Les neiges du Kilimandjaro Hemingway critique

On trouve de tout dans les boîtes à livres. Des vieilleries surtout qui ne demandent qu’à reposer en paix. Mais parfois, aussi, des pépites. Cette rubrique vous propose de jeter un coup d’œil sur ces bouquins abandonnés et glanés au hasard de déambulations livresques.

Par Yves-Daniel Crouzet (retrouvez-le sur Facebook !)

Neiges éternelles ?

[Boîte à livres de la Porte de Versailles (Paris)]

Les neiges du Kilimandjaro, pour ceux qui l’ignoreraient (j’en faisais partie) est un recueil de douze nouvelles du grand auteur américain Ernest Hemingway, prix Nobel de littérature en 1954 pour l’ensemble de son œuvre (et d’ailleurs vous pouvez lire une de ses premières nouvelles ici !). Je connaissais le film qui a été tiré de la nouvelle titre en 1952, avec la sublime Ava Gardner et le fade Gregory Peck (ces qualificatifs n’engagent que moi !).
Douze nouvelles donc, qui sont toutes, sauf rares exceptions, des instantanés d’époque, de situations, de moments de vie différents. On m’a parfois reproché d’écrire des histoires qui ressemblaient à des prologues de roman. Ernest Hemingway le faisait bien, lui ! Seules Les neiges du Kilimandjaro, La capitale du monde et L’heure triomphale de Francis Macomber, qui ont un début et une fin, échappent à cette règle.

Sommaire  Les neiges du Kilimandjaro Hemingway
Sommaire du recueil de nouvelles Les neiges du Kilimandjaro.

Hemingway excelle dans l’art de planter un décor, que celui-ci soit extérieur (une route d’Espagne dans Le vieil homme près du pont, une rivière dans La fin de quelque chose, la savane africaine dans L’heure triomphale de Francis Macomber) ou intérieur (cafés de gare dans Hommage à la Suisse, cuisine d’un restaurant dans La capitale du monde). Le style est direct, précis et il ne s’embarrasse pas de métaphores. Des faits rien que des faits.

Les neiges du Kilimandjaro extrait
Les neiges du Kilimandjaro, extrait de la page 48.

Dans ces différents textes Hemingway nous fait le portrait quasi journalistique d’individus paumés qui semblent attendre quelque chose ou qui sont en route pour quelque part. Des gens souvent pas très malins (ou trop naïfs) qui noient leur incompréhension de la vie dans l’alcool ou l’espoir d’un avenir meilleur.
J’ai plus particulièrement aimé L’heure triomphale de Francis Macomber, peut-être parce que c’est l’une des plus longues et qu’Hemingway y prend le temps d’installer ses personnages et de leur faire vivre de vraies aventures. Dans cette histoire, le lecteur fait la connaissance d’un riche Américain et de sa belle épouse, partis faire un safari en Afrique. Au moment d’achever un lion blessé et dangereux l’époux, terrifié, s’enfuit et c’est toute sa vie qui bascule. Sa femme le méprise pour cette lâcheté et le trompe avec leur guide. Pourtant, le lendemain, confronté à une situation similaire mais avec un buffle cette fois, il fait face à sa peur, la domine et réveille l’Homme qui dormait en lui. Las ! Sa femme craignant que cet homme nouveau ne soit plus aussi docile et malléable que l’ancien et qu’il la quitte, préfère l’abattre d’un coup de fusil en faisant croire à un accident de chasse. La femme est une louve pour l’homme, semble ici nous dire Hemingway.

Les neiges du Kilimandjaro, extrait de la page 163.
Les neiges du Kilimandjaro, extrait de la page 164.

Dans Les neiges du Kilimandjaro, c’est l’histoire d’Harry allongé sur son lit de camp, la jambe rongée par la gangrène, qui attend aux côtés de sa riche épouse, l’avion qui le ramènera à la civilisation et, peut-être (mais il n’y croit pas lui-même), le sauvera. Ici le personnage féminin est admirable d’amour et de compassion. Le salaud, c’est Harry. Un écrivain manqué, séducteur de femmes riches, auxquelles il reproche ensuite d’inhiber sa créativité. Tandis qu’il agonise lentement, nous replongeons avec lui dans sa vie passée, riche de péripéties mais peu reluisante, qui aurait dû constituer la matière première de son œuvre. Une œuvre toujours remise à plus tard par la peur de ne pas être à la hauteur : « Maintenant, jamais il n’écrirait les choses qu’il avait gardées pour les écrire jusqu’à ce qu’il eût assez appris pour les écrire bien. » (page 11) La fin est sans surprise. Harry partira comme il a vécu : dans ses rêves.
De l’ensemble de ce recueil, je retire une impression mitigée : celle d’avoir regardé par le trou de la serrure la vie (et parfois la mort) d’hommes et de femmes, sans jamais avoir vraiment appris à bien les connaître.

Les neiges du Kilimandjaro Hemingway couverture
Les neiges du Kilimandjaro, recueil de nouvelles d’Ernest Hemingway (1938), éditions Le livre de Poche (1958).

Pour lire la chronique précédente : Le printemps romain de Mrs. Stone – Tennessee Williams.