Alexis Bacci et Captain Death, mise à nu

 
Alexis Bacci est le dessinateur et scénariste de la bande dessinée Captain Death sortie en 2019 aux éditions Casterman. Un peu auparavant, il avait collaboré avec Bastien Vivès à la création de Lastman Stories : Soir de Match, épisode à part de la série à succès Lastman. C’est aussi l’auteur de la BD Bikini Wars et le fondateur du projet underground AKASAKE.
Et puis, il aime partager : ses références, ses admirations, ses choix et ses galères d’auteur… la vie, donc, qui fait la nique à Capitaine La Mort et qui vaut bien un entretien avec Alexis Bacci pour qu’il puisse mettre les poings, enfin les points, sur les i !

Captain Death sur un trône de crânes, dessin d'Alexis Bacci
Crâneuse.

– Captain Death ! Le titre, déjà, mérite que tu le commentes… Comment est né le projet ?

Bastien enchaîne les projets et je voulais enchaîner direct après Soir de Match. Ne pas attendre deux ans de repenser à un autre projet, puis encore mettre quatre ans à le faire. 2015 donc a été très compliqué. Je dessinais pas mal de têtes de mort, de trucs un peu darkos…. La méga genèse du truc c’est grâce à Vince. Quand je fais AKASAKE je dessine plein de meufs qui baisent avec des squelettes. Un peu comme les mecs de Broken Fingaz.
Vince kiffe bien et nous sommes amis. Je lisais ses BD avec Stan en 93. Alors l’avoir en pote c’est vraiment génial. Il s’émerveille encore de tout et ça m’aide car je pourrais vite être aigri sans des gens comme lui autour de moi. Eux ils ont 14 ans quand ils voient un dessin qu’ils aiment.
Il aime bien mon délire sur les meufs et les squelettes, qui ne vient du coup même pas vraiment de moi. Il se met à en dessiner aussi et on rebondit des fois sur les dessins l’un de l’autre. Un jour il tape une meuf à poil avec une cape et une tête de mort à la peinture à l’huile… Je pense que ça m’a influencé aussi car c’était quelques temps avant que je dessine la première Captain death.

Projet de dessin pour Captain Death par Alexis Bacci
La mort viendra et elle aura tes yeux. Et un gros flingue à la Nikola Tesla.

Je dessine pas mal dans le métro et sur un carnet je dessine une sorte de mort de l’espace, un peu bonne. Je pense « Captain death ». De là, je pars sur le trip : la terre est détruite et elle pourchasse les humains à travers l’univers. Par rapport à d’autres idées que je peux avoir, celle-là est d’une simplicité bête a pleurer. Et les idées découlent facilement, je sais ce que je vais faire dès que j’aurai fini Soir de Match. Je note les idées une à une quand elles arrivent. Et quand je dois commencer la BD l’histoire s’était écrite d’elle-même.

– Tu dédies cette BD à « tous ceux qui ont eu affaire de près ou de loin à Captain Death, particulièrement en 2015 »… Ferré chantait que la mort est « un sujet tabou pour poète maudit ». Pourquoi ce sujet ?
 
J’ai eu besoin de régler mes comptes avec la mort, elle est trop forte, mais elle est vulgaire. Dans ses manières, dans ses choix. La « justice française » ne m’a pas trop rendu justice et j’avais besoin de sortir cette colère. Faire un truc dark c’était reconnaître que je jouais le jeu. Je n’aime pas Scream mais il y a un parallèle, je me fous de sa gueule je la ridiculise comme le tueur est tourné en ridicule dans le film.
Captain Death : Elle se fait défoncer. C’est une fonctionnaire. Elle a un rôle de merde et certainement nécessaire, mais bon quand on est en face il faut bien défendre son propre intérêt. A savoir, rester en vie. 2015, tout le monde meurt ou voit des gens mourir. Je n’avais jamais connu une année aussi noire. Il est autant question de justice que de la mort ou de « résilience » pour employer le mot à la mode.

