Le guerrier gaulois, un professionnel de la guerre

Préambule

« L’appareil et le vacarme de l’armée gauloise épouvantaient les Romains. Car la quantité des buccins et des fanfares étaient incalculable et il s’y ajoutait une si vaste et si forte clameur de toute cette armée poussant en chœur son chant de guerre que non seulement les instruments et les soldats, mais encore les lieux environnants qui en répercutaient l’écho paraissaient donner de la voix ; effrayants aussi étaient l’aspect et le mouvement de ces hommes nus du premier rang, remarquables par l’éclat de leur vigueur et de leur beauté. Tous ceux des premières lignes étaient parés de colliers et de bracelets d’or. » 

Selon Polybe citant l’historien latin Fabius Pictor [1]

Les préjugés ont la vie dure à propos de nos chers Gaulois ! Malgré un travail de réhabilitation récent, comme le très bon livre Jean-Louis BRUNAUX : Nos ancêtres les Gaulois [2], c’est contre tout un imaginaire qu’il faut lutter. Des livres d’Histoire aux Bandes dessinées, les habitants de la Gaule n’ont pas une image très glorieuse : petits villages vivant de la chasse et de cueillette, aucune culture écrite, retard technologique…
Bref un mode de vie qui semble renvoyer à la préhistoire, surtout lorsqu’on les compare à leurs célèbres envahisseurs : les Romains. Ceux-ci sont dignes d’être admirés : armée disciplinée, cheveux bien coupés, barbe rasée, et surtout victorieux par Belenos ! C’est même là que le bât blesse : notre connaissance des Gaulois est passée presque entièrement à travers le filtre des auteurs latins (César en premier ligne) : rien d’objectif donc.
Les guerriers gaulois n’ont en réalité aucune honte à avoir face à leurs ennemis latins. Mieux, leur entraînement et leur organisation ressemble étrangement aux illustres spartiates, modèles de guerriers antiques en jupette. Dans une perspective évidemment anachronique, on pourra trouver de nombreux points communs entre les farouches guerriers gaulois et les rugbymen actuels ! Intéressés ?

Gaulois en reconstitution
Reconstitution historique de guerriers gaulois dont on voit qu’ils maîtrisaient parfaitement le fer. Crédit Photo : AHVAE – LES ORATELLI

Des guerriers reconnus dans toute la Méditerranée

Loin des clichés véhiculés jusqu’à nos jours, les Gaulois possèdent une solide réputation guerrière pendant l’Antiquité et trônent aux côtés des armées les plus renommées : Thraces, Carthaginois, Ibères… Selon Brunaux, leur bravoure s’affirme au grand jour dans les guerres puniques où ils se montrent à leur avantage lors des grandes batailles d’Hannibal : ils occupent même « la place la plus exposée au centre du front des coalisés » et mènent les Carthaginois à la victoire.
Loin des clichés, souvent retrouvés dans les films de guerre, les tactiques militaires gauloises n’ont rien à envier aux romaines. Celles-ci sont le fruit d’une longue expérience où « l’on devine les influences étrangères acquises au contact régulier d’autres corps d’armée ». À partir du IVe siècle peut-être avant, les Gaulois ont été « engagés comme mercenaires et ont intégré des corps d’armée multiculturels » : c’est donc la preuve qu’ils sont courageux mais surtout efficaces au combat !
La panoplie gauloise est proche de la panoplie grecque (en un peu plus légère) avec « de longues piques, des lances et des javelots, une épée de taille moyenne dans son fourreau de fer, attachée à une ceinture également en fer, enfin un long bouclier protégeant une grande partie du corps. » Les Gaulois étaient aussi capables de stratégies élaborées telles que le « combat de cavalerie, la phalange, la tortue et même comme la sape ou même des mines lors de sièges » !
En -57, César est aux prises avec le peuple belge des Nerviens (réputé le plus valeureux). Dans son récit, il loue la bravoure des soldats gaulois et leur montre de l’admiration : « ce n’était pas une folle entreprise de la part de pareils guerriers : leur héroïsme l’avait rendue facile ». Suite à cette bataille (où César a failli perdre), le général romain va avoir la bonne idée d’utiliser des belges comme auxiliaires dans son armée et monte même une légion entière (la Vème légion dite Alauda ou « alouette »).

