Entrée de cimetière Caspar David Friedrich

The Hound, généralement traduit par « Le Molosse », est une nouvelle de Lovecraft écrite en octobre 1922, publiée en février 1924 dans le magazine pulp Weird Tales : il y a un siècle ! Le texte traite du thème du pilleur de tombe et de la malédiction qui en résulte… L’amateur de Lovecraft y trouvera la première mention du Necronomicon, livre mystérieux qui reviendra dans d’autres œuvres ; c’est aussi ici qu’Abdul Alhazred est présenté comme son auteur. La nouvelle est fournie ici dans une traduction personnelle, qui pourra recevoir quelques corrections, suivie de quelques notes et remarques et du texte en anglais (américain).

The Hound Lovecraft
L’entrée du cimetière, 1825, Caspar David Friedrich (source).

Le limier

Traduction de Thomas Spok, 2024

I

Mes oreilles sont mises à la torture, las, par le tapage incessant d’un cauchemar qui tournoie et qui trépide, et par l’aboi ténu, lointain, comme jailli de quelque gigantesque chien de chasse. Il ne s’agit pas de rêves — ni même, je le crains, de folie — car bien trop déjà a eu lieu pour que me soit accordée la clémence du doute. St. John est un cadavre mutilé ; moi seul sais pourquoi, et mon savoir est tel que je m’apprête à me brûler la cervelle de peur de finir mutilé de même manière. Au fond de corridors sans lumière ni limite prospèrent les phantasmes cabalistiques et l’obscure, l’informe Némésis qui m’incite à l’anéantissement de moi-même.

Que les cieux pardonnent l’impudence et l’impulsion morbide qui nous ont menés tous deux à pareille destinée si monstrueuse ! Accablés par les banalités d’un monde prosaïque, où même les plaisirs de la romance et de l’aventure tantôt s’épuisent, St. John et moi nous étions intéressés à tout mouvement esthétique et intellectuel qui promettait une trêve dans notre ennui* dévastateur. Les énigmes des symbolistes, les extases des préraphaélites, toutes furent nôtres en leur temps, mais chaque nouvelle tendance se tarissait trop tôt, vidée de son caractère inédit et distrayant comme de son attrait. Seule la sombre philosophie des décadents put nous retenir, et nous n’en connûmes la force que par l’accroissement progressif de la profondeur et du diabolisme de nos investigations. Baudelaire et Huysmans furent vite à court de frissons, jusqu’à ce qu’enfin ne restassent plus pour nous que les stimuli plus directs des expériences personnelles et des rencontres contre-nature. Ce fut cet effroyable besoin d’émotions qui nous conduisit finalement aux événements détestables que, même sous le coup de ma peur présente, je mentionne avec honte et embarras — de l’outrage à l’humain la plus hideuse des extrémités, la pratique abhorrée du pillage de tombes.

Je ne puis révéler les détails de nos scandaleuses expéditions, ou dresser ne serait-ce qu’une partie des trophées, les pires, garnissant le muséum innommé que nous avons aménagé dans la grande maison en pierre où nous demeurions tous les deux, solitaires et sans domestiques. C’était un lieu impensable et blasphématoire que notre muséum, dans lequel nous avions rassemblé, avec le goût satanique des virtuoses névrosés, un univers de terreur et décadence qui servait à stimuler nos sensibilités émoussées. Il s’agissait d’une chambre secrète, loin, bien loin sous la terre : où d’énormes démons ailés, sculptés dans le basalte et l’onyx, vomissaient par des bouches moqueuses une lumière d’un vert et orange bizarres ; où des tubes pneumatiques dissimulés froissaient les lignes rouges de figures lugubres, tissées irrémédiablement à d’amples tentures noires, et les mêlaient en kaléidoscope pour des danses macabres. Par ces tubes nous parvenaient à volonté les senteurs tant désirées, selon notre humeur ; parfois le parfum des pâles lys funèbres, parfois l’encens narcotique venus d’imaginaires mausolées orientaux pour les défunts royaux, et parfois — comme je frémis à ce souvenir ! — l’effroyable relent de la tombe exhumée, qui soulève jusqu’à l’âme.

