The Hill We Climb, Amanda Gorman

La poétesse et militante Amanda Gorman, âgée d’une vingtaine d’années, a été choisie pour déclamer un poème le 20 janvier 2021, à l’occasion de l’investiture de Joe Biden, 46ème président des États-Unis. C’est Jill Biden qui a contacté Amanda Gorman, lui permettant de devenir la plus jeune poétesse à contribuer à cette cérémonie.
Le poème a été conçu en partie en réaction à l’assaut du Capitole par des partisans de Donald Trump, le 6 janvier 2021, mais Amanda Gorman a déclaré avoir commencé à l’écrire en s’inspirant de poèmes des investitures passées, dont Robert Frost, mais aussi des orateurs tels que Martin Luther King.
De façon logique, le poème mélange les références à l’histoire des États-Unis, dans ses aspects lumineux et sombres (Révolution américaine, esclavage…), y intégrant des allusions bibliques qui donnent parfois l’impression d’un véritable sermon. La poétesse insiste sur la responsabilité devant l’histoire et l’espoir en l’avenir, filant l’image d’une nouvelle aube de réconciliation et de lutte positive (ce qui n’est pas sans rappeler un texte phare de la culture anglo-saxonne comme Do Not Go Gentle Into That Good Night de Dylan Thomas). En somme, le poème réaffirme le rêve américain, dans une perspective démocrate.
 
Amanda Gorman, poème à l'investiture de Joe Biden.
Amanda Gorman déclamant son poème lors de la cérémonie d’investiture de Joe Biden.
Je propose ici une traduction personnelle en français du poème d’Amanda Gorman, ainsi qu’une reproduction du texte américain d’origine, tel qu’établi par le site du Guardian. Cette traduction, loin d’être définitive, pourra évoluer au fil des relectures et d’éventuelles suggestions.
 
Note concernant la polémique : grâce à la cérémonie, l’énorme médiatisation autour d’Amanda Gorman a motivé divers éditeurs du monde entier à faire traduire le recueil The Hill We Climb and Other Poems.
Aux Pays-Bas, le choix d’une traductrice blanche, Marieke Lucas Rijneveld, a fait scandale et elle a finalement renoncé à traduire Amanda Gorman, écrivant finalement un poème (traduit ici) pour évoquer cette expérience. Depuis, une polémique durable autour de la question de la traduction et de la représentation des Noirs, entre autres, a suscité de vives réactions de différentes figures du monde littéraire français (Frédéric Boyer, André Markowicz, Christophe Claro, ou encore Pierre Assouline se sont ainsi exprimés).
Les éditions Fayard ont pour leur part confié la traduction du recueil d’Amanda Gorman à la chanteuse Lous and The Yakuza, femme noire (« ébène » dit-elle d’ailleurs dans sa chanson Dilemme) qui a quasiment le même âge que la poétesse.
Au lecteur bien entendu de se faire une opinion et d’aborder la traduction ci-dessous en conscience. Je me bornerai à rappeler qu’elle fut faite dans l’effervescence de l’investiture, à la fois par curiosité et par volonté toute personnelle de partager gratuitement en français un texte qui, au moment où il fut déclamé, s’adressait au monde entier.
 
Note préliminaire à la traduction : « the hill we climb », c’est bien sûr, littéralement : la colline que nous gravissons. Cette traduction montre un des problèmes du passage au français, par la transformation radicale du rythme, donc des effets. Je me suis efforcé le plus possible de restreindre ces écarts rythmiques en privilégiant notamment les tournures infinitives, quitte à perdre parfois les occurrences du « we » collectif. C’est un choix évidemment discutable…
On rappellera aussi que le poème et sa déclamation relèvent du spoken word, qui privilégient une forme de mise en scène par le ton, les gestes… en s’inspirant entre autres du jazz, de la soul, du blues ou encore du hip-hop, pour la dimension strictement musicale, et de la Beat generation pour le mouvement littéraire. Des poètes comme Robert Frost, Langston Hugues, Kate Tempest, mais aussi Martin Luther King ou Serge Gainsbourg fournissent d’autres exemples de cette façon dynamique d’énoncer les textes, dont le slam constitue un rejeton.
Par ailleurs la « colline » dont il est question est, concrètement, celle où se situe le capitole de Washington, symbole du pouvoir et de l’union politique américaine.

