
On trouve de tout dans les boîtes à livres. Des vieilleries surtout qui ne demandent qu’à reposer en paix. Mais parfois, aussi, des pépites. Cette rubrique vous propose de jeter un coup d’œil sur ces bouquins abandonnés et glanés au hasard de déambulations livresques.
Par Yves-Daniel Crouzet (retrouvez-le sur Facebook ! et toutes ses chroniques)
« Droit au but ! »
[Boîte à Livres de Recharinges (43)]
Il y a quelques années, lorsque j’ai lu (avec quelques millions d’autres) le célèbre Da Vinci Code, j’avais été plus frappé par l’écriture de Dan Brown que par le récit lui-même. Aucune image et métaphore. Pas ou peu d’introspection des personnages. Des phrases ultra-courtes et factuelles. Je n’avais pas l’impression de lire un roman, mais un long, très long, synopsis. Tout était mis au service de la progression dramatique, comme si le plus petit effet de style risquait de détourner l’attention du lecteur de celle-ci.
Je ne peux pas dire que j’avais aimé l’ouvrage, mais j’avais trouvé l’ensemble intéressant et instructif d’un point de vue « mécanique littéraire ». Cela m’avait aussi grandement déculpabilisé lorsque, dans mes propres écrits, je me contentais de décrire ce qui se passait, au lieu de l’écrire.
J’étais donc curieux de prendre une deuxième leçon d’efficacité narrative avec Origine, trouvé dans une ancienne cabine téléphonique au bord d’une route de Haute-Loire.

Car oui, Origine est de la même trempe que le Da Vinci Code. « Droit au but ! » semble aussi être le slogan de cet auteur par ailleurs assez peu prolifique (un roman tous les cinq ans plus ou moins). Pas de phrases ou de mots inutiles. Peu de descriptions. « Peu », j’ai dit. Car Brown, sans doute conscient de cette sécheresse et, surtout, de la nécessité d’apporter sa dose de dépaysement à ses lecteurs, endosse régulièrement le costume de guide touristique. Origine se déroule en Espagne (une Espagne fantasmée et folklorique vue des lointaines USA) où l’Église est encore toute-puissante et où l’ombre de Franco plane toujours. Dan Brown en profite donc pour nous faire découvrir le pays en prenant grand soin de nous détailler les principaux sites visités par ses personnages. Et ils sont nombreux ! L’abbaye de Montserrat, le musée Guggenheim de Bilbao, le palais royal, la Casa Milà et la Sagrada Familia à Barcelone, l’Escurial, complexe religieux situé au pied du mont Abantos, la Valle de los Caídoslistes où sont enterrées les dépouilles de près de 34000 victimes de la guerre d’Espagne, la cathédrale de Palmar de Troya, siège de la papauté palmarienne, etc. On voit qu’il a vraiment potassé le sujet. Il ne s’est pas contenté de regarder sur Wikipédia ou d’éplucher des brochures touristiques. Non, il y est allé. Il a rencontré des gens, étudié des documents, fait des recherches, comme le montrent les nombreux remerciements et références en fin de volume. Du travail sérieux ! Ces descriptions didactiques donnent sans doute de la crédibilité à l’ouvrage mais, franchement, j’ai souvent eu l’impression de lire un guide de voyage. Dommage qu’il ne nous ait pas donné dans la foulée, la liste des bons hôtels et restaurants typiques, les endroits où sortir le soir. C’est peut-être d’ailleurs un nouveau concept littéraire à exploiter : le roman touristique actualisable toutes les années. Bref, ces parenthèses savantes, sans chaleur et sans âme, m’ont ennuyé plus qu’autre chose, tant elles m’ont paru artificielles.