Plan de bataille gaulois
On voit ici que les Gaulois (ici Nerviens) sont des professionnels de la guerre : ils ont construit un camp fortifié, organisent leurs lignes en protection derrière la rivière… Surtout, ils osent une attaque audacieuse qui va ébranler les Romains : passer une rivière très large et monter une colline abrupte en reformant une phalange à l’assaut du camp ennemi !

Des soldats professionnels et surentraînés

Mais ce qui fait la vraie force des Gaulois, c’est surtout leur culture de la guerre. Être soldat est un métier à plein temps pour eux. Ils se consacrent ainsi totalement à l’exercice physique (avant et pendant les campagnes) et sont donc entretenus par le reste de la population de la tribu (nourriture, chevaux, confort, armes…). Plus un soldat était valeureux et plus il pouvait occuper une place importante dans la société gauloise.
Les fouilles effectuées pour la bataille de Ribemont-sur-Ancre (Somme) ont permis de montrer que les soldats gaulois étaient étonnamment grands pour l’époque. Certains atteignaient 1m90, ce qui devait faire tout drôle aux petits méditerranéens (pas plus d’1m60 en moyenne). Des enfants ont participé à cette bataille antique de la Somme. Cela prouvait que les jeunes guerriers étaient sélectionnés puis formés au combat dès leur plus jeune âge, pour « forger leur corps comme une armure ».
Selon Brunaux, les Gaulois ont des valeurs « agonistiques », c’est-à-dire qu’ils veulent primer sur tous les autres dans tous les domaines physiques : sport, chasse mais aussi bien sûr la guerre. Les os étudiés par les archéologues témoignent de leur « exceptionnelle force physique et musculature ». Tels des bodybuildeurs actuels, ils devaient s’entraîner à longueur d’année, sans répit. Ils mangeaient aussi une nourriture très riche et surtout carnée (vive les protéines).

Agecanonix n'aurait pas été vu comme un guerrier
Effectivement : être soldat est un métier Agecanonix : laisse la place aux grands costauds (et aux jeunes) !
Selon Aristote dans Les Politiques, les Gaulois ont « l’éducation et les lois (qui) sont ordonnées autour de la guerre. » Les guerriers gaulois en campagne sont par nature des citoyens : « les assemblées des guerriers en campagne se transforment en temps de paix en assemblées civiques. ». Cela a permis aux guerriers de gagner en pouvoir politique dans les différents peuples gaulois. Les guerriers étaient donc les maîtres de leur société, du Vème siècle au IIème siècle, même s’il existait des contre-pouvoirs.

Toute la société était pensée pour la guerre comme l’économie pour produire des armes, chars ou élever des chevaux. Les éleveurs devaient produire en quantité énorme, surtout pour les longues campagnes. Le fer était extrait en grande quantité pour élaborer des épées parfois innovantes (à lame légère méchamment critiquée par les Romains). De nombreuses innovations militaires sont l’œuvre des gaulois comme la côte de maille (pour ne parler que du militaire).
Mais ce n’est pas tout, selon l’historien latin Éphore, le gaulois « s’exerce à ne pas s’engraisser, notamment du ventre, et on punit le jeune homme dont le tour de ceinture excède une mesure fixée. » Ce monde gaulois ressemble à s’y méprendre à la cité de Sparte avec le mythe de l’invincibilité de leurs soldats. De plus, les Spartiates pratiquaient une sélection des bébés (pour avoir les meilleurs soldats) et chaque soldat recherchait la gloire militaire éternelle (voir Léonidas aux Thermopyles).

Dans Astérix, Alésia est un tabou
Et si, c’est en Bourgogne et non dans le Jura [3] ! Je pense que la colère d’Abraracourcix est due au fait qu’il a perdu la taille svelte du guerrier qu’il était dans sa jeunesse !