Captain par Alexis Bacci, modèle de vaisseau spatial humain
Quand on ne peut pas changer le monde, on en change ?

C’est le coté « jusqu’au dernier round » que je voulais montrer. Je tiens ça de ma mère, elle fait 1,60, immigré italienne avec un petit diplôme d’institutrice. Elle a tout défoncé dans sa vie. Toute sa vie. Ça serait trop long et elle n’aime pas que j’en parle trop. Mais elle a un côté char d’assaut qui m’a toujours impressionné. Elle n’a jamais dépendu d’un homme. Super socialiste, mais pas le même que je vois beaucoup autour de moi. Elle n’a jamais demandé un sou, a travaillé toute sa vie et a aidé plein de gens sans en faire état, jamais. J’apprenais des trucs des années après. Face à la mort de ceux qu’elle aime ou face à l’adversité qu’elle a pu connaître, et le mot est faible. Elle a toujours été d’un courage sans faille, d’un optimiste inébranlable. Elle est née prématuré suite à un bombardement ou une alerte à la bombe à Milan. Ils ont fait venir le prêtre avant la sage-femme. On disait à sa mère « t’es jeune t’en aura d’autre ». C’est un toubib qui était là qui disait « ce bébé vivra », ils l’ont mise dans une boite à chapeau avec du coton et des bouteilles d’eau chaude. Elle est toujours là et c’est bien la personne la plus forte que je connaisse je crois.

Ce coté « on va tous mourir, autant être courageux », si je devais résumer : ça me fascine. La chanson de Lenny Kravitz « it ain’t over until it’s over » c’est sur une histoire d’amour mais ça s’adapte aussi à la vie je pense.

Captain Death était visuellement sexualisée par Alexis Bacci au départ
Y a le bon et le mauvais chasseur.

– Quelle est l’histoire de la conception visuelle du personnage de Captain Death ?

Comme j’ai répondu plus haut il y a ce côté tirage de bourre entre moi et Vince. Beaucoup de gens me parlent de Skeletor alors que je n’y ai jamais pensé, même si aujourd’hui il y a une évidence. Et j’adorais Skeletor, petit. C’est juste la mort, Captain Death, rien de bien original. J’ai toujours bien aimé les danses macabres, les squelettes animés de Ray Harryhausen, les crânes sur les étagères des sorcières, le clip Torture de Michael Jackson. Même au cinéma celle qui apparaît dans Le baron de Münchhausen je la trouvais bien. Ou dans Dellamorte Dellamore de Michel Soavi. Les affiches d’Evil Dead ou le logo de skate dont le nom m’échappe avec une tête de mort.

Dellamorte Dellamore avec Rupert Everett, adaptation partielle de Dylan Dog
Rupert Everett et François Hadji-Lazaro (des Garçons Bouchers !) dans Dellamorte Dellamore, 1994, sorte de version ciné de la BD italienne Dylan Dog !

C’est juste la faucheuse en fait à part qu’elle a un bop gun… Le concept la terre est détruite ça vient des délires Albator, Capitaine Flam et Goldorak….

– Tu conçois Captain Death comme le personnage principal, l’antagoniste ?… Qui sont les héros dans la bd ?
 
Captain death est plus un « concept », comme la mort peut l’être. Elle a un côté Jason dans Vendredi 13. Quid d’un tome avec d’autres espèces que les humains ? Du moment qu’il y a une idée ou un fond je suis chaud. Même si d’autres veulent le reprendre je suis assez ouvert à cette idée et elle est là et on en parle déjà avec d’autres et avec mon éditeur.

Vendredi 13 de Sean S. Cunningham, Jason apparaît brièvement
La nature, l’air pur, Jason qui joue à Gollum : bienvenue dans Vendredi 13, film d’horreur de 1980 !

