Le film Vivarium et les nouvelles de Richard Matheson

Vivarium, de Lorcan Finnegan, est un thriller de science-fiction, mais se rapproche davantage du conte fantastique ; les protagonistes, Tom et Gemma sont joués par Jesse Eisenberg et Imogen Poots.
Sans réelle surprise dans son déroulé, sans aller au bout à la fois dans son incursion esthétique et les mystères qu’il propose, le film revisite de nombreux thèmes chers à Richard Matheson (1926-2013), d’abord nouvelliste, romancier, puis scénariste pour la télévision.
 
Vivarium est un film de Lorcan Finnegan
Une affiche comme allégorie du confinement contre le covid-19.

Résumé de Vivarium

Deux jeunes amoureux, Gemma et Tom, visitent une maison dans un étrange lotissement issu d’une peinture de Magritte, en compagnie de Martin, un promoteur immobilier un peu décalé. Ce dernier volatilisé, le jeune couple s’aperçoit qu’il est incapable de quitter le lotissement labyrinthique et qu’il se trouve réduit à vivre dans cette demeure imposée.
Le cauchemar empire lorsque, afin d’être « libérés », ils sont contraints d’élever un garçon au comportement étrange et difficile, tandis qu’ils sombrent dans une spirale conflictuelle et destructrice. Tom s’isole dans des travaux manuels tandis que Gemma, confrontée à ses nouveaux devoirs, tente tant bien que mal de repousser cet individu monstrueux qui n’a de cesse de l’appeler Maman.

La thématique mathesonienne

Malgré le divorce de ses parents immigrés norvégiens alors qu’il est jeune, Richard Matheson se souvient d’une enfance dans une famille soudée. Au lieu de sombrer dans la boisson ou la foi, il préfère s’abreuver de fiction et suit la religion fantastique/smagorique.
Fasciné par la paranoïa, la majorité de son oeuvre met en scène un être isolé face à des conflits internes qu’il représente par des attaques extérieures ; il deviendra célèbre pour le scénario de Duel, le premier (télé)film de Steven Spielberg, dans lequel un conducteur est persécuté par un routier allégorisé par son semi-remorque ; il revient au goût du jour en 2007 avec Je suis une légende, dans lequel le dernier être humain survit dans un monde post-apocalyptique face à une menace vampire.
C’est ainsi que nombre de ses nouvelles, qu’il écrit alors jeune et célibataire, dépeignent avec acidité le mariage et la parentalité. Richard Matheson avouera que ces thèmes s’évaporeront au moment où il découvre la joie de la famille : à partir de ce moment, à l’inverse, même s’il y a toujours des épreuves angoissantes, ce sont davantage couples et familles qui affrontent les péripéties qu’un individu solitaire. Enfin il est à noter que même si son thème de prédilection pour ses nouvelles est le fantastique, l’angoisse et l’horreur, il fait des crochets dans la science-fiction, le western ou le polar.

La parentalité, quand l’inconnu devient monstre

Dans Vivarium, la soudaine parentalité imposée à Gemma et Tom, alors qu’ils ne sont ensemble que depuis peu et ne s’y attendent pas, est une épreuve qui aura rapidement raison de leurs efforts. Arrivé dans un carton comme les vivres qu’on leur offre quotidiennement, ils ont pour consigne d’élever un bébé afin d’être libérés.
L’enfant, à leur grande surprise, grandira rapidement, atteignant une dizaine puis une vingtaine d’années au bout de quelques jours. Grandissant dans un environnement clos, il n’aura de cesse de poser des questions innocentes (« Qu’est-ce qu’un chien ? ») avant de piquer des crises violentes si son petit déjeuner n’est pas servi, voudra s’immiscer dans l’intimité de ses parents et enchaîner les caprices.
Il n’aura de cesse de rappeler les moments de fatigue de ses protecteurs en les imitant lorsque, exaspérés, ils lui rappelleront qu’il n’est qu’un mutant et qu’ils ne sont pas ses vrais parents. Tom finira par s’isoler complètement, ne montrant du mépris pour la créature tandis que Gemma, institutrice, jouera son rôle de complément maternel malgré l’horreur que lui procure ce monstre qui n’est pas d’elle.
 
