couverture du roman Jésus de Nazareth

Jésus de Nazareth est un roman publié aux éditions Aux Forges de Vulcain. Le texte ci-dessous a été rédigé par Rodolphe Casso, romancier publié chez le même éditeur (à lire : Le Dernier Jour du Tourbillon).

Paul Verhoeven est décidément un type étonnant.

Et crédible : son érudition sur le sujet n’est plus à démontrer. Il a étudié, cherché sur la vie Jésus pendant toute la sienne dans le but d’en faire un film. Ce qu’il propose ici, c’est la vision d’un dramaturge sur le Nouveau Testament, en tant qu’objet dramaturgique, justement, mais aussi historique. En quoi telle parabole a été remaniée ? En quoi tel passage ne tient pas debout ? En quoi celui-ci apparaît exact ? Les évangiles sont une compilation de textes écrits par des auteurs qui ne se sont pas privés de trafiquer la chronologie de certains événements, d’édulcorer certains passages qu’ils ne considéraient pas « Jésus compatibles », quand ils n’en n’ont pas tout simplement coupés. C’est rappeler, preuves à l’appui, qu’il ne faut pas prendre les évangiles… pour parole d’évangiles.

La couverture du roman

Verhoeven ne prétend pas « savoir ». Personne ne « sait ». Pas même ceux qui célèbrent le culte chrétien chaque dimanche. Non, Verhoeven décortique, suppose, propose, émet des hypothèses : parfois en s’appuyant sur celles de théologiens, parfois en défendant ses propres intuitions (qui ne sont pas piquées des vers !). C’est limpide, brillant, passionnant, instructif et, surtout, totalement décomplexé (ça, le mec sait faire).

J’ai assisté dans ma vie à des cultes catholiques, orthodoxes, protestants, évangélistes. Mais jamais on ne m’avait aussi bien parlé de Jésus. Pas le Jésus sur-homme, fils de Dieu et tout le tralala folklorico-mystique. Mais le personnage historique, le type qui vit, qui croit en sa cause, qui pédale dans la semoule, qui doute, qui se trompe, qui change ses priorités et ses objectifs en cours de route. Bref : le mec.

Quel plaisir – quel soulagement, même – de lire des choses posées, censées, dé-passionnées, dé-fanatisées sur ce sujet qui, qu’on le veuille ou non, concerne absolument tout le monde, de près ou de loin. L’occasion aussi de dire qu’on ne réalise jamais à quel point l’œuvre de Verhoeven contribue à faire reculer l’obscurantisme et le manichéisme qui, selon moi, marchent main dans la main.

Le postulat qui illustre le mieux la démarche de Verhoeven dans son livre est le suivant : « Si je ne peux en aucune façon me représenter un événement décrit comme réel et que je ne peux le mettre en scène qu’au prix d’effets spéciaux ou de manipulations de montage, je ne crois pas que cet événement a eu lieu. » C’est ainsi qu’il rejette catégoriquement tous les prétendus miracles accomplis par Jésus. Mieux : il explique, avec finesse comment les miracles sont en réalité des subterfuges, des écrans de fumée pour masquer un événement gênant pour l’image de Jésus, de son œuvre ou de ses proches.

Un exemple : Quand Marie, mère de Jésus, tombe enceinte, ses déplacements et comportements sont suspects. Une femme portant un enfant illégitime à cette époque n’agirait pas autrement. Or, comme Verhoeven ne croit pas aux miracles, et donc pas à l’ensemencement de Marie par un ange ou un esprit sain, il en déduit, avec beaucoup d’indices troublants à l’appui, que l’enfant est le fruit soit d’un adultère, soit d’un viol. Or, explique le réalisateur, avant d’entrer dans la grande histoire, Marie a vécu dans la ville de Sepphoris, qui a été mise à sac par les Romains. Si Verhoeven a – hélas ! – abandonné l’idée de faire un film sur Jésus, il restitue dans son livre la première scène de son script : « (…) Des soldats romains pillent et violent. Une jeune juive, âgée de 16 ans au plus, se cache dans une maison. Sa famille a été assassinée. Un soldat la découvre et la viole. Elle s’appelle Marie. »

Je vous laisse imaginer l’accueil du film… À côté, les polémiques provoquées par La Dernière Tentation du Christ de Martin Scorsese et La Passion du Christ de Mel Gibson auraient fait figure de pets de lapin.

En lisant le livre de Verhoeven, on imagine tellement de choses géniales pour un film : un Jésus soumis à Jean Baptise qui en devient le rival, le concurrent, jusqu’à le plagier. Et qui, à la mort de ce dernier, devient la nouvelle cible des prêtres collabos avec le pouvoir romain. Le voilà maintenant un prophète fugitif, un exorciste qui sillonne la Judée, la Galilée, la Samarie en voyant grossir les rangs de ses partisans. Jusqu’à les appeler à prendre les armes ? Oh la la la la ! Ce pitch ! Quel film ç’aurait été !

Enfin, voilà. Reste le livre. Et quel livre.

Immense plaisir de lecture.