Setsuko Hara

Setsuko Hara, icône du cinéma japonais et muse de Yasujiro Ozu

Préambule

Article rédigé par A. Baux

Décédée en 2015, Setsuko Hara avait prouvé une certaine célébrité en France lorsque certains médias relayèrent son décès à 95 ans. Véritable icône dans son pays natal, elle était l’une des dernières représentantes de l’âge d’or du cinéma nippon. Elle joua ainsi dans plus de 120 films (dont beaucoup ne sont pas regardables aujourd’hui à cause des destructions de pellicules) et trusta les rôles iconiques comme celui de Noriko dans Voyage à Tokyo (réalisé par Yasujiro Ozu en 1953).

Setsuko dans Printemps tardif (1949) réalisé par Y. Ozu

Les destructions de la seconde guerre mondiale n’ont pas été un frein mais à l’inverse un tremplin pour le 7ème art local. De grands réalisateurs comme Kurosawa ou Kenji Mizoguchi ont été très tôt célébrés à l’international. Dès 1951, Rashomon est célébré à la Mostra de Venise suivi par Les Sept Samouraïs en 1954 (tous deux réalisés par Kurozawa). Un homme, Donald Richie a beaucoup œuvré pour faire connaître le cinéma japonais en Occident [1]

Mais un élément de la biographie de Setsuko dénote assurément : elle a arrêté le métier d’actrice en 1963 à seulement 43 ans ! C’est comme si Robert de Niro avait arrêté sa carrière après Brazil sorti en 1986 (ce serait bizarre, dites-vous, très bizarre !).

Pourquoi donc a-t-elle arrêté le métier qui l’a rendue célèbre ? 

Comment en est-on arrivé à l’appeler la vierge éternelle ?


Jeunesse rythmée par la crise de 29

Le 17 juin 1920 à Yokohama (sud de Tokyo), Masae Aida voit le jour dans une famille bourgeoise travaillant dans la soie. Ce n’est pas étonnant que cette ville ait été la porte d’entrée du commerce international au Japon… Tout bascule en 1929 lorsque la crise financière et économique déferle sur le monde capitaliste : la famille de la petite Aida tombe dans la pauvreté suite à la chute du commerce international !

Aida aime déjà se baigner en 1936 (cf. la fin de sa vie)

C’est pour aider ses parents que l’adolescente va quitter l’école à 14 ans. C’est là où son destin bascule. Son beau-frère, Hisatora Kumagai est réalisateur et lui propose de jouer dans son premier film appelé N’hésitez pas jeunesse (1935) où elle interprète le rôle d’une certaine Setsuko… qui devient son nom de scène ! Dans les salles de cinéma nipponnes, qui viennent à peine de se séparer des kenshis (véritables conteurs expliquant les scènes aux spectateurs), une icône est née.

L’année suivante, elle est contactée par le jeune Sadao Yamanaka, réalisateur maudit du pays du soleil levant. Elle va jouer, dans un tout nouveau registre, une aubergiste poussée à la prostitution par la misère. Ce film appelé Kochiyama Soshun est adapté du kabuki, théâtre traditionnel japonais. Il est le témoin de la place essentielle du théâtre dans le cinéma nippon naissant : Donald Richie en parle dans son excellent Le Cinéma japonais.

 Ce Kochiyama Soshun est un jidai-geki où Setsuko joue un rôle féminin alors qu’avant c’était des hommes qui jouaient tous les rôles (donc aussi les rôles féminins)

Propagande pendant la Seconde Guerre mondiale

À partir de la fin des années 1930, la vie de Setsuko va basculer dans un contexte d’expansion du militarisme japonais. Dès 1932, les troupes impériales envahissent la Manchourie depuis la Corée déjà colonisée par le Japon. Mobilisé sur place, Sadao Yamanaka y meurt de la dysenterie en septembre 1938… De son côté, Setsuko tourne dans un film allemand réalisé par Arnold Fanck, La Fille du Samouraï. Cette œuvre a pour but de familiariser le public allemand avec le pays du soleil levant… Setsuko va même partir en tournée mondiale dont Berlin sera une étape essentielle !