La colline à gravir

Le jour venu, nous nous interrogeons : où trouver de la lumière dans cette ombre sans fin ?
La perte est notre fardeau, une mer à franchir,
Nous avons bravé le ventre de la bête.
Nous avons appris que tranquillité n’est pas toujours paix,
que les normes et notions de ce qui est « juste » n’est pas toujours justice.
Et pourtant, l’aube est nôtre avant que nous le sachions.
D’une façon ou d’une autre nous l’accomplissons.
D’une façon ou d’une autre nous avons enduré et vu une nation qui n’est pas brisée,
mais simplement inachevée.
Nous, les héritiers d’un pays et d’une époque où une fille Noire et maigre descendante d’esclaves
et élevée par une mère célibataire peut rêver de devenir présidente, et de façon inattendue se retrouve à déclamer pour un président.

Oui certes, nous sommes loin du raffinement, loin de l’immaculé,
mais cela ne veut pas dire que nous nous évertuons à former une union qui soit parfaite.
Nous nous évertuons à forger une union qui sert un dessein.
À fonder un pays qui s’engage auprès de toutes les cultures,
couleurs, natures, et conditions humaines.
Ainsi levons-nous nos regards non vers ce qui se tient entre nous, mais se tient devant nous.
Nous comblons le fossé parce que nous savons, pour que notre avenir soit prioritaire, que nous devons d’abord mettre de côté nos différences.
Nous baissons les bras afin qu’ils s’étendent et nous rassemblent.
Nous ne voulons de mal à personne mais l’harmonie pour tous.
Que le globe, à défaut d’autre chose, proclame cela :
Même dans le chagrin, nous grandissions.
Même dans la souffrance, nous avions l’espérance.
Même dans la lassitude, nous essayions.
Nous serons toujours liés ensemble, victorieux.
Non parce que nous ne connaîtrons jamais la défaite, mais parce que jamais plus nous ne sèmerons la division.

Les Écritures nous disent d’imaginer que chacun devrait s’asseoir sous sa propre vigne et sous son figuier sans qu’il y ait personne pour les troubler [1].Si nous devons nous montrer à la hauteur de notre époque, alors la victoire ne réside pas dans l’épée, mais dans les ponts bâtis.
Voici la promesse d’éclaircie, la colline à gravir, si seulement nous l’osons.
Cela parce qu’être Américain est plus qu’une fierté reçue en héritage.
C’est le passé dans lequel nous nous engageons et les moyens de la réparation.
Nous avons contemplé une force capable d’anéantir notre nation plutôt de l’offrir en partage.
Qui détruirait notre pays si cela signifiait surseoir la démocratie.
Cet effort a été près de porter ses fruits.
Mais quand bien même il arrive que la démocratie soit ralentie,
jamais elle ne peut être défaite irrémédiablement.
En cette vérité, en cette certitude, nous plaçons notre foi,
car alors que nos yeux sont tournés vers l’avenir, l’histoire nous regarde.
Voici l’ère de la juste rédemption.
Nous la redoutions, à son orée.
Nous ne nous sentions pas prêts à devenir les légataires d’un heure si terrible,
mais la vivant, nous avons trouvé le pouvoir d’entamer un nouveau chapitre, pour offrir à nous-mêmes espoir et rire.
Ainsi, de même qu’autrefois nous nous sommes demandés : « Comment pourrions nous possiblement triompher de la catastrophe ? », à présent nous affirmons : « Comment la catastrophe pourrait-elle possiblement triompher de nous ? »

Nous ne reviendrons pas en arrière, mais nous avancerons vers ce qui doit advenir :
Un pays meurtri, mais entier, bienveillant mais hardi, farouche et libre.
Nous ne nous serons pas subvertis ni interrompus par l’intimidation parce que nous savons que notre inaction et notre inertie seront le legs de la prochaine génération.
Nos fautes deviennent leurs fardeaux.
Mais une chose est certaine :
Si nous joignons la clémence à la puissance, et la puissance au juste, alors l’amour devient notre héritage et le changement, le droit de nos enfants échu à la naissance.