Je ne pense pas justement qu’il y ait à proprement parler de « Héros », ils roulent tous plus ou moins pour leurs pommes. D’ailleurs, de Bikini Wars à Captain Death, la notion du héros est assez floue. Le bien, le mal, c’est relatif. Je vais être plus sensible aux chemins qu’ont les personnages. À la notion de « monstre » au sens étymologique du terme. La normalité des réactions face à une situation. Le héros par définition c’est celui qui s’inscrit plus dans l’extraordinaire, par ses choix exceptionnels. C’est une idée assez bien décrite dans A writer’s journey de Christopher Vogler. Tu vas affronter le dragon pour sauver la princesse ? Ok mais tu risques de mourir. J’y vais quand même ! Ha ok, donc t’as pas peur de la mort ou tu es prêt à mourir. Mais ça ne dit pas si tu le fais parce que tu es idiot ou courageux… Parce que tu veux baiser la princesse, parce que tu l’aimes, parce que tu veux la gloire, l’argent, ou juste te dire que tu vas défoncer un dragon.

– Il ne reste plus qu’une poignée d’êtres humains en vie dans la BD, comment as-tu choisi ces survivants ? Il y en a un qui est particulièrement répugnant…
 
Quand j’ai été pris aux Gobelins, il y avait des potes qui étaient meilleurs que moi, qui avaient plus travaillé. J’ai été pris, eux non. C’est la vie. Aussi, celui qui a choisi les survivants a ses raisons. Sur un bateau, il faut des soumis et des chefs, des techniciens, des guerriers, des cuisiniers, des mecs sympas, voir des gros cons. Si tu n’as que des Brad Pitt comment les femmes font-elles leurs choix ? Sans méchant, pas de gentil. C’est un peu la comédie humaine ça. J’imagine.

Projet d'illustration en couleurs de Captain Death
Voir la mort en couleurs.

Cette BD est une catharsis donc j’y ai aussi mis des revanches perso. Le « répugnant », si c’est de « Dee » qu’il s’agit. Cela vient d’une histoire vraie. Il y a des années, ma petite amie de l’époque était harcelée par un type. Elle gérait un passé compliqué qui l’empêchait de faire des esclandres. Notre relation était compliquée aussi il faut dire. Des soirs elle rentrait en pleurs à cause des sous-entendus graveleux de ce mec qui ne la lâchait pas. C’était avant Metoo etc… pour la faire simple, un jour pour une histoire ça a dégénéré. J’ai fini par appeler le gars. Au téléphone il m’a mis hors de moi car il faisait son malin et se croyait trop fort.

L’histoire est pathétique et personne n’en ressort grandi, et certainement pas moi. Il m’a insulté et je me suis pointé et je lui ai dit qu’on allait s’expliquer. Je n’avais aucune envie de le frapper d’ailleurs. Il est descendu avec 7 de ses collègues. En voyant autant de dégueulasserie, j’ai vrillé. Quand j’ai été vers eux ils ont tous détalé, sauf lui, qui n’avait pas compris que ses potes s’enfuyaient. C’était très cocasse en fait. On n’est pas dans du Jacky Chan, mais plutôt dans du Laurel et Hardy. Je l’ai attrapé par le col et lui ai mis deux baffes. Il s’est ensuite enfui et s’est pris un scooter. Benny Hill quoi. Le scooter allait a deux à l’heure. Pas vraiment de bobo. De là je me barre rapidement.

Alexis Bacci cite Benny Hill, le comique des années 1960-1980
Benny Hill dans Heroes through the ages, 1989.

Le mec m’a fait un procès. Les petits sont souvent procéduriers quand ils se font humilier. D’ailleurs ça signifie leur lâcheté. Ma copine ne voulait pas témoigner, elle avait peur vis-à-vis de son employeur. J’ai été condamné à 1000 euros d’amende, 1000 euros de dommages et intérêts et ça m’a coûté 2000 euros d’avocats. 4000 balles en tout. Mes potes du taekwondo en pleuraient de rire. « Déconne pas tu vas te prendre une baffe à deux milles euros ! », « Heureusement que tu lui a pas mis un coup de pied dans la tête ! Combien ça coûte un coup de boule ? hin hin hin »…

