
Les grandes familles des œuvres, qu’elles s’intègrent dans un art ou dans un autre peuvent parfois – pour ne pas dire souvent – être mises en parallèle. La bande dessinée – 9ème art – n’échappe pas à ce constat. Certains scénaristes, évidemment sans plagier, au hasard d’un visionnage ou par une réminiscence d’un souvenir qui semblait perdu, ont pu ou peuvent s’inspirer de l’intrigue d’un film pour développer une histoire qui prendra ensuite son essor et son indépendance. Ces sources sont parfois visibles et assumées, ou, le plus souvent, laissées à l’œil aguerri et averti du lecteur, mais très rarement mentionnées. Les exceptions existent cependant et le très prolifique André-Paul Duchâteau ne cache pas prendre inspiration auprès d’un de ses maîtres : le grand Alfred Hitchcock. Pour preuve, il lui fait même l’honneur de figurer dans le titre de la 55ème aventure de Ric Hochet, son héros le plus célèbre. Dans ce tome, on se demande en effet… Qui a peur d’Hitchcock ?
Par Mathieu Depit
Tout commence lorsque Roland Raynal, chercheur et pilote d’avion amateur exerçant dans un aéroclub de la Côte d’Azur, monte à Paris chercher l’aide du fameux détective Ric Hochet. Il a en effet reçu une vidéo où il se voit en train de commettre un hold-up dans une luxueuse villa de la Riviera. Même s’il jure qu’il n’est coupable de rien, le petit film est pourtant très clair : on y reconnait parfaitement Raynal, sa montre – pourtant modèle unique – et on le voit en train de brandir un relevé d’identité bancaire qui porte une trace bien étrange… la signature d’Alfred Hitchcock, idole du chercheur qui cherche à produire et réaliser un film, en passionné de cinéma qu’il est. Inutile de mentionner que le compte en banque figurant dans la vidéo est crédité à hauteur de plus de 3 millions de dollars et que le guichetier semble parfaitement connaître Raynal… L’affaire se corse encore plus lorsqu’il reçoit des courriers signés de Sir Alfred résumant la situation qu’il est en train de vivre… Il n’en fallait pas plus à Ric Hochet pour rejoindre la Côte d’Azur et enquêter sur ce cas mystérieux. Avec l’aide Carson Brady, scénariste ayant connu Hitch et ami de Raynal, il va tenter de comprendre qui manipule le pauvre pilote amateur, lui qui a un entourage bien délicat entre Jessica, sa fiancée bien énergique et Charles, son frère au comportement compliqué.

Un hommage truffé de références
Dans ce 55ème opus de Ric Hochet, le scénariste A.P. Duchâteau abat ses cartes sans faire de bluff : il écrit clairement une histoire où il montre son admiration, voire sa fascination pour celui qu’on appelle le « maître du suspense ». Et il le fait de façons multiples. Il reprend tout d’abord dans son intrigue des éléments vus dans les films du réalisateur anglais : un homme traqué sans savoir pourquoi, ne pouvant partager son tourment qu’avec lui-même ; des bandits insaisissables agissant dans l’ombre sans qu’on les attende ; des suspenses angoissants de fin de page, une femme forte (mais… brune !) intervenant dans le récit ou bien encore une action omniprésente, remplie de coups de théâtre tonitruants. Duchâteau convoque également Hitch lui-même en s’appropriant directement certaines scènes cultes du réalisateur qu’il n’hésite d’ailleurs pas à citer : le soleil de la Côte d’Azur de La main au collet, le chalet isolé et les avions de La mort aux trousses ainsi que différents titres cités par Ric lui-même tout au long de la BD, comme Le faux coupable ou L’homme qui en savait trop. Mais Duchâteau, comme son personnage Raynal, est un passionné de cinéma au sens large du terme et il le montre dans l’album, parfois sans vraiment de subtilité : les aventures vécues par Ric et les autres intervenants sont prédites par un scénariste de films alcoolique, qui est supposé avoir travaillé sur le dernier projet d’Hitchcock, et relèvent parfois du cliché ou du trop-plein. Dans Qui a peur d’Hitchcock ? on assiste à des bagarres, des attentats, des kidnappings, des courses-poursuites ; on y croise des bandits chauves à lunettes noires et chapeaux, des pontes de la mafia ou bien encore des personnages déjantés ! Ouf ! ça fait beaucoup ! Malgré cela, le « twist » final est haletant même si le lecteur se doute un peu du fin mot de l’histoire.

Une bande dessinée qui sent le soleil
Le dessin de l’album est assuré par Tibet, légende de la bande dessinée, qui rend ici une copie claire et lisible, sans artifice ni élément notoire. Le français centre l’action sur les décors (pour lesquels il est assisté de D. Desmit), éléments importants d’une intrigue se passant dans le sud de la France. Ainsi, les belles villas de la Côte sont mises en valeur, tout comme le paysage de montagne que Ric utilisera pour confondre le coupable. Le dessinateur n’en oublie pas pour autant de mettre l’accent sur les personnages, qu’on pourrait tous imaginer incarnés sur grand écran. Raynal est le type même de « Monsieur tout le monde » et représente parfaitement l’anonyme poursuivi à sa grande surprise par une histoire qui est supposée le dépasser. Jessica, sa compagne, toute en charme ostentatoire, présente un regard qui interroge, tel celui des femmes fatales classiques. Charles, le frère de Raynal, est quant à lui le stéréotype de l’homme instable, habillé de façon voyante, la casquette à l’envers vissée sur le crâne. La palme de la représentation cinématographique revient au scénariste Brady, vieil homme costaud vivant sur son bateau et véritable portrait du réalisateur John Huston. Les couleurs de l’album, réalisées par L. Labruyère et F. Brichau, sont solaires, très affirmées sans être criardes, elles respirent le soleil du sud et même le Technicolor des films américains de Sir Alfred !
Finalement, Qui a peur d’Hitchcock ? est une bande dessinée divertissante qui rend hommage au 7ème art et plus particulièrement à une de ses légendes. Si son intrigue est sympathique et son dessin visuellement classique, l’album accumule tout de même des clichés et peut parfois avancer de façon un peu poussive. Qu’à cela ne tienne, le lecteur averti de ces écueils et voulant simplement passer un bon moment sans forcément chercher un chef-d’œuvre trouvera en ce 55ème opus de Ric Hochet un bon passeport pour le divertissement !