Côté intrigue, on retrouve Robert Langdon le célèbre professeur en symbologie, embarqué dans une aventure mêlant science, action et ésotérisme (vous ne serez pas surpris, hein ?) avec à la clé rien de moins que la réponse aux trois grandes questions que se pose l’humanité : d’où venons-nous, que sommes-nous ? et où allons-nous ? Ces réponses, son ami et ancien élève Edmond Kirsch les connaît, et se propose de les partager avec le monde entier lors d’une spectaculaire présentation. Las, il est assassiné avant d’avoir pu révéler son secret.
Mais qui pouvait avoir intérêt à le tuer ? Les gardiens des trois grandes religions monothéistes bien sûr, car ce secret remet en cause l’existence même de Dieu ! (Eh oui !) Très vite les principaux soupçons se portent sur l’église catholique et sur l’archevêque Antonio Valdespino, un très proche du roi d’Espagne en train de mourir, puis sur une secte : l’Église chrétienne palmarienne. Robert Langdon, aidé par la belle et sculpturale conservatrice du musée Guggenheim où a eu lieu l’assassinat (par ailleurs fiancée du futur roi) et par un superordinateur nommé Winston, vont tout faire pour mettre la main sur ce secret et le diffuser au monde entier, poursuivis par la Gardia Real, la police, et un mystérieux tueur fanatique religieux.
Bien sûr, après d’épiques poursuites dans des lieux hautement symboliques (cf. plus haut) le méchant meurt en tombant du haut d’un escalier vertigineux de la Sagrada Familia. C’est ensuite le moment de la révélation. Elle intervient à partir de la page 468 jusqu’à la page 506. Je n’en dévoilerai rien, mais Brown s’est documenté pour être crédible puisque c’est là-dessus que repose toute l’intrigue de son roman. Mais ce secret censé faire vaciller les grandes religions et bouleverser l’humanité toute entière, fait pschitt ! Eh oui, comment aurait-il pu en être autrement ? Quand vous vendez au lecteur un tel enjeu dramatique, il est difficile de ne pas le décevoir par la suite !
Après cette « révélation », il reste encore 53 pages à Brown pour dénouer toutes les énigmes et pièges qu’il a semés devant le lecteur. Il s’y emploie plutôt bien et on sort de ses explications raisonnablement convaincu. Tant pis pour les quelques interrogations qui demeurent. De toute façon, le lecteur emporté par les évènements ne s’en souvient pas.
Ce que j’ai le plus apprécié dans Origine, la bonne trouvaille du livre, c’est la présence et le rôle joué par Winston le superordinateur, dont on apprendra (mais on s’en doutait quand même un peu !) que… Mais chut, je laisse au lecteur le soin de découvrir cet ultime rebondissement.

J’ai lu Origine avec plaisir, sans avoir envie de l’abandonner malgré ses 564 pages, ce qui, chez moi, est plutôt bon signe. On ne s’ennuie pas en chemin car il n’y a pas de temps morts et aucun gras (hormis les séquences touristiques, mais je suis sans doute un peu de mauvaise foi). Les personnages sont aussi épais que du papier RIZLA+. Conséquence : on n’a donc à aucun moment peur pour eux (de toute façon, on sait très bien que Langdon ne va pas mourir. On ne tue pas la poule aux œufs d’or ! Certains ont essayé mais « ils ont eu des problèmes » et ils ont dû faire revenir leur héros d’entre les morts). Brown suggère un timide, très timide, début d’histoire d’amour entre Langdon et Ambra Vidal, la directrice du musée de Bilbao. Mais comme c’est la promise du futur roi d’Espagne, ça ne se fera pas. Dommage. La passion n’existe pas chez Brown, sans doute parce qu’elle n’est pas scientifique. Le personnage le plus humain finalement c’est Winston le superordinateur.
Origine est donc un roman efficace, conçu pour être un best-seller. Sans surprise il en est devenu un comme ses prédécesseurs et, probablement, comme ses successeurs. Dan Brown a vendu « plus de 250 millions d’exemplaires » de ses livres en 56 langues selon son éditeur américain Penguin Random House. On ne va pas changer une formule qui gagne, hein ?

Pour lire la chronique précédente : Les Jardins de l’Ombre Jaune – Henri Vernes.