Au tribunal ce mec pleurait en parlant du « traumatisme » mais il faisait son malin derrière encore, je le sais car des potes bossaient avec lui. Cette histoire m’a collé longtemps. Passer pour un mec violent c’est jamais glop. C’est sûr que des hashtags ça va trop faire avancer le truc hein… Mais bon, à cette époque j’avais trouvé que ça, me pointer et ça s’est terminé sur deux gifles. Le mec s’était fait prescrire huit jours d’ITT alors que sa feuille de travail indiquait qu’il avait continué à bosser comme si de rien le jour même et le lendemain. La juge me parlait comme si j’étais un fou dangereux et une merde, l’autre pleurait et l’histoire avec cette fille s’était finie pour d’autres raisons des mois plus tôt. Parce que la justice en France pour une histoire aussi « importante » ça mets deux ans et demi à se régler.

Personnages esquissés par Alexis Bacci
Recherches de personnages. Sur la gauche, Dee, d’après une histoire vraie.

Bref, en pensant à ce mec je me suis dit que ça ferait un bon perso. Mais c’est ma vision. Devant la loi ce mec aurait dû prendre plus cher que moi. Harcèlement, faux témoignages, etc… Je préfère en rire dans la BD. Mais sur le bien et le mal, ce mec a plein d’amis et il a réussi : dans sa tête la notion du bien et du mal n’est pas la même que la mienne. Il n’y a pas de héros. Quant à la justice, certains croient au Karma (j’aimerais y croire), d’autres à la justice divine… La « justice » des hommes…bof. Dans la BD je voulais que ça se voit que nos actes ont des conséquences. Je ne dis même pas que ce qui lui arrive est « juste ». D’ailleurs, c’est dit plus loin « Vous n’avez pas besoin d’elle (captain death) pour vous entretuer ».

Une chose est sûre cette histoire me fait penser à La Grande Bouffe de Marco Ferreri, quand on dit à Philippe Noiret « vous êtes juges ? mais ça doit être merveilleux de faire la justice ! ». Il répondait « il s’agit plutôt d’appliquer la loi et ce sont deux choses bien différentes ». Effectivement, paye tes lois d’ailleurs…

Michel Piccoli, Philippe Noiret et Ugo Tognazzi dans La Grande Bouffe, 1973.
Michel Piccoli, Philippe Noiret et Ugo Tognazzi dans La Grande Bouffe, 1973.

Tout ça est loin, mais clairement dans les BD je mets ce que je vis parfois. Je crains d’ailleurs que ce ne soit le seul intérêt de mon travail. Ce côté vécu.

– Dans l’univers de Captain Death, on aperçoit toute une flopée d’extraterrestres très variée, dont certains sont des clins d’œil, et tu évoques l’existence d’une confédération galactique, par petites touches : quel univers as-tu en tête quand tu parles de ça ?
 
Il y a beaucoup de clins d’œil, je pensais en dessinant Suburra aux planches de RanXerox à Rome ou à Milan. À certaines scènes de Cobra aussi. J’en ai profité pour caser des tronches d’aliens que je pouvais tomber comme ça des fois en dessinant « pour rien » dans des carnets. Il y a des Tengu aussi. J’avais adoré Demain les oiseaux de Tezuka. Suburra était le quartier des putes dans la Rome antique et c’est le titre d’un bon polar italien sorti quand je travaillais sur le projet.

Les extraterrestres par Alexis Bacci
Gueules d’aliens.

Dans les scenarii que j’ai écrit vers la vingtaine en croyant que je ferais du cinéma, il y en a un ou j’opposais des rebelles de l’espaces à une confédération galactique. Un peu totalitaire mais propre sur elle. Le vocabulaire utilisé dans Captain Death c’est celui que j’avais pu développer depuis des années.

En BD c’est cool de raconter des choses par le dessin, mais aussi par les dialogues et le choix des mots. Il y a des mots qui sont imagés. Je pense a des expressions qui me marquent depuis toujours. « Les perles de pluie venue de pays où il ne pleut pas », les « princes sans royaumes », les « douleurs de vie », les « vies sans existence »… Il doit y avoir un côté vieille France intello un peu chiante.