Vantardise, violence et hybris (folie guerrière)

Les Romains ne sont pas très sensibles à la vigueur du soldat gaulois. Les rites guerriers gaulois, invectives, danses armées, cris de guerre, sont moqués par les auteurs romains. Selon Tite-Live, leur attitude est « balourde, gauche, de la forfanterie voire de la puérilité. » Le guerrier gaulois est toujours tourné en dérision, sa bravoure est remise en cause et son armement critiqué : les Romains expliquent leurs victoires par la médiocrité des épées gauloises…
Et pourtant ! Le Gaulois armé rappelle un peu les héros mythiques d’Homère. Toujours selon Brunaux, avant la bataille, les Gaulois pratiquent des danses de guerres et tiraient ostensiblement la langue à leurs ennemis. Parfois, la mêlée générale était évitée par un duel entre champions : cela ne rappelle-t-il pas les mythiques poèmes de l’Iliade ? Parfois même, les gaulois combattaient nus pour impressionner leurs adversaires… À moins qu’ils ne voulaient à tout prix montrer le résultat de leur entraînement !

Le rugby et les Gaulois
L’équipe du RC Saintry en pleine reconstitution historique de la bataille de la Sambre.

On accuse les guerriers gaulois de mettre à mort leurs prisonniers. Faute impardonnable pour les Grecs qui les considèrent comme des barbares, « nourris d’aliments trop riches, buvant abondamment, leurs corps surentraînés les portent à tous les excès. » Ils s’acharnent parfois sur les corps de leurs ennemis au sol, portés par l’hybris (la folie) guerrière. Selon Platon, ils ont « l’habitude de s’enivrer » : fait très étonnant qui a vraiment remis en cause ma vision des Gaulois !

Spiritualité et valeurs du soldat gaulois

Chaque chevalier qui tuait un ennemi lui coupait la tête et l’attachait à l’encolure de son cheval (pratique assez dérangeante pour le Français actuel). Le reste du cadavre était offert au sanctuaire le plus proche où on exposait ses armes sur les parois du temple (très classe). Les cadavres étaient longuement travaillés jusqu’à leur crémation. Enfin les cendres étaient enfin versées dans des autels creux lors de cérémonies menées par des druides. Cela montre que la spiritualité gauloise est forte et très ritualisée.
Les crânes récoltés témoignaient de la bravoure du guerrier et son mérite lui donnait le droit à une part du butin proportionnelle au nombre de têtes ! Ensuite, les soldats les plus forts obtenaient les mêmes places aux banquets et aux cérémonies religieuses. Les guerriers maladroits étaient prêts à payer le prix fort pour acheter ces trophées « céphaliques » (leur poids en or !). Cette pratique est à mettre en parallèle avec celle du scalp chez les Amérindiens.

La torture romaine face aux Gaulois
Tortue romaine aux trois paumés derrière : « Vous êtes sûrs de vouloir rester dehors les mecs ? L’ennemi est plus méchant que dans le bouquin qu’on nous faisait lire à l’école militaire ! »

La mort est une porte ouverte sur le paradis : « ceux qui tombent au champ d’honneur échappent aux cycles de réincarnations et gagnent directement les cieux auprès des dieux. » Leur sépulture est étrange : on laisse leur dépouille sur terre pour que les charognards viennent les dévorer (et les rapprocher des cieux). Cela explique, en partie, le courage des Gaulois : ils n’avaient pas peur de la mort car elle leur permettait de rencontrer les dieux (et de manger des sangliers porcs grillés à volonté [4]).
Après la bataille, les guerriers fêtaient leur victoire avec de longs banquets dans l’enceinte même du sanctuaire ! Pendant les banquets, les Gaulois avaient l’habitude de se vanter de leurs exploits devant leurs camarades de combat. Cela finissait souvent très mal : « des paroles, on en venait aux mains, des insultes aux blessures qui pouvaient entraîner la mort, afin d’obtenir la meilleure part du cochon ou de quelque autre bête qu’on mangeait. » Anecdote croustillante du grec Poseidonios d’Apamée.

Égalité et fraternité entre soldats (hum)

