
On trouve de tout dans les boîtes à livres. Des vieilleries surtout qui ne demandent qu’à reposer en paix. Mais parfois, aussi, des pépites. Cette rubrique vous propose de jeter un coup d’œil sur ces bouquins abandonnés et glanés au hasard de déambulations livresques.
Par Yves-Daniel Crouzet (retrouvez-le sur Facebook !)
Cœur à vif
[Boîte à livres de Saint-Didier-en-Velay]
Mon histoire d’amour avec Stephen King, commencée il y a plus de quarante ans avec Cujo, semble aujourd’hui bien terminée. Pourtant Dieu sait que je l’ai aimé. Christine, Shining, Ça, Différentes saisons, Carrie, Charlie… ont accompagné mon adolescence et ma vingtaine. Quand est-ce que ça s’est détraqué ? Je crois que je peux, si ce n’est dater précisément l’instant, tout au moins en connaître le fait générateur. Et celui-ci fut Simetierre. J’ai voulu persévérer avec Le Fléau et le pavé m’est resté en travers de la gorge. Impossible d’arriver jusqu’au bout (et ce n’était pourtant pas la version « uncut » !). J’ai encore aimé La part des ténèbres et La ligne verte, moins Misery et Les Tommyknockers. Et ensuite… l’indigestion.
Tout à coup, j’en ai eu assez de ces histoires interminables qui se résolvaient en quelques pages. Tout ça pour ça ?! J’ai réessayé à plusieurs reprises au fil des années, comme on tente de se remettre avec un(e) ex. Sauf que ça ne marche pas, vous le savez bien. Quand l’amour est cassé il n’y a plus rien à faire. Je me suis, successivement, laissé tenter par Histoire de Lisey, Dreamcatchers et Roadmaster sans pouvoir les terminer. Et maintenant Jessie.
Jessie part d’une idée simple : une femme se retrouve seule, menottée à un lit, dans un chalet isolé près d’un lac, après qu’un petit jeu sexuel avec son mari a mal tourné. Une idée intéressante, qui pourrait donner lieu à une bonne nouvelle de terreur. King en tire, lui, un roman de 412 pages. On sait que le maître de l’horreur a une grande capacité à diluer ses récits. Mais là, il s’est lancé un sacré défi avec cette pauvre Jessie prisonnière de son lit (et de son esprit). Alors il délaye. Vingt pages pour qu’elle parvienne à saisir un verre d’eau posé sur une étagère et qu’elle se rendre compte qu’elle ne peut pas le porter à ses lèvres, dix pages pour traverser une pièce et se faire un pansement, c’est quand même long ! Et ce ne sont pas les éléments extérieurs qui surviennent qui sauvent l’ensemble : un vieux chien affamé, une mystérieuse apparition.

Pour nous faire passer la pilule, King fait appel à ses habituelles petites voix intérieures qu’ici il démultiplie. Il y en a au moins une douzaine. C’est pratique. Ça crée des simili dialogues. Ça aère un récit qui, sinon, deviendrait complètement indigeste. Mais que d’introspections, et que de répétitions ! Pour mieux attendrir son lecteur, SK gratifie son héroïne d’un traumatisme d’enfance dont elle ne s’est jamais remise et qu’elle a enfoui au plus profond de son inconscient. C’est « le jour où le soleil s’est éteint ». King use à satiété de cette expression, nous laissant miroiter un fait majeur et horrifique qui, finalement, même s’il est traumatisant, n’est pas à la hauteur de nos attentes. SK est coutumier du fait. Il « tease » la suite de ses romans. « Restez avec moi et vous allez voir ce que vous allez voir ! » semble-t-il nous dire. Il nous promet monts et merveilles et il n’arrive pas à tenir ses promesses. C’était le cas dans Roadmaster, ma précédente tentative, c’est encore le cas dans Jessie.

Jessie est un roman d’horreur psychologique trop psychologique. Certains ont pu y voir une charge contre la brutalité des hommes, leur perversité et un hommage à la résilience féminine. On ne prête qu’aux riches. Je ne suis pas certain, quant à moi, que Stephen King ait eu ça en tête en écrivant. Fidèle à sa technique de laisser l’histoire le guider, il a simplement suivi son inspiration du moment en se passionnant pour son héroïne. C’est une de ses grandes forces : aimer ses personnages.
Malheureusement, je ne suis pas parvenu à aimer Jessie et ses tourments intérieurs et je suis péniblement venu à bout du roman (parce que j’ai de la conscience professionnelle, Môssieur !). Quant aux soixante dernières pages, poussives, lourdement explicatives et complaisantes dans l’horreur, elles ne servent à rien.

Je crois que je vais arrêter de lire Stephen King. Enfin, jusqu’à la prochaine fois. Eh oui, on n’oublie jamais tout à fait ses premier amours.

Pour lire la chronique précédente : Koenigsmark – Pierre Benoit.
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