Générique de Cobra d'après Terasawa
Cobra (1982), générique de la série d’animation d’après ce génie de Buichi Terasawa.

D’ailleurs les tentatives d’écriture de roman ou de nouvelles que j’ai pu faire ne marchaient pas à cause de ça. Le coté verbeux à rallonge. Il n’y a qu’a regarder la longueur de cet entretien que je ne suis pas quelqu’un qui arrive a synthétiser sa pensée pour aller à l’essentiel. Les dialogues me permettent de pallier mon manque de plume. D’être plus concis.

– Tu pratiques un art martial : en tires-tu parti pour représenter l’action ?
 
Certainement un peu, mais j’en tire moins parti que, là encore, le vocabulaire graphique et narratif que j’ai pu me faire grâce au cinéma. Les arts martiaux m’ont apporté d’autres chose en fait. J’ai toujours aimé la bagarre, même si je n’aime pas la violence. Je ne supporte pas les scènes de viol au cinéma par exemple. Je ne peux juste pas les regarder. Les Accusés ou Délivrance ont des scènes qui me sont insoutenables.

John Voight souffre dans Deliverance de Boorman
John Voight dans Deliverance (1972) de John Boorman.

Les arts martiaux m’ont apporté de l’humilité et de l’abnégation. Du moins dans cette discipline et à cette époque. Le contraire des phrases à la con genre « nous sommes plus grands que nous-mêmes ». Clairement pas. Mais on peut pousser ses limites et ses compétences.

Jeune, j’ai fait un peu d’art martiaux, mais quand j’y suis revenu j’étais déjà vieux, j’avais 26 ou 27 ans. J’ai eu un parcours honorable, mais rien de grand non plus. Pour plein de raisons qui seraient vraiment hors sujet et trop longue à expliquer ici.
Par contre, les gens que j’y ai rencontrés, les choses que nous avons vécus ensemble, les fous rires, les mauvais moments, les amitiés fraternelles, les brouilles fratricides, les peurs avant d’aller sur l’aire de combat, l’implication et l’empathie quand nos amis combattaient. Tout ça, ça m’a plus enrichi et donné de la matière quand je veux raconter quelque chose. Gros mélange de culture aussi.
Sur les scènes d’action, les bonnes idées viennent plus de choses que j’ai vues et digérées que des coups de pieds que j’ai appris à faire et que je ne serais, en plus, plus du tout capable de faire aujourd’hui. 
 
– Ta BD est littéralement une course contre la mort… et qui dit course-poursuite dit véhicules. Tu les as imaginés comment ? Captain Death a d’ailleurs une belle bagnole sans roue…
 
Lancia Stratos, plans de la voiture des années 1970
En route vers le turfu des années 1970 !

La bagnole de Captain Death c’était cool. C’est une Lancia Stratos que j’ai transformée. C’est un hommage en fait. J’adorais cette voiture quand j’étais môme. Ma mère bossait dans l’automobile pour André Chardonnet. Un grand monsieur de l’industrie automobile de ces années-là. Elle m’amenait sur les rallyes et les grands prix. La Lancia Stratos avait été championne du monde des rallyes. Ceux à qui ça parle, je doute qu’ils lisent ça, c’est les années Darniche et Andrué. J’ai toujours trouvé que la Stratos avait un design de vaisseau spatial. Dans l’automobile de ces années-là, on parle sur Lancia des années stratos ou des années chardonnet.

Donc je me suis fait plaisir, et même si Retour vers le futur est galvaudé maintenant : la Dolorean dans sa version volante, j’avais envie d’être dedans. J’aime bien le coté petit spaceship cosy dans les grands néants. Genre d’ambiance qu’on retrouve dans Starfighter ou Flight of the intruder, L’Aventure intérieure, tout ça. Je ne suis pas très bagnole, mais aux USA mon père louait des cool caisses, des datsun…

la voiture de Captain Death est inspirée de la Lancia Stratos
« In the deathcar, we’re alive wouhouhouhouhouuuu »

Pour les vaisseaux j’ai fait des volumes simples. Primo je ne suis pas super fort en design, et puis je suis aussi laborieux sur les véhicules que sur les décors. Là ou sur les persos je pense qu’entre mon style et mes posings ça fait plus la blague. Les vaisseaux ont des formes simples pour pas que je galère trop sur les perspectives.

