Représentation de Dieu dans l’église catholique, refus de l’interdiction

En ces temps troublés par un renouveau des conflictualités religieuses, rappelons que Dieu est une figure unificatrice pour nos trois grands monothéismes. En effet, quelle que soit la façon dont il est prié, le Dieu unique des juifs, chrétiens ou musulmans est le même. Seule la langue utilisée change : l’hébreu pour Yahvé, le latin pour Dieu et l’arabe pour Allah. Chaque fidèle partage – parfois sans le savoir – des croyances avec des fidèles d’une autre religion. De nombreux points communs existent, sans oublier bien sûr les fractures dogmatiques [1].
Dans tous les monothéismes, la question de la représentation de Dieu s’est posée et souvent pour s’y opposer. En Islam, la représentation d’Allah et de Mahomet est largement interdite aujourd’hui [2] ; chez les juifs ou les protestants, les synagogues et les temples n’ont rien à voir avec les églises catholiques : les images sont très peu nombreuses. Cette interdiction a pour objectif de tracer une frontière infranchissable entre le terrestre et le spirituel tout en luttant contre l’« idolâtrie ».
 
chapelle Sixtine de Michel-Ange
Au Vatican, Michel-Ange a tout loisir de peindre un Dieu dont les sentiments pour son fils sont quasiment palpables.
Chez les catholiques, l’image de Jésus est, à l’inverse, omniprésente : les scènes de la Passion rythment les pas des visiteurs de cathédrales avec l’omniprésence de la crucifixion. Les rois occidentaux, et de France notamment, sont entourés de ces représentations destinées à les inspirer dans leur règne. Cependant, Dieu, père de Jésus pour les catholiques, n’est pas non plus exclu des représentations. Tout le monde a en tête l’image d’un Dieu – forcément un homme – très âgé et la barbe longue.
Comment cette image de Dieu le père s’est-elle imposée dans le monde occidental ? Pourquoi le catholicisme est-il le seul courant monothéiste à représenter Dieu sous des traits si humains ?

Doit-on représenter Dieu ?

Chez les grecs ou les romains de l’Antiquité, la représentation des dieux était largement répandue. Avec la naissance du monothéisme, les lois de l’ancien testament ont fortement modifié la donne. Les dix commandements de Moïse servent de principe général aux trois religions monothéistes : judaïsme, christianisme mais aussi Islam [3] :

« Tu n’auras pas d’autres dieux que moi. Tu ne feras aucune idole, aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux par-dessous la terre. Tu ne te prosterneras pas devant ces images, pour leur rendre un culte. Car moi, le Seigneur ton Dieu, je suis un Dieu jaloux : chez ceux qui me haïssent, je punis la faute des pères sur les fils, jusqu’à la troisième et la quatrième génération ; mais ceux qui m’aiment et observent mes commandements, je leur garde ma fidélité jusqu’à la millième génération. »

2ème commandement révélé à Moïse
 
Les textes religieux n’étaient pas des livres de recettes du bon croyant mais plutôt des paraboles ; ce commandement entraîne donc de nombreux débats. Chez les Byzantins du haut Moyen Âge, certains théologiens prônent une adoration des images (les iconodoules) alors que d’autres sont violemment iconoclastes et refusent la représentation divine, vue comme un blasphème. Entre 730 et 787, le conflit fait rage à Constantinople jusqu’à ce que les iconodoules l’emportent.
 
Charlemagne empereur en 800
En 794, le « presqu’empereur » Charlemagne se prononce contre la destruction des images mais refuse leur adoration.
Fer de lance de l’Empire chrétien, Charlemagne a hérité de ce débat houleux à la fin du VIIIème siècle. Il choisit une position centrale : « ni adoration, ni destruction » qui inspirera le clergé à venir. Le catholicisme impose ainsi progressivement une large liberté sur la production d’images comme le rappelle Jean WIRTH dans le magazine L’Histoire d’octobre 2018 [4]. Les artistes ont les mains libres et usent de génie pour décorer les églises et les monastères.

Un « vieillard divin » s’affirme à partir du XIIème siècle

La doctrine catholique est « trinitaire », c’est-à-dire que la divinité unique s’incarne en trois « entités » à la fois distinctes mais aussi indivisibles. La formule consacrée « au nom du père, du fils et du saint esprit » symbolise ainsi cette foi en la Trinité. Même si l’autorisation des images va s’imposer, un problème persiste : comment représenter un Dieu unique alors qui est trinitaire ? Faut-il représenter un Dieu tricéphale (à trois têtes) ?

pietà ronde de Jean Malouel (Louvre)
L’œil de lynx remarquera la colombe du Saint-Esprit qui sert de trait d’union entre le père et le fils : ainsi se forme la Trinité (L’Histoire, octobre 2018, p.36).