dans Vivarium, même le petit déjeuner est une épreuve
Bonheur familial.
Ce thème de la filiation monstrueuse, Matheson le présente dès sa première nouvelle devenue une référence du genre : Né de l’homme et de la femme. Dans cette nouvelle au format d’un journal, un enfant innocent décrit son incompréhension alors qu’il est enfermé dans la cave et coupé du monde, jusqu’à ce que de nombreux indices révèle une identité monstrueuse.
Bien qu’âgé de huit ans, il dispose d’une puissance prodigieuse qui laisse comprendre au lecteur qu’il risque de s’enfuir sous peu. L’horreur gravit d’un cran dans Intrusion : un mari, de retour après de longs mois de voyage, découvre la grossesse de sa femme qui lui jure être restée fidèle.
Évidemment incrédule, le mari finit par déduire, au vu du déroulement de la grossesse, que sa femme va accoucher d’un martien. Mais celle-ci s’isole devant cette confiance apparue trop tardivement. Finalement, la mort du bébé avant sa naissance laisse planer un espoir sur la solidité du couple.
Il n’y a pas de réelle réponse quant à l’identité de l’Enfant de Vivarium, mais de nombreux indices laissent penser qu’il s’agirait d’un alien et que celui-ci se sert de ses parents pour mieux comprendre l’humanité afin de lui voler sa place. Ainsi, la recherche de la connaissance pour s' »humaniser » est présente dans Intrusion cité ci-dessus, l’épouse lisant des livres scientifiques, mais également dans Un cas d’école où le héros devient avide de connaissance, consommée par une force surnaturelle, certainement extra-terrestre. Le thème du remplacement de l’humanité par des extra-terrestres est également présent dans Les Captateurs, une nouvelle parmi beaucoup évoquant les invasions alien.
À noter cependant que la famille, malgré ses moments cahoteux, finit sur des notes légèrement positives dans des œuvres plus tardives de Matheson.
Dans Sans Paroles, une famille adopte un enfant malgré ses lacunes et ses handicaps (et ses pouvoirs !) et parvient à l’intégrer. Le scientifique venu le chercher, voyant qu’il ne possède plus ses pouvoirs en vient à conclure, amusé et même content, que l’enfant est désormais chez lui. Dans Dans la douleur » après avoir choisi le sexe de l’enfant (un garçon) grâce aux avancées scientifiques, la mère finit par entrevoir l’espoir d’avoir une fille à la place. Bien que le narrateur reste persuadé que sa femme enfantera « dans la douleur » de faux-espoirs, rien ne dit que le traitement expérimental n’aura pas fini par capoter à l’avantage des espérances de la mère.

Le couple, entité fragile

Dans Vivarium, bien que jeune et amoureux, rapidement Tom et Gemma se disputent face aux péripéties auxquelles ils doivent faire face. Ils ne sont pas réellement en phase durant la visite avec l’agent immobilier, se disputent alors qu’ils n’arrivent pas retrouver le chemin de la sortie. Bien évidemment, ils essaient de rester unis les premières nuits alors qu’ils tentent de sortir du lotissement, mais l’arrivée de l’enfant les divise complètement.
Tom se désintéresse de l’enfant au profit d’un travail manuel : persuadé de trouver la réponse dans le jardin sous l’herbe synthétique, il passe ses journées à s’exténuer pour donner un nouveau sens à son existence, loin des problèmes imposés. Gemma finira par se retrouver seule exténuée, comprenant qu’elle a été piégée et qu’elle ne sortira jamais de ce piège.
Le thème du couple en tant qu’entité fragile revient régulièrement dans près de la moitié des nouvelles de Matheson. L’homme est souvent représenté comme un individu veule et fuyant, s’évadant dans son travail (plus rarement l’adultère) pour fuir le foyer. Lorsqu’il prend conscience de la distance prise avec sa femme, il est trop tard : ainsi, dans L’habit fait l’homme, un publicitaire désabusé explique à son voisin de bar que son costume a pris vie et qu’il est devenu meilleur que lui… avant de se rendre compte qu’il discute justement avec le costume, lui-même narrateur de la nouvelle !
La nouvelle est quasiment reprise sans l’artifice de l’accessoire dans Au bord du précipice : un homme perd son identité quand il se rend compte que plus personne ne le reconnaît, y compris dans la chute de la nouvelle lorsqu’il appelle sa femme ! On ne dénombre plus également les serial-killers psychopathes, les assassinats commandités (J’veux voir le Père Noël !), les couples qui battent de l’aile, voire les femmes perverses et masochistes (Les Visages de Julie ; Le Signe du Lion).
Dans un registre pleinement fantastique, l’identité du couple est détruite suite à la dissipation d’un des membres. Dans Escamotage, un homme voit son monde s’écrouler alors qu’il n’arrive plus à contacter ses proches, puis ne retrouve plus sa femme, son appartement, avant que ne s’arrête au milieu d’une phrase son journal intime, trouvé par une serveuse dans un restaurant à une table vide. Dans Un mariage, un futur marié enchaîne une succession d’actes superstitieux qui pourrait mettre en péril le jour J, mais sa future femme demeure patiente face à ces facéties. Finalement, il mourra en passant le pas de la porte.
Ainsi, le thème de l’engagement dans l’oeuvre de Matheson est pleinement retranscrit dans Vivarium alors que Tom et Gemma passe à peine le cap, juste en voulant se renseigner quant à l’achat d’un premier logis à deux.