– Tu as fait un choix de couleur très marqué, tout en nuances d’orange… c’était une façon de mettre de la chaleur dans un univers noir et froid ?
 
Non, je voulais faire de la couleur mais c’est encore du temps en plus. Et la BD c’est déjà long. Comme je l’ai cité plusieurs fois précédemment. Willy Ohm m’a fait voir pas mal de truc japonais notamment et j’ai assez vite flashé sur les bichromies. J’aimais déjà bien ça sur certaines histoires Marvel.
 
Captain Death, noir et blanc
Du noir et blanc…
Je voulais un coté vintage mais pas fake. Donc pas télécharger des matières vieux papier tout ça. J’ai pensé à la Bichromie et sur le choix de la couleur, j’ai procédé par élimination, le vert ça ne collait pas, j’avais besoin d’une couleur qui aille avec le noir. Le rouge/rose, non plus. L’orange avait un coté pop que j’aimais bien et marié au noir, ça donne un marron un peu cuivré qui collait bien avec le propos je trouvais. S’il y a d’autres Captain Death je verrais bien un code couleur. Genre les miens en orange et les autres avec leurs couleurs à eux.

les couleurs d'Alexis Bacci donnent du relief à Captain Death
…à la couleur qui donne du volume !

La bichromie permettait aussi de faire un truc couleur facile à faire. De sortir du noir et blanc. Et aussi pour des raisons un peu bêtement techniques d’accentuer l’efficacité de certaines pages quand mes limites en compositions ou en dessin faisaient pécher l’attention. Si toute une ville est en noir et blanc et un perso en couleur ben tu le vois. Et on ne se préoccupe pas de l’erreur de perspective ou de chercher où est le perso.

– Captain Death a aussi un format particulier, que peux-tu en dire ?
 
Je ne pense pas que ce style de narration avec 3 à 5 cases en moyenne, ça colle à un grand format. Surtout avec mon dessin. Sur le Lastman, je voulais le même format que la série fleuve. Quand on a parlé d’en faire un format manga, j’étais saoulé. Je me disais « Ok on met moins de moyen etc… », de la susceptibilité mal placée. Bastien et Michael m’avait dit qu’eux à la base ils voulaient un format manga sur la série. Quand sont arrivées les éditions japonaises je les trouvais cools et quand le soir de match est sorti j’ai trouvé l’objet vraiment cool et adapté. Bastien avait eu raison.

Projet de planche par Alexis Bacci
Quand la mort a une case en moins…

Sur Captain death, on a évoqué de trouver des stocks de vieux papiers mais les imprimeurs ont freiné des quatre fers en expliquant que ça pouvait enrayer les rotatives. Du coup on a bossé avec Vincent pour trouver ce qui allait mieux. À refaire on ferait mieux je pense. Genre on mettrait des rabats sur la couv’ et on trouverait un Blanco (le modèle du livre sans dessin, c’est un prototype en fait) où on perdrait moins le dessin à la pliure de la double page.

Aussi des détails, mais j’aurais dû suivre davantage les conseils de Nathalie Rocher, qui par exemple a décalé un poil les dessins à gauche pour les pages gauches ou à droite pour les pages droites. Il y a aussi Nicolas Villet qui avait fait des recherches de logo, mais je préférais faire ma « typo-logo ». Par exemple c’est lui qui a fait cette mise en pages des fiches perso à la fin. Ils ont été super patients et top avec moi.

Planche de Captain Death, Alexis Bacci
La BD, art de l’ellipse.