Aussi laissons derrière nous un pays meilleur que celui qui nous fut abandonné.
Avec chaque souffle qui vient de ma poitrine de bronze tambourinante, nous amenderons ce monde blessé en un monde merveilleux.
Nous nous lèverons des collines dorées de l’ouest.
Nous nous lèverons du nord-est balayé par le vent où nos ancêtres d’abord ont accompli leur révolution.
Nous nous lèverons des villes bordées de lacs des états du midwest.
Nous nous lèverons du sud baigné de soleil.
Nous reconstruirons, réconcilierons, et guérirons.
Dans chaque repli connu de notre nation, dans chaque recoin portant le nom de notre pays,
notre peuple, divers et beau, se montrera, malmené et beau.
Le jour venu, nous sortons de l’ombre, ardents et sans peur.
La nouvelle aube s’épanouit alors que nous la libérons.
Car il y a toujours de la lumière,
si seulement nous sommes assez braves pour la voir.
Si seulement nous sommes assez braves pour en être.

[1] Référence aux évangiles. Michée, 4,1-20, « Ils resteront assis chacun sous sa vigne, et sous son figuier, sans qu’il y ait personne pour les troubler ; car la bouche de Yahweh des armées a parlé. » Traduction de la Bible par Augustin Crampon.

Amanda Gorman, pendant sa déclamation du 20 janvier 2021
Amanda Gorman, pendant sa déclamation du 20 janvier 2021.

The Hill We Climb

When day comes, we ask ourselves where can we find light in this never-ending shade?
The loss we carry, a sea we must wade.
We’ve braved the belly of the beast.
We’ve learned that quiet isn’t always peace,
and the norms and notions of what “just” is isn’t always justice.
And yet, the dawn is ours before we knew it.
Somehow we do it.
Somehow we’ve weathered and witnessed a nation that isn’t broken,
but simply unfinished.
We, the successors of a country and a time where a skinny Black girl descended from slaves and raised by a single mother can dream of becoming president, only to find herself reciting for one.

And yes, we are far from polished, far from pristine,
but that doesn’t mean we are striving to form a union that is perfect.
We are striving to forge our union with purpose.
To compose a country committed to all cultures, colors, characters, and conditions of man.
And so we lift our gazes not to what stands between us, but what stands before us.
We close the divide because we know, to put our future first, we must first put our differences aside.
We lay down our arms so we can reach out our arms to one another.
We seek harm to none and harmony for all.
Let the globe, if nothing else, say this is true:
That even as we grieved, we grew.
That even as we hurt, we hoped.
That even as we tired, we tried.
That we’ll forever be tied together, victorious.
Not because we will never again know defeat, but because we will never again sow division.

Scripture tells us to envision that everyone shall sit under their own vine and fig tree and no one shall make them afraid.
If we’re to live up to our own time, then victory won’t lie in the blade, but in all the bridges we’ve made.
That is the promise to glade, the hill we climb, if only we dare.
It’s because being American is more than a pride we inherit.
It’s the past we step into and how we repair it.
We’ve seen a force that would shatter our nation rather than share it.
Would destroy our country if it meant delaying democracy.
This effort very nearly succeeded.
But while democracy can be periodically delayed,
it can never be permanently defeated.
In this truth, in this faith, we trust,
for while we have our eyes on the future, history has its eyes on us.
This is the era of just redemption.

We feared it at its inception.
We did not feel prepared to be the heirs of such a terrifying hour,
but within it, we found the power to author a new chapter, to offer hope and laughter to ourselves.
So while once we asked, ‘How could we possibly prevail over catastrophe?’ now we assert, ‘How could catastrophe possibly prevail over us?’
We will not march back to what was, but move to what shall be:
A country that is bruised but whole, benevolent but bold, fierce and free.
We will not be turned around or interrupted by intimidation because we know our inaction and inertia will be the inheritance of the next generation.
Our blunders become their burdens.
But one thing is certain:
If we merge mercy with might, and might with right, then love becomes our legacy and change, our children’s birthright.


So let us leave behind a country better than the one we were left.
With every breath from my bronze-pounded chest, we will raise this wounded world into a wondrous one.
We will rise from the golden hills of the west.
We will rise from the wind-swept north-east where our forefathers first realized revolution.
We will rise from the lake-rimmed cities of the midwestern states.
We will rise from the sun-baked south.
We will rebuild, reconcile, and recover.
In every known nook of our nation, in every corner called our country,
our people, diverse and beautiful, will emerge, battered and beautiful.
When day comes, we step out of the shade, aflame and unafraid.
The new dawn blooms as we free it.
For there is always light,
if only we’re brave enough to see it.
If only we’re brave enough to be it.