critique négative Le Grand Meaulnes Alain-Fournier

On trouve de tout dans les boîtes à livres. Des vieilleries surtout qui ne demandent qu’à reposer en paix. Mais parfois, aussi, des pépites. Cette rubrique vous propose de jeter un coup d’œil sur ces bouquins abandonnés et glanés au hasard de déambulations livresques.

Par Yves-Daniel Crouzet (retrouvez-le sur Facebook !)

Le grand mou

[Boîte à livres du pont de Boulogne-Billancourt]

Chef-d’œuvre pour les uns, chef-d’œuvre pour les autres, c’est avec une sourde angoisse que j’ai attaqué Le Grand Meaulnes. J’ai, en plus, eu le malheur de lire la préface et les commentaires de Daniel Leuwers inclus dans cette édition, avant d’attaquer le livre. Erreur funeste ! Ces propos érudits et dithyrambiques ne m’en ont que glacé davantage. Résultat : je suis entré dans Alain-Fournier (ne voyez là aucune grivoiserie) avec la boule au ventre et chaussé de patins de peur de rayer ce parquet poli par des générations de lecteurs et de critiques énamourés et élégiaques.

Meaulnes, la tête à demi cachée dans le collet de son manteau, comme dans une fraise, se sentait un autre personnage. Lui aussi, gagné par le plaisir, il se mit à poursuivre le grand pierrot à travers les couloirs du Domaine, comme dans les coulisses d'un théâtre où la pantomime, de la scène se fut partout répandue.
Le Grand Meaulnes, extrait de la page 65.

Las ! je me suis ennuyé à arpenter les pages de ce chef-d’œuvre. Le début avait des petits airs de La guerre des boutons de Louis Pergaud, la truculence en moins. Ensuite il y a eu ce voyage un brin halluciné en charrette à travers une campagne sinistre et puis l’épisode fantasmatique de la fête du château. Puis le retour à la réalité, si on peut dire, dans cette drôle d’école où reprennent les escarmouches estudiantines, bien gentillettes, entre factions rivales.

le grand Meaulnes extrait
Le Grand Meaulnes, extrait de la page 91.

La suite vous la connaissez sans doute : un drame compliqué se noue à partir de la troisième et dernière partie. On y joue à je te perds je te trouve, et à qui aime qui.
J’aurais aimé aimer, mais ce n’est pas le cas. J’en suis honteux et confus. Imaginez : un tel chef-d’œuvre ! Un peu anxieux aussi de me voir jugé et cloué au pilori.

le grand Meaulnes extrait
Le Grand Meaulnes, extrait de la page 192

Pour ma défense, je dirais que ce n’est pas ma faute votre honneur, c’est celle de tous ces gens trop bien instruits qui ont mis sur un tel piédestal ce monument. Tant de hauteur ! Tant de grandeur ! Je ne pouvais que trébucher ! Mais c’est promis, votre honneur, je ne recommencerai pas. Je ne m’attaquerai plus à un monstre littéraire si sacré qu’il glace et pétrifie son pauvre lecteur. La prochaine fois qu’un de ces intouchables au format de poche, usé par des générations de mains moites et dévotes, me fera de l’œil dans une boîte à livres, je fermerai les miens et passerai mon chemin. Croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer !

le grand Meaulnes couverture livre de poche
Le Grand Meaulnes, roman d’Alain-Fournier (1913), éditions Le livre de poche (1996).

Pour lire la chronique précédente : Le Temps n’a pas d’odeur – Gérard Klein