C’est mon unique projet mais eux doivent assurer le graphisme et la fab’ de centaines d’albums par an. Ils ont été patients et impliqués. Mais bon comme je suis sympa et que, quand un truc ne me va pas, je propose quand même un truc à la place. Je ne peux pas faire ma prima donna et il faut bien dire que sans eux le bouquin n’existerait pas. Ils font vraiment un super travail et sont adorables. Ils m’ont appris plein de trucs. Je suis content du livre.

– L’humanité quasiment disparue, Captain Death implacable, on a l’impression d’une vision du monde pessimiste… Ce serait quoi, la morale de ton histoire ?
 
Je ne pense pas qu’il y ait de « morale » à proprement parler. C’était un défouloir, je réglais des comptes, je n’avais pas de message à faire passer. Maintenant, ce que je pense transparaît forcément en sous-texte. Quand tout est perdu, il faut quand même continuer de se battre. La mort attend patiemment, elle peut arriver à tout moment. Chaque minute ou elle est neutralisée est une minute de gagnée. Il y a un côté carpe diem.

Personnages humains de Captain Death, Alexis Bacci
Crever mais pas n’importe comment, baiser mais pas avec n’importe qui.

Je ne prône pas l’épicurisme ou l’hédonisme pour autant. C’est un instantané. Je ne pense pas que le portrait qui soit dressé de l’humanité soit si pessimiste. On voit bien ce qu’on peut avoir de meilleur ou de pire. J’ai cherché à mettre de la sémantique dans tous les aspects. Le monde qu’ils ont connu a explosé. Ok. Mais, passée la jeunesse, le monde qu’on a connu n’est plus. Donc tout à un sous-texte. Il y a plein de messages cachés. L’humour est quand même assez présent. Certes il est peut-être un poil noir et je fais peut-être preuve d’un léger mauvais esprit. Mais j’y vois plutôt de l’humanité en fait et une forme d’optimisme.

Et puis ça reste une BD de divertissement, pas un manuel de philosophie. Je voulais ridiculiser la mort un peu. Elle nous ridiculise bien un peu non ?
 
– Qu’as-tu préféré dessiner dans Captain Death ? Que préfères-tu dessiner en général ?
 
À part qu’a un moment j’en avait un peu marre de dessiner une tête de mort, c’était très plaisant à faire cette BD. Certaines planches m’ont fait galérer sur le rendu avec les dégradés peut-être. Et puis je n’avais plus Bastien en back up si je galérais sur une planche.
J’aimais bien Julia, je l’aime bien. C’est Obélix la meuf. Sous ses cotés cruche elle est pleine de bon sens. Les scènes d’actions c’était cool aussi.
La partie que je préfère c’est la conception, le storyboard. Et puis la toute fin, quand on retape les détails de dessins, qu’on galère sur les dialogues. C’est le moment de vérité un peu, comme le montage en cinéma j’imagine.

crayonné du storyboard de Captain Death
Quand les cases frémissent.

Le moment où on tripe à mettre sur papier des idées, c’est le meilleur moment des projets. Ça et le moment où l’on pose la final touch. Entre les deux c’est long la BD, plein de doutes et de problèmes à régler. Mais des bons moments aussi, à dessiner peinard en écoutant du bon son.

J’aime bien dessiner des filles. J’aimais bien dessiner des trucs japonisants même si en ce moment je sature un peu. Je serais content de faire un peu autre chose mais je pense et j’espère que dans vingt ans je dessinerais toujours aussi bien des sumos que des loups garous. La-dessus, Corben est un modèle.
 
Captain Death 2 : le retour, tu l’envisages ?
 
Le Captain Death 2 est déjà écrit mais il est en liste d’attente derrière d’autres trucs, c’est un gros peut-être. Ce n’est pas l’envie qui me manque. D’autant que je suis très content des idées que j’ai eues sur le 2.
 
dessin de Captain Death, Alexis Bacci
Le retour de la mort qui tue ?