Comme nous pouvons le voir sur cette illustration, les catholiques acceptent une double représentation divine : le père d’un côté et le fils de l’autre. À l’image des dieux anciens, Jésus est représenté sous des traits humains et sa souffrance n’est pas simplement suggérée : certains Christs sont représentés en sang et se tordant de douleur, humanisant au maximum le fils de Dieu.
Ainsi, le martyr est un thème central du catholicisme à l’image des saints qui très souvent finirent mal… (la tête décapitée de Jean-Baptiste hante tous les musées occidentaux).

Bibliothèque de Strasbourg XVIème siècle
Dieu le père est ici représenté en « trône de grâce » : une représentation très courante à la fin du Moyen Âge.
Son père a lui aussi le droit d’être représenté, même si cela est bien moins courant : son fils lui vole souvent la vedette. Comme pour Jésus, Dieu le père n’est pas toujours représenté de la même manière ; cependant, une version de Dieu le père s’impose à partir du XIIème siècle. Il prend les formes d’un vieillard rappelant les sages antiques (Socrate es-tu là ?). De plus, il est souvent représenté assis sur un « trône de grâce ».
 
Dans le Parrain de Coppola, Vito Corleone siège sur un trône avec son chat
Le quasi-trône du Godfather Vito Corleone dans Le Parrain semble directement inspiré par les cieux…

Un modèle qui se répand contre les critiques

Certains catholiques vont, dès le Moyen Âge, critiquer cette carte blanche donnée aux artistes. Tout le monde a en tête le film Au nom de la rose où des moines s’amusent à dessiner des illustrations graveleuses voire anticléricales dans les marges des manuscrits. Vers 1400, le théologien Jean GERSON critique vertement les errances des œuvres d’art soi-disant pieuses en « refusant les images fausses » mais aussi protéger les enfants des « images obscènes ».
 
Gothique angevin
Au Moyen Âge, aucun filtre parental n’existe et les enfants peuvent allègrement admirer les outrageantes décorations de cette célèbre façade angevine.
Lorsque les protestants vont émerger au XVIème siècle, c’est l’Église dans son ensemble qui est critiquée à l’image de Luther, fondateur cette branche dissidente. Pourquoi faut-il payer pour laver ses péchés ? Comment un être de chair (le pape) peut-il publier des lois au nom de Dieu ? Pour résister à ces critiques, l’Église catholique va mener un intense mouvement de contre-réforme à partir du grand concile de Trente (1545-1563).
La foi catholique y fait face aux critiques et réaffirme le rôle des images dans la transmission de la foi. Pire, les décorations des églises vont atteindre un niveau extrême de richesse et de raffinement (le baroque). La représentation de la trinité mais aussi des saints devient un signe d’orthodoxie (normalité) dans le dogme romain. Une église « bien catholique » doit ainsi absolument être très décorée, pleine d’images et représenter la Vierge et les Saints (aussi critiqués par les Protestants).

XVIIème musée des beaux arts de Rouen, Dieu le père par Sacquespée
Parabole ultime du Dieu créateur confronté aux horreurs du monde des humains. On l’entend presque bafouiller : « Qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ? ». [5]
Morale

Mine de rien, cette petite iconographie fait réfléchir sur la place des images dans la société actuelle. Alors qu’elles sont aujourd’hui omniprésentes et que l’être social moyen est habitué à en changer d’un battement de doigt, il peut être intéressant de penser aux débats sur la censure des peintures de nu sur quelque réseau social étasunien.
Il est ainsi intéressant de noter que l’Église catholique médiévale semblait moins apte à censurer les images (même obscènes) que des médias modernes et leur « politiquement correct » étouffant.

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Notes :
[1] Moïse en est le parfait exemple : les dix commandements qu’il apporte au peuple hébreu servent aussi de base religieuse aux chrétiens (qui lisent l’Ancien Testament). De plus, Moïse est une figure importante en Islam même s’il a changé de nom : Moussa.
[2] De nos jours, une très grande majorité de musulmans suivent l’interdiction de représenter Mahomet. Cependant, ce n’a pas toujours été le cas : comme chez les chrétiens, le débat a aussi été ouvert et s’ancre dans un conflit entre sunnites et chiites. Ici, vous pouvez admirer une représentation de Mahomet datant du XVIIème siècle (Turquie).
[3] Le Coran s’inscrit dans la lignée des textes hébraïques et évangéliques. Jugez plutôt : « Il a fait descendre sur toi le Livre avec la vérité, confirmant les Livres descendus avant lui. Et Il fit descendre la Thora et l’Évangile. » (Coran, Sourate 3, Verset 3)
[4] « Au Moyen Âge, pas d’images interdites ! » L’Histoire, octobre 2018, p.34
[5] Dieu le père, tableau d’Adrien SACQUESPEE datant du XVIIème siècle, musée des beaux arts de Rouen.