Setsuko a eu le « bonheur » d’être accueillie par Goebbels en personne à Berlin : heureusement qu’il ne reste aucune photo ! #mythebrisé

La période sombre de Setsuko n’en est qu’à ses débuts. En effet, elle assiste impuissante à la nationalisation du cinéma par le gouvernement japonais en le 1er octobre 1939. Pire, le régime souhaite en faire le fer de lance de la propagande militariste au cinéma… Elle joue ainsi dans une dizaine de films dont un qui reproduit l’attaque de Pearl Harbor. Elle est aussi témoin du pourrissement progressif de la situation japonaise vers les bombardements massifs de l’archipel dès 1944.

Certaines lignes du CV sont plus difficiles à assumer que d’autres comme ici avec La bataille navale à Hawaï et au large de la Malaisie (jolies roses) réalisé en 1942

Le double choc atomique va mettre fin au militarisme japonais. Dans un pays aussi massivement détruit par les bombes incendiaires, elle assiste à la souffrance inouïe de son peuple. L’occupation américaine sera marquée par une volonté de démocratisation du pays. Le cinéma va donc renaître de ses cendres grâce à l’aide américaine. De nombreux japonais ayant participé à l’effort de guerre retournent au travail : ce sera évidemment le cas de Setsuko Hara, « premier espoir du cinéma japonais ».

La consécration d’après-guerre et Ozu

Plus rien n’empêchera l’actrice de monter au sommet du cinéma nippon. Dès 1946, Akira Kurosawa lui offre un rôle dans Je ne regrette rien de ma jeunesse, l’un des seuls films qui va critiquer l’ancien régime de manière frontale en mettant en scène la répression des milieux universitaires. Le film devient immédiatement culte au Japon et le personnage central de Yukie (joué par Setsuko) va remplir les cœurs par sa fidélité et son abnégation.

Setsuko joue à la femme idéale dans ce film en ne trahissant jamais son mari, même après son arrestation…

Catapultée au sommet par Kurosawa, c’est cependant un autre réalisateur japonais qui va marquer sa vie au fer rouge. En 1949, Hara joue dans Printemps tardif de Yasujiro Ozu. Celui-ci a adopté un style contemplatif radicalement différent de Kurosawa. Bien qu’un peu moins connu à l’international, Ozu a connu le seul succès qui compte vraiment en séduisant la belle Setsuko. Cette dernière jouera dans un dernier Kurosawa en 1952 (L’Idiot adapté de Dostoievski) mais deviendra une véritable muse pour Ozu !

Setsuko à l’affiche avec Masayuki Mori (au centre) et Toshiro Mifune (à gauche) qui deviendra l’un des acteurs japonais les plus célèbres après ses films avec Kurozawa

Cette situation mérite d’être décrite plus longuement. Ozu ne s’est jamais marié et dans le Japon d’après-guerre, ce n’est pas très bien vu… Surtout lorsque l’on tombe amoureux de sa plus belle actrice ! Évidemment, Setsuko jouera une demi-douzaine de films avec Ozu mais cela ne décrit pas vraiment leur relation réelle : il semblerait qu’il vivaient « maritalement » tout en évitant le sujet du mariage. L’actrice vit ainsi en « vierge éternelle » ! Selon moi, cela explique pourquoi de nombreux films d’Ozu tournent autour des mariages forcés/ratés/compliqués…

Épilogue

Le 12 décembre 1963, Yasujiro Ozu meurt d’un cancer à 60 ans. Aux premières loges de ce drame, Setsuko Hara sera à jamais bouleversée par cette perte : elle met fin à sa carrière de façon ferme et définitive. Très vite, elle quitte Tokyo pour la station balnéaire de Kamakura et vit ainsi près de 50 ans auprès des cendres de son amour qu’elle a fait déposer à côté de chez-elle.

Que dire de plus sur cette star japonaise, symbole de l’âge d’or japonais qui a tout arrêté à 43 ans à peine  comme Greta Garbo avant elle. Elle personnifie l’âme des films de son amour secret avec sa mélancolie, la routine du quotidien mais surtout une forme de douceur toute japonaise.

Greta Garbo en 1929 n’avait plus qu’une dizaine d’années à jouer…

Notes

[1] Donald Richie, Le Cinéma japonais, Éditions du Rocher, 2005, 402 p.