Les ventes du premier n’ont pas été assez probantes pour qu’on enchaîne dessus direct. J’espère que ça se fera. Vince serait chaud pour en faire un. J’en ai parlé à Bastien aussi qui n’a pas dit non. Mais les gens ont leurs projets et leurs priorités. Il y a les réalités financières de ce genre de projet qui n’aident pas. Quand la Bd est sortie plein de potes ou de gens que je ne connais pas ont fait des Fan art. C’était super. C’est un peu « time will tell ». J’adorerais en faire d’autres et voir d’autres auteurs se réapproprier le perso aussi.

– Le futur d’Alexis Bacci est-il rose, orange, noir… quels projets prépares-tu ?
 
Le présent a déjà son lot de trucs à régler. L’histoire de mon père qui est sans fin. Un livre dans lequel je raconte l’histoire pour qu’un semblant de vérité ressorte peut-être de tout ça, voire de justice. C’est très gris mais avec du bon gris clair sympa aussi.

Captain Death par Alexis Bacci crayon
On lui donnerait le bon Dieu sans confession, non ?

Je finis actuellement un projet, qui a été très long, sur des pêcheuses de perles… Une sorte de « Giallo chez les ama ». J’en suis à plus de la moitié, mais les aléas de la vie ont fait que j’ai avancé dessus en dilettante.

Avec le covid les sorties BD sont décalées et même si j’ai fini sur septembre ce que j’espère il ne sortira pas avant le printemps prochain je pense. Normalement chez Casterman car je travaille dessus avec Vincent Petit mon éditeur qui s’est beaucoup impliqué dedans. J’espère vraiment que ça trouvera un public et que les gens aimeront car ça n’aura pas été un projet facile.
Il y aussi deux projets chez Casterman normalement. Un truc avec Bastien mais un peu top secret encore.
Et un autre projet sur le fascisme avec Giorgio Albertini, mais c’est encore le tout début. Je suis pressé de bosser avec lui. J’ai autant d’affection que d’estime pour lui. Grace à lui je suis une partie de l’année à Milan dans l’atelier du studio Capurso, avec des dessinateurs et dessinatrices vraiment top. Ils m’ont accueilli comme une famille. Je retrouve aussi Gregory Panaccione que j’avais croisé en stage il y a 20 ans. Je pense qu’ils sont ce qui m’a le plus manqué ces derniers temps. Et puis l’Italie c’est les vacances quand je regarde la France depuis quelques temps. Là-bas il y a sûrement des problèmes mais je ne les vois pas.
Si j’arrives à me bouger un peu cette année on devrait boucler Akasake 3 et je financerai Tengu diaries, un recueil de dessins donc auquel je tiens.

Akasake, Alexis Bacci
Une illustration d’Alexis Bacci pour le projet Akasake.

Il y a aussi un scénario que j’ai écrit pour Boris Guilloteau. J’ai commencé un bouquin d’abécédaire cinématographique ou j’écris sur les films que j’aime. Si la moitié de mes projets aboutissent dans les deux, trois ans je serais content.

Beaucoup de choses en cours, mais je n’ai pas la capacité de travail de mes collègues ce que je regrette. Peut-être que si je suis moins parasité par de l’administratif et que je m’éparpille moins, ma productivité y gagnera.
 
– Pour finir : que trouverait le lecteur idéal dans ton œuvre ?
 
Je ne pense pas qu’il y ait un « lecteur idéal ». Je fais ça parce que les Strange par exemple ça m’a aidé, ça m’a éduqué. Des moments d’enfance difficiles ou même de vie. Des trucs m’ont fait tenir. Des films, des musiques, des films… Des phrases de potes.

Strange selon Alexis Bacci
Strange, du plaisir haut en couleur.

Si un jour un gosse de 13 ans ou un type de 50 ans en lisant un de mes trucs se dit « c’est trop bien ». Ou que ça lui parle et lui donne de la force ou un truc comme ça, voire juste un moment ou ça lui fait oublier ses problèmes, que ça lui donne une idée, une envie de faire quelque chose. Si ça parle à une personne comme tout ce que j’ai pu citer m’a parlé… Je me considérerai comme béni des dieux.

Captain Death, nu crayonné, Alexis Bacci
Si James Bond avait l’œil du tigre, ben ça vaudrait pas Capitaine Flam.