Fallout : de l’accident industriel… (1/2)

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Nuclear winter is coming.
Fallout irradie en 2020 d’une réputation qu’on ne présente plus : cinq opus principaux ainsi que des dérivés tactique, action et MMO. Cette saga historique est née d’un projet improbable, d’une grande fragilité et à l’organisation anarchique, dont le développement fut jalonné d’accidents bienheureux, et qui finit par consolider le studio Interplay.
Tim Cain intègre le studio Interplay [1] en 1991. Après avoir officié sur The Bard’s Tale [2], il est affecté sur le développement d’outils transverses tels que des utilitaires de sauvegarde ; il conçoit un moteur de RPG pendant six mois sur son temps libre à partir de 1994, puis motive une poignée d’autres employés à le rejoindre dans sa folle aventure, à coups de sessions de jeu de rôle / pizza en salle de réunion après 18h30.
 
Interplay
Un logo, et une musique héroïque retentit dans les oreilles nostalgiques.

De fil en aiguille, une poignée de personnes intriguées le rejoignent, sans vraiment d’organisation, anarchique, le tout porté par la passion et les références culturelles pouvant enrichir leur travail (parmi lesquelles Un cantique pour Leibowitz de Walter M. Miller, Je suis une légende de Richard Matheson, et évidemment Mad Max et A boy and his dog, en français : Apocalypse 2024, adapté d’une nouvelle d’Harlan Ellison). Le projet s’officialise discrètement, la plupart des personnes y travaillant bénévolement en dehors des horaires de travail, le préférant parfois à des jours supplémentaires rémunérés.

A boy and his dog
A boy and his dog, une des inspirations cinématographiques de Fallout

Le prototype migre de la fantasy, alors trop concurrentiel dans les années 1990, au voyage temporel pour aboutir à un univers post-apocalyptique, fortement influencé par l’univers de Wasteland, le système de morale d’Ultima et la stratégie tour par tour de X-COM.
Cette étrange odyssée subit des hauts et des bas, en commençant par des risques d’annulation pour que l’équipe soit transférée sur Planescape : Torment [3] aux droits fraîchement acquis. Tim Cain suppliera alors Brian Fargo de le maintenir, tandis que Chris Taylor rédigera un argumentaire en faveur du projet, mettant en avant l’hyper-violence et l’humour. Il faudra également supprimer à la dernière minute la présence d’enfants pouvant être victimes du héros, afin de ne pas s’attirer les foudres des Associations de Familles européennes (souvenons-nous des critiques envers Grand Theft Auto ou Carmaggedon).

X-COM
X-COM, un jeu en tour par tour inspirant les combats de Fallout.
 
En plus des menaces de stop immédiat, il est acté que Fallout ne sera pas la suite de Wasteland. La négociation pour l’implémentation du système de jeu de rôle GURPS [4], dont Tim Cain est fan, échoue car aux yeux de Steve Jackson Fallout est trop violent, et il est difficile d’obtenir les droits de la chanson I don’t want to set the World on fire des Inkspots, le groupe favori du grand-père de Tim Cain. Finalement, Maybe du même groupe sera choisi car moins cher. Malgré le faible budget du projet, il y aura des coûts exorbitants pour faire venir des célébrités pour le voice-acting : Ron Pearlman, Richard Dean Anderson (MacGyver) ou Tony Shalhoub (Monk).
En interne, l’équipe luttera contre les desiderata des équipes commerciales pour refuser le mode multi-joueur, alors qu’à la même époque de nombreux jeux commencent à se déployer sur les réseaux domestiques LAN ou sur internet, tels que Diablo.
Malgré toutes ces péripéties, l’équipe jouera d’ingéniosité pour écrire les quêtes aux multiples résolutions (au moins deux parmi la violence, le subterfuge ou la diplomatie), la portabilité sous MAC qui sera développée en quelques jours, le rajout d’animation de têtes pour certaines discussions (un délire technologique à base d’effigie en cire en stop-motion), et rajouter de nombreuses fonctionnalités, comme des alliés. Ceux-ci sont bien reçus mais dénotent d’un manque flagrant de finitions car ils sont implémentés tardivement : ils peuvent porter de l’équipement à l’infini et faire office de « mules », tirent dans le tas sans se soucier de toucher leurs compagnons ou bloquent le passage dans les culs-de-sac étroits.
Fallout sera un succès critique et commercial, et Interplay capitalise immédiatement en lançant une franchise. Peu après le lancement du projet du second opus, Tim Cain et la plupart des acteurs majeurs du projet quittent Interplay, pour fonder Troika Games (Arcanum, Vampire : The Mascarade Bloodlines…) qui dura quelques années avant de fermer ses portes. Chris Avellone sera le porte-étendard du deuxième opus, à la fois dans l’esprit et très différent du premier.
Pour lire la suite de cet article : Fallout et le game design.

Sources :
La majorité des informations de ce billet proviennent d’une conférence donnée par Tim Cain lors de la Game Design Convention en 2012, visionnable sur Youtube.

Notes :
[1] Interplay est fondé par Brian Fargo et Rebecca Heinemann, première championne officielle d’un tournoi de jeu video (Space Invaders). Le studio se spécialise dans les aventures textuelles reprenant des univers à licence (Star Trek, Jason Bourne) et de nombreuses licences de jeu de rôle. En parallèle de Fallout, Interplay développera le moteur Infinity Engine à partir duquel sera créé Baldur’s Gate (1 & 2), Icewind Dale (1 & 2) et Planescape : Torment.
[2] Comme beaucoup de développeurs dans cet univers, Tim Cain est féru de jeu de rôle. Lors de son entretien d’embauche avec Interplay, il n’avait pas de référence à présenter, son nom ne figurant pas dans les crédits du jeu auquel il avait participé, car il était freelance. Mais il s’en tira grâce à un indéniable avantage : contrairement au candidat concurrent, il connaissait très bien les règles de Donjons et Dragons !
[3] Ce jeu étant en concurrence avec Tetris pour le Top 1 de l’auteur de ce billet.
[4] Steve Jackson a notamment conçu des jeux de société connus tels que Illuminati ou Munchkin, et bien sûr le jeu de rôle G.U.R.P.S., le tout sous l’égide de Steve Jackson Games. Fait amusant : il a un homonyme britannique dans le monde ludique, qui a créé avec son comparse Ian Livingstone la société Games Workshop (Warhammer…) et promu dans les années 80 les Livres dont vous êtes le Héros avec la collection Fighting Fantasy (Défis Fantastiques en français) ; le hasard n’aidant pas, Steve Jackson l’Américain a également écrit des livres-jeux dans la même collection !