises, il échoue à parler devant un public et en retira « une forte honte ». Lorsqu’il écrit ces mots, Gandhi considère que la timidité a été un atout plus qu’une faiblesse : « «Son plus grand bienfait a été de m’enseigner l’économie des mots » (p.82).
L’homme qui deviendra le jeune Mohandas sera pétri de mystique indienne mais dans ses jeunes années, il a une vision confuse de la religion au départ, basée sur la répétition de rites. Il pratique la religion de ses parents mais n’a pas du tout intellectualisé ses principes. Ce n’est qu’à la lecture de classiques indiens comme la Gita (p.86), que Gandhi commence à connaître la religion de son pays. Il ne pense plus que l’hindouisme est une somme de superstitions inférieures à d’autres pratiques.
Curieux des points communs entre les religions, il lit ensuite la Bible (p.89) et s’endort après la Genèse. Seul le Nouveau Testament l’a intéressé : il compare le sermon sur la montagne à la Gita. On voit apparaître petit à petit une vision quasi-œcuménique de la religion (un peu comme la philosophie religieuse de Rousseau). Selon Gandhi, le renoncement est l’idée centrale de la religion (ou religiosité) mais il « ne veux appartenir à aucune secte religieuse » p.88.

Morale

La jeunesse du « Le Mahatma » vous semble peut-être bien banale. Mais en songeant à son héroïque futur, on est obligé d’accepter que les origines du jeune Mohandas ont déterminé la majorité de ses choix futurs. Les principaux traits communs de sa personnalité sont ainsi expliqués de manière quasiment scientifique.
Il pratiquera le jeûne, comme sa mère ; il sera végétarien, comme sa famille ; il prônera la simplicité absolue, réplique de son jeune séjour en Angleterre. Il nous apparaît ainsi moins mythique et plus humain. Tout le monde peut donc peut-être caresser l’idée de devenir le nouveau Gandhi du XXIème siècle… 
 
Notes :
[1] Autobiographie ou mes expériences de vérité de Gandhi, éditions PUF, collection Quadrige, Histoire et Art, 2012
[2] Et oui, Gandhi est né dans une caste élevée de la société indienne traditionnelle. Il avoue même qu’il n’a jamais mis les pieds dans les quartiers pauvres des dalits (ou intouchables) avant l’âge adulte.
[4] Tels, tels étaient nos plaisirs et autres essais (1944-1949), Paris, éd. Ivrea et Encyclopédie des nuisances, 2005 (CET ARTICLE EST FINANCÉ PAR 1984 PRODUCTION, une société orwellienne)