
How Watson Learned the Trick est une nouvelle d’Arthur Conan Doyle, datée de 1922, qui consiste en un dialogue entre Sherlock Holmes et son ami Watson. Le titre est souvent traduit « Comment Watson apprit le truc », mais qu’on pourrait rendre aussi par « Comment Watson saisit l’astuce », par exemple. Il s’agit de la 54ème histoire de Doyle mettant en scène Holmes, mais elle est considérée comme une auto-parodie de la part de l’auteur, qu’on peut cependant rattacher au « canon » (soit l’ensemble des textes censés raconter l’histoire cohérente de Sherlock Holmes), même si la chose est contestée.
On y découvre un Watson quelque peu acerbe, persuadé qu’il a enfin découvert comment reproduire la méthode de déduction (ou d’abduction) de Holmes ; ce dernier, qui ne se démonte pas, défie le brave docteur d’appliquer le « truc » !
Il faut préciser que cette nouvelle très courte a été écrite spécifiquement pour la bibliothèque de la Maison de Poupées de la Reine : le manuscrit de trente-trois pages est donc d’abord un livre miniature, relié par la prestigieuse entreprise de reliure londonienne Sangorski & Sutcliffe. La nouvelle cependant a été rééditée plusieurs fois, et ce dès 1924 dans The Book of the Queen’s Dolls’ House (volume 2, éditions Methuen & Co, qui publiaient aussi des nouvelles de Doyle), au tirage limité à mille cinq-cents exemplaires, qui contient des fac-similés des textes inclus dans la bibliothèque de la maison de poupées de la reine.
Je propose ci-dessous une traduction personnelle de la nouvelle, suivie d’un bref commentaire.

Comment Watson apprit le truc
Watson était resté à observer attentivement son compagnon depuis l’instant où celui-ci s’était assis à la table du petit-déjeuner. Il advint qu’Holmes leva la tête et croisa son regard.
« Eh bien, Watson, à quoi pensez-vous ? demanda-t-il.
— À vous.
— À moi ?
— Oui, Holmes. Je songeai à quel point vos trucs sont superficiels, et comme il est merveilleux que le public continue de leur témoigner de l’intérêt.
— Je suis tout à fait d’accord, dit Holmes. À vrai dire, j’ai souvenir d’avoir fait moi-même une observation semblable.
— Vos méthodes, répliqua Watson avec sévérité, sont bien facilement acquises.
— Sans nul doute, répondit Holmes en souriant. Peut-être vous-même donnerez-vous un exemple de cette méthode de raisonnement.
— Avec plaisir, fit Watson. Je suis en capacité de dire que vous étiez fort préoccupé lorsque vous vous êtes levé ce matin.
— Excellent ! réagit Holmes. Comment donc pourriez-vous savoir cela ?
— Parce que vous êtes d’habitude un homme très soigné, et pourtant vous avez oublié de vous raser.
— Ma foi ! Quelle perspicacité ! dit Holmes. J’ignorais totalement, Watson, que vous étiez un étudiant si convenable. Votre œil d’aigle a-t-il décelé quoi que ce soit d’autre ?
— Oui, Holmes. Vous avez un client nommé Barlow, et vous n’avez pas eu de succès dans son affaire.
— Ça, par exemple ! Comment le savez-vous ?
— J’ai vu le nom sur l’enveloppe. Lorsque vous l’avez ouverte, vous avez poussé un grognement et l’avez renfoncé dans votre poche en fronçant les sourcils.
— Admirable ! Vous êtes observateur, en effet. Autre chose ?
— Je crains, Holmes, que vous ne vous livriez à la spéculation financière.
— Qu’est-ce qui vous fait dire cela, Watson ?
— Vous avez ouvert le journal, êtes allé à la page boursière, et avez montré votre intérêt par une exclamation bruyante.
— Bien, voilà qui est très sagace de votre part, Watson. Rien d’autre ?
— Si, Holmes, vous avez mis votre manteau noir, au lieu de votre robe de chambre, ce qui prouve que vous attendez quelque visiteur important d’un instant à l’autre. »
— Quoi de plus ?
— Je ne doute pas de pouvoir trouver d’autres éléments, Holmes, mais je ne vous fournis que ce petit nombre-là, assez pour vous montrer qu’il y a d’autres gens dans le monde qui peuvent s’avérer aussi habiles que vous.
