Ramsès II a inspiré Shelley pour Ozymandias

Ozymandias, traductions

Je propose ici une nouvelle traduction en alexandrins rimés du sonnet Ozymandias de Percy Bysshe Shelley, dont j’ai déjà évoqué la traduction, des pistes d’interprétation et la postérité (voir liens en complément en bas de cet article). Je rappelle néanmoins quelques informations essentielles sur le contexte d’écriture et de publication du poème. Le lecteur curieux de découvrir une traduction historique du poème trouvera également ci-après la version de Félix Rabbe, publiée au XIXème siècle.
 
Ramsès II a inspiré Shelley pour Ozymandias
Colosses de Ramsès II, inspiration d’Ozymandias. Temples d’Abou Simbel.

Traduction en vers

Ozymandias
Je vis un voyageur d’un antique pays
Qui dit : — Dans le désert, deux grands rochers se dressent,
Jambes sans tronc. Tout près, ensablé à demi,
Un visage paraît, qui tord avec rudesse
Les lèvres et les cils ; sa moue de froid mépris
Montre qu’il commandait, que le sculpteur sut lire
Les feux survivant, gravés dans ces restes froids,
Aux mains qui les mimèrent, au cœur qui dut nourrir.
Et sur le piédestal une parole éclaire :
« Mon nom est Ozymandias, le roi des rois :
Contemple mes travaux, puissant, et désespère ! »
Hormis cela, plus rien : tout autour du décombre
Du colosse brisé, les sables sans frontière
Lissent la désolation de dunes sans nombre.


Le texte anglais

Ozymandias

I met a traveller from an antique land
Who said: Two vast and trunkless legs of stone
Stand in the desart. Near them, on the sand,
Half sunk, a shattered visage lies, whose frown,
And wrinkled lip, and sneer of cold command,
Tell that its sculptor well those passions read
Which yet survive, stamped on these lifeless things,
The hand that mocked them and the heart that fed:[1]
And on the pedestal these words appear:
« My name is Ozymandias, king of kings;
Look on my works, ye Mighty, and despair! »
Nothing beside remains. Round the decay
Of that colossal wreck, boundless and bare
The lone and level sands stretch far away.

 
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le sonnet de Shelley parut en 1818 avec des coquilles
La première parution du sonnet dans The Examiner en 1818, page 24, section Original Poetry. Coquilles incluses.

Contexte de publication

Ozymandias est un sonnet de Percy Bysshe Shelley écrit à Marlow, où il vit avec Mary Shelley, entre décembre 1817 et janvier 1818, dans le cadre d’un défi littéraire. Shelley et son camarade Horace Smith s’appuient sur un passage de la Bibliothèque historique de l’historien grec Diodore de Sicile (Ier siècle av. J.-C.) qui décrit une statue égyptienne gigantesque ornée de l’inscription : « Je suis Ozymandias, roi des rois. Si qui que ce soit veut savoir à quel point j’étais puissant et où je repose, qu’il surpasse mon œuvre. » En grec :

‘βασιλεὺς βασιλέων Ὀσυμανδύας εἰμί. εἰ δέ τις εἰδέναι βούλεται πηλίκος εἰμὶ καὶ ποῦ κεῖμαι, νικάτω τι τῶν ἐμῶν ἔργων.’ [2]

la statue du Jeune Memnon a inspiré Shelley
La statue du Jeune Memnon au British Museum.
Diodore de Sicile devient le « voyageur » du sonnet de Shelley, d’où l’adjectif « antique ». Ozymandias est d’ailleurs le nom grec du pharaon Ramsès II, déformation semble-t-il de son nom de Nesout-bity (nom de couronnement) : Usermaatre. Shelley est alors inspiré par la découverte du « Jeune Memnon », grande statue emportée d’Égypte par l’explorateur vénitien Giovanni Belzoni en 1816. Elle avait été trouvée près du Ramesséum, dit temple ou château des millions d’années de Ramsès II, près de Thèbes. Achetée par le British Museum, la statue fit parler d’elle avant même d’arriver en Angleterre, en 1821. Shelley ne la vit probablement jamais.
Le poème est publié une première fois le 11 janvier 1818, avec des coquilles, dans l’hebdomadaire The Examiner, tenu les frères Hunt, amis de Shelley. Pour la publication, le poète utilise le pseudonyme Glirastes. Il s’agit d’un nom gréco-latin forgé exprès par Shelley : il signifierait « Dormouse-lover », par référence aux Gliridés, petits rongeurs que les Anglais appellent une dormouse (déformation du français dormeuse ?). Percy Shelley surnommait affectueusement Dormouse sa femme Mary !
Le sonnet paraît ensuite en 1819 dans le recueil Rosalind and Helen, A Modern Eclogue; With Other Poems. C’est cette version, sans coquille, qui est donnée ci-dessus.

La traduction par Félix Rabbe

Ozymandias
J’ai rencontré un voyageur venu d’une terre antique qui m’a dit : « Deux jambes de pierre vastes et sans tronc se dressent dans le désert. Près d’elles, sur le sable, à moitié enfoncé, gît un visage brisé, dont le froncement de sourcil et la lèvre plissée, et le ricanement de froid commandement disent que le sculpteur sut bien lire ces passions qui survivent encore, empreintes sur ces choses sans vie, à la main qui les imita et au cœur qui les nourrit. Et sur le piédestal apparaissent ces mots : Mon nom est Ozymandias, roi des rois ; regardez mes œuvres, ô puissants, et désespérez ! Il ne reste rien à côté. Autour de la ruine de ce colossal débris, sans limites et nus, les sables étendent au loin leur niveau solitaire. »

Traduction publié par l’éditeur Albert Savine en 1887.

Le poème et ses traductions au format image.
Ozymandias en anglais, traduit en vers et prose
En complément :
Ozymandias par Shelley et la version d’Horace Smith, éléments d’analyse et postérité des textes (dans Watchmen, dans divers films et séries…)

Notes :
[1] Ce huitième vers du poème est connu pour son ambiguïté : « The hand » semble être celle du sculpteur, « the heart » celui d’Ozymandias lui-même, de son vivant. Il s’agirait en tout cas d’une tournure elliptique, que j’essaie de préserver dans ma traduction.
[2] D’après Diodorus Siculus, Bibliotheca Historica, Books I-VImmanuel Bekker, Ludwig Dindorf, Friedrich Vogel, Immanel Bekker, Ed.