L’individualisme du guerrier gaulois est un cliché éculé. Dans les textes, on met toujours en avant des chefs : les deux Brennus, Vercingétorix, Commios l’Atrébate… En réalité, les soldats gaulois sont organisés en hétairies (associations de compagnons), chaque « compagnie » a son chef qui possède des compagnons : hommes libres qui entretiennent avec leur maître une relation particulière.
Chaque compagnon possède d’abord un char et est secondé par deux hommes :  le premier serviteur conduit le char et l’autre porte son bouclier. Selon Poseidonios, ce trio est très soudé et les trois compères vivent en permanence ensemble. Par la suite, les Gaulois abandonnent les chars qu’ils remplacent par trois chevaux (lors de l’invasion de la Macédoine). Si le cheval du maître est blessé, on peut lui en fournir un autre très rapidement : cette formation est appelée trimarkisia ou « trois chevaux » en gaulois.
Une compagnie militaire gauloise est donc constituée de plusieurs dizaines de trios qui combattent tous ensemble le jour de la bataille. Ces trios guerriers sont très atypiques car ils posent la question de la cohésion de la formation. Pourtant, l’équipement du soldat est standardisé, symbole d’une égalité très forte entre les soldats gaulois : les trios n’empêchent pas la cohésion du groupe entier.
Ils participent aussi tous aux mêmes banquets : les maîtres et leurs deux serviteurs. C’est aussi un symbole d’égalité très fort surtout que la banquet est un symbole de puissance. Après la noce, les guerriers préfèrent dormir entre hommes (sur des peaux de bêtes) plutôt qu’avec leurs femmes (« pourtant très belles » selon Poseidonios). L’ambiance devait être… chaleureuse !

Astérix et Obélix, lendemain de banquet arrosé
Obélix : Tu te souviens d’après le banquet d’hier soir… quand on était bourrés…
Astérix : … ce qui se passe au banquet Obélix … reste au banquet !
Avant le Vème siècle, les Gaulois étaient dirigés par une petit nombre de nobles. Par la suite, les compagnies de guerriers ont bouleversé l’ordre établi : des soldats valeureux, montrant toute leur virtus (vertus viriles), pouvaient monter l’échelle sociale. La puissance dépendait des capacités guerrières et de l’art de fédérer une clientèle autour de soi. De plus, cela nécessitait une certaine richesse pour entretenir toute cette joyeuse confrérie (souvent récupérée sous forme de butin).

Conclusion :

Rendons à Brunaux ce qui est à Brunaux : « Le Gaulois fut un guerrier de type homérique, presque un hoplite ensuite : le porteur d’une morale sévère et d’une croyance inaltérable en un destin individuel mis au service d’une communauté qui ne vivait pas seulement des richesses qu’il lui rapportait mais bénéficiait aussi, grâce à lui, d’un nouveau mode de vie politique et économique. » [5]
Comme Neo, nous avons choisi de sortir de la matrice : la vieille image des Gaulois disparaîtra petit à petit de nos inconscients. Ce choix n’est pas sans douleur, il nous faut abandonner cette image de « bon sauvage » qui plaisait tant, ce qui explique un peu le succès d’Astérix et Obélix. Non, les Gaulois ne mettaient pas que des baffes aux Romains ; ils ne vivaient d’ailleurs pas non plus dans des villages perdus au fond des bois ; ils vivaient pas de chasse et de cueillette…
Cet article ne représente donc qu’une infime partie des préjugés sur les peuples gaulois, je vous conseille vivement de lire des textes sur l’agriculture gauloise ou l’art gaulois par exemple. De plus, les guerriers étaient encadrés par d’autres figures populaires ! Des bardes passaient leur journée à leur adoucir les idées en leur chantant des poèmes tandis que des druides leur donnaient des conseils remplis de sagesse (de vrais philosophes gaulois).

Obélix et la stratégie des baffes
Et si Obélix n’était pas finalement le Gaulois le plus réaliste de la BD ? Sans prendre de potion magique, il terrasse ses adversaires sans peur et sans remords ! Sauf qu’il y a 2 500 ans, son courage lui aurait permis de choper Falbala (enfin, s’il faisait un régime !).
Notes :

[1] Polybe, Histoires, livre II, chapitre VI
[2] Jean-Louis BRUNAUX, Nos ancêtres les Gaulois, Points, Histoire
[3] Le débat est toujours vivant même si la majorité écrasante des archéologues penchent pour la Bourgogne, là où se trouve le musée (bizarrement ça tombe bien) ! Voir cette page si cela vous intéresse.
[4] Selon les archéologues, les Gaulois ne mangeaient pas de sanglier ! Comme les Français après eux, ils se nourrissaient de pain (issu d’une agriculture déjà développée) et de viande (issu d’élevage). Désolé pour tous les fans d’Obélix !
[5] Jean-Louis BRUNAUX, Nos ancêtres les Gaulois, Points, Histoire, page 94.