— Et d’autres qui ne le sont pas tant, fit Holmes. J’admets qu’il en est peu de cette dernière sorte, mais j’ai bien peur, mon cher Watson, de devoir vous compter parmi eux.
— Que voulez-vous dire, Holmes ?
— Eh bien, mon cher camarade, je crains que vos déductions n’aient pas été si heureuses que je l’aurais souhaité.
— Vous dites que je me suis trompé.
— Quelque chose comme cela, je crains. Reprenons vos observations dans l’ordre : je ne me suis pas rasé, parce que j’ai fait porter mon rasoir au rémouleur pour qu’il soit aiguisé. J’ai mis mon manteau parce que, comble de malchance, j’ai rendez-vous tôt chez mon dentiste. Il se nomme Barlow, et la lettre servait à confirmer le rendez-vous. La page consacrée au cricket se trouve face à celle de la bourse, et je m’y suis rendu afin de découvrir si l’équipe du Surrey avait tenu bon contre celle du Kent. Mais persévérez, Watson, persévérez ! Il est très superficiel, le truc, et nul doute que vous le ferez bientôt vôtre. »

La Maison de Poupées de la Reine Mary
Mary de Teck, devenu reine consort du Royaume-Uni par son mariage avec le roi George V, était une collectionneuse passionnée, qui apprécie notamment les miniatures. C’est la princesse Marie-Louise, cousine de George V, qui a l’idée d’offrir à la reine une maison de poupées miniature qu’elle commande en 1921 à Edwin Lutyens, architecte de renom.
Celui-ci conçoit une maison aristocratique typique, londonienne, fabriquée à l’échelle 1/12, réputée être la plus grande maison de poupées du monde : elle inclut un jardin, dessiné par la paysagiste Gertrude Jekyll, une cour, un sous-sol avec garage, cave et cuisines… tout cela avec électricité et eau courante ! Tout cela prend du temps, et elle est donc achevée en 1924, et conservée au château de Windsor.
La bibliothèque y occupe une place de choix, décorée par de véritables peintures et sculptures. On y trouve par ailleurs une salle d’armes et un fumoir, selon la mode du temps. Elle compte 600 livres, dont 176 sont des reproductions d’ouvrage.
Il faut préciser que c’est la reine elle-même qui se donne le rôle de la bibliothécaire, aidée de l’auteur E.V. Lucas qui édite par la suite The Book of the Queen’s Dolls’ House. Leur objectif est d’obtenir une bibliothèque représentative de l’époque (et des idéaux royaux) : quelque deux cents écrivains réputés sont contactés, à qui sont envoyés des volumes miniatures vierges, reliés de cuir. Certains refusent, tels Virginia Woolf ou George Bernard Shaw, mais beaucoup contribuent, dont on peut nommer : J.M. Barrie, John Buchan, G.K. Chesterton, Joseph Conrad, Sir Arthur Conan Doyle, John Galsworthy, Robert Graves, Thomas Hardy, Aldous Huxley, Rudyard Kipling, Somerset Maugham, A.A. Milne and Vita Sackville-West… Des poètes, des romanciers, des essayistes ou des dramaturges, des auteurs aussi qui sont associés à différents genres ou catégories, aventure, science fiction, policier, fantastique, fantasy, jeunesse…

Une nouvelle entre prestige et auto-parodie
C’est ainsi que Doyle écrit « How Watson Learned The Trick », nouvelle originale (les auteurs pouvaient aussi recopier un texte déjà paru) au ton léger. Le livre miniature qui contient la nouvelle compte trente-quatre pages, et mesure 3.9 x 0.7 cm d’après le Royal Collection Trust ! Il est relié en peau de chèvre, avec des dorures (pour le titre et le nom de l’auteur, notamment), le monogramme de la reine et le symbole de la couronne.
On ignore si Doyle a écrit directement la nouvelle dans le livre miniature, ou s’il a d’abord écrit sur des feuillets à part, ce qui ferait du livre miniature une copie. En tout cas, le fait que Doyle fasse partie des auteurs retenus pour la minuscule bibliothèque royale montre assez le prestige qui est alors le sien, prestige dû pour beaucoup à Sherlock Holmes, ce glorieux maître du « whodunit » !