La maison en banlieue, la violence qui nous habite

Dans Vivarium la maison n’a pas d’identité réellement fantastique, à part lorsqu’elle est rebâtie comme par magie après avoir été détruite par Tom et Gemma. Le lotissement par contre défie les lois de la physique : on ne peut en sortir ni comprendre de logique quant à sa construction. Il est oppressant tant il semble issu d’une toile parfaite mais fantastique. La maison n’en est pas moins symbole de l’enfermement et de folie : là où elle devrait être source de réconfort et de sérénité, elle est bien sûr source de violence et de peur, notamment lorsque Gemma poursuit l’Enfant et qu’elle se retrouve prisonnière de l’espace-temps de la Maison, et qu’elle se rend compte que d’autres couples ont vécu la même histoire auparavant.
La Maison hantée revient régulièrement dans de nombreux textes fantastiques. Dans le cas de Richard Matheson, on peut noter La Maison du Crime ou Paille Humide ; La Maison Enragée répond aux frustrations et à la colère du héros en attaquant l’occupant avec son mobilier, après quoi la police en déduit qu’il s’est auto-mutilé durant un accès de folie. Dans Tina a disparu, le thème de la maison vivante s’accorde à celui de la peur de la parentalité : la fille du héros disparaît, absorbée par les murs de la maison, et on peut encore entendre la voix dans les couloirs.
D’un point de vue plus macroscopique et faisant largement écho au lotissement de Vivarium, Une résidence de haut vol raconte comment un couple s’installe dans une maison, en réalité un vaisseau spatial qui finit par décoller ; Le Distributeur montre l’arrivée d’un mystérieux homme, Théodore Gordon, dans une charmante et paisible banlieue. D’apparence affable (telle que Martin dans Vivarium !), il enchaîne des petites actions anodines qui au cours des semaines, sèmeront discorde et zizanie dans le voisinage. Quel est son réel but ? Aucun, si ce n’est de vouloir recommencer une fois le quartier déserté… À moins que ce soit de démontrer la médiocrité de la vie mondaine et bourgeoise de la banlieue !
 
le lotissement de Vivarium est un enfer labyrinthique vert et gris
Pour s’enterrer dans un pavillon de banlieue, suivez le guide.

Une dernière note…

Il est amusant de faire régulièrement des allers-retours entre Vivarium et la bibliographie de nouvelles de Richard Matheson, mais finalement il ne s’agit que de thématique, aucune des nouvelles de Matheson n’étant réellement embranchée au long-métrage de Lorcan Finnegan. Durant une interview, le réalisateur sera d’ailleurs interrogé sur ses inspirations, et celui-ci avouera n’avoir jamais lu un seul ouvrage de cet auteur !
Mais… peut-on réellement croire qu’aucune oeuvre d’un Richard Matheson ne soit proche de Vivarium ? Le moment où Tom et Gemma tentent de s’échapper en voiture du lotissement, et n’arrive pas à trouver la sortie est fidèlement retranscrite dans Impasse (Dead End) de Richard Christian Matheson… le fils de Richard Matheson ! Comme quoi l’Enfant n’a pas forcément à être monstrueux…

Bibliographie

Né de l’homme et de la femme : Born of men and women 1950
L’habit fait l’homme : Clothes make the man 1951
La maison enragée : Mad house 1952
Une résidence de haut vol : Shipshape Home 1952
Escamotage : Disappearing act 1953
Les Captateurs : The disinheritors 1953
Tina a disparu : Little girl lost 1953
La maison du crime : Slaughter House 19853
Intrusion : Trespass 1953
Un mariage : The wedding 1953
Paille humide : Wet Straw 1953
Un cas d’école : One for the books 1955
J’veux voir le Père Noël ! : A visit to Santa Claus 1957
Le distributeur : The distributor 1958
Au bord du précipice : The edge 1958
Les visages de Julie : The likeness of Julie 1962
Sans paroles : Mute 1962
Duel : Duel 1971, 1972 pour la télévision
Le Signe du Lion : Leo Rising 1972
Dans la douleur : And in sorrow 2000
Impasse : Dead End 2000

L’ensemble des nouvelles de Richard Matheson est lisible dans l’anthologie de nouvelles en trois tomes, aux éditions J’ai lu.

La nouvelle Impasse de Richard Christian Matheson est lisible dans l’anthologie de nouvelles Dystopia, aux éditions J’ai lu.