Il faut toutefois relever que Doyle écrit la nouvelle à une époque où il délaisse plus ou moins le détective : fatigué de son personnage, il l’a déjà « tué » dans « The Final Problem » (« Le Dernier Problème ») en 1893. En 1896, il écrit cependant « The Field Bazaar » (« La Kermesse sportive »), nouvelle comique, mise en abîme dans laquelle Holmes et Watson discutent à table : Holmes déduit finalement ce qu’envisage de faire Watson, qui est d’écrire… leur discussion. Le texte, auto-parodique, n’est pas considéré comme « canon » et annonce déjà « Comment Watson apprit le truc ».
En 1923, Doyle s’est depuis résigné à faire revenir Holmes, mais la période correspond aux dernières nouvelles (la toute dernière étant publiée en 1927), celles-ci étant souvent considérées de moindre qualité. Doyle à la même époque se montre plutôt intéressé par le spiritualisme, loin donc semble-t-il de l’esprit rationnel de son héros… dont il moque gentiment, dans la nouvelle, la superficialité de la méthode : si la plupart du temps Holmes tombe juste, au contraire de Watson, n’est-ce pas seulement parce que l’auteur le veut bien ? Reste qu’il est amusant de voir Watson se rebeller quelque peu contre Holmes, allant jusqu’à qualifier son talent d’enquêteur de « truc », et s’efforçant, comme sans doute certains lecteurs, de jouer les détectives à la place du détective. Les habitués de récits holmésiens auront d’ailleurs remarqué que Watson, chose, rare, n’est pas le narrateur du texte.
Autre détail plaisant : « Comment Watson apprit le truc » est un des rares textes où Doyle évoque le cricket, une de ses passions (lui-même y jouait dans l’équipe d’amateurs des Allahakbarries, fondée par son ami James Matthew Barrie !). Cela fait là aussi écho à « La Kermesse sportive », qui abordait le thème.
Par ailleurs, si bref et comique soit-il, le texte suscite suffisamment l’intérêt pour avoir eu droit à une reproduction à l’échelle, par l’éditeur Walker Books, qu’on peut toujours se procurer.
Les amateurs pourront par ailleurs lire une autre traduction de la nouvelle sur le site de la Société Sherlock Holmes de France !

How Watson Learned the Trick
Watson had been watching his companion intently ever since he had sat down to the breakfast table. Holmes happened to look up and catch his eye. « Well, Watson, what are you thinking about? » he asked.
« About you. »
« Me? »
« Yes, Holmes. I was thinking how superficial are these tricks of yours, and how wonderful it is that the public should continue to show interest in them. »
« I quite agree, » said Holmes. « In fact, I have a recollection that I have myself made a similar remark. »
« Your methods, » said Watson severely, « are really easily acquired. »
« No doubt, » Holmes answered with a smile. « Perhaps you will yourself give an example of this method of reasoning. »
« With pleasure, » said Watson. « I am able to say that you were greatly preoccupied when you got up this morning. »
« Excellent! » said Holmes. « How could you possibly know that? »
« Because you are usually a very tidy man and yet you have forgotten to shave. »
« Dear me! How very clever! » said Holmes. « I had no idea, Watson, that you were so apt a pupil. Has your eagle eye detected anything more? »
« Yes, Holmes. You have a client named Barlow, and you have not been successful with his case. »
« Dear me, how could you know that? »
« I saw the name outside his envelope. When you opened it you gave a groan and thrust it into your pocket with a frown on your face. »
« Admirable! You are indeed observant. Any other points? »
« I fear, Holmes, that you have taken to financial speculation. »
« How could you tell that, Watson? »
« You opened the paper, turned to the financial page, and gave a loud exclamation of interest. »
« Well, that is very clever of you, Watson. Any more? »
« Yes, Holmes, you have put on your black coat, instead of your dressing gown, which proves that your are expecting some important visitor at once. »
« Anything more? »
« I have no doubt that I could find other points, Holmes, but I only give you these few, in order to show you that there are other people in the world who can be as clever as you. »
« And some not so clever, » said Holmes. « I admit that they are few, but I am afraid, my dear Watson, that I must count you among them. »
« What do you mean, Holmes? »
« Well, my dear fellow, I fear your deductions have not been so happy as I should have wished. »
« You mean that I was mistaken. »
« Just a little that way, I fear. Let us take the points in their order: I did not shave because I have sent my razor to be sharpened. I put on my coat because I have, worse luck, an early meeting with my dentist. His name is Barlow, and the letter was to confirm the appointment. The cricket page is beside the financial one, and I turned to it to find if Surrey was holding its own against Kent. But go on, Watson, go on! It ‘s a very superficial trick, and no doubt you will soon acquire it. »