Le long des murs de cette chambre répugnante se trouvaient les sarcophages d’antiques momies qui succédaient à des corps avenants, vibrant de vie, parfaitement empaillés et traités par l’art du taxidermiste, ainsi qu’à des têtes de pierre dérobées aux cimetières les plus anciens du monde. Ici et là des châsses contenaient des crânes de toutes formes, et des têtes conservées à différentes étapes de décomposition. Quelqu’un eût pu découvrir là les crânes pourrissants et lisses de gentilshommes de renom, de même que les têtes intactes, aux boucles d’or éclatantes, d’enfants récemment enterrés. Des statues et des tableaux s’amoncelaient, portant tous sur des sujets monstrueux dont certains exécutés par St. John et moi-même. Un portfolio cadenassé, relié en cuir humain, renfermait certains dessins inconnus et innommables dont la rumeur prétendait qu’ils avaient été commis par Goya, sans qu’il osât l’admettre.

Il y avait aussi des instruments à la musique nauséabonde, cordes, cuivres et bois, grâce auxquels St. John et moi produisions parfois d’exquises dissonances morbides, emplies d’épouvante cacodaimôniaque [1] ; alors que dans une multitude de cabinets marquetés d’ébène reposait la plus incroyable et inimaginable variété de butin sépulcral jamais amassé par la folie humaine et la perversité. De ce butin notamment je ne dois pas parler — Dieu merci ! j’eus le courage de le détruire bien avant d’avoir la pensée du suicide.Les excursions prédatrices grâce auxquelles nous rassemblions nos inavouables trésors étaient toujours de mémorables événements artistiques. Nous n’étions point de vulgaires goules [2], mais exercions seulement sous certaines conditions d’humeur, de paysage, d’environnement, de météorologie, de saison, et de clarté lunaire. Ces passetemps nous étaient la plus exquise forme d’expression esthétique, et nous accordions au moindre de leurs détails un soin de fastidieuse technicité. Une heure inadéquate, un effet de lumière criard, ou une manipulation maladroite du terreau humide, avaient pour effet d’anéantir en nous l’effervescence extatique qui suivait l’exhumation de quelque augural secret de la terre, et au large sourire. Notre quête de décors neufs comme de situations piquantes était fiévreuse et insatiable — St. John menait toujours, et ce fut lui qui nous entraîna enfin jusqu’à ce lieu de dérision, de malédiction, qui lui nous conduisit à notre perte immonde et inéluctable.

Par quelle maligne fatalité fûmes-nous sournoisement attirés dans cet affreux cimetière hollandais ? Je pense que c’était dû au sombre de la rumeur et du légendaire, aux récits concernant celui enterré là depuis cinq siècles, qui lui-même en son temps avait été une goule et avait subtilisé un puissant artéfact d’un sépulcre majestueux. Je puis me rappeler le cadre de ces ultimes instants — la pâle lune d’automne sur les tombes, qui projetait de longues, d’horribles ombres ; les arbres grotesques, mornement affaissés à la rencontre de l’herbe négligée et du pavage brisé ; les vastes légions de chauves-souris étrangement colossales dont le vol se détachait sur la lune ; l’antique église envahie par le lierre pointant un énorme doigt spectral en direction du ciel livide ; les insectes phosphorescents qui dansaient tels des feux follets sous les ifs, dans un recoin distant ; les relents de moisissure, de végétation, de choses moins intelligibles qui se mêlaient faiblement au vent nocturne venu de bien au-delà des marais et des mers ; et pire que tout, le vague aboi au timbre grave de quelque gigantesque chien de chasse que nous ne pouvions jamais apercevoir ni situer pour de bon. Au moment où nous entendîmes cette suggestion d’aboi, nous fûmes pris d’un frisson, nous souvenant des récits de paysans ; car celui que nous recherchions avait été trouvé des siècles auparavant en ce même endroit, déchiré, mutilé par les griffes et les crocs de quelque bête innommable.

Je me souviens comme nos bèches s’enfoncèrent dans la tombe de la goule, et quelle était notre effervescence à nous représenter ainsi, et la tombe, la pâle sentinelle lunaire, les affreuses ombres, les arbres grotesques, les chauve-souris titanesques, l’antique église, les feux follets dansant, les relents, la brise nocturne doucement gémissante, et l’étrange aboi, à peine intelligible et sans direction, dont nous pouvions presque douter de l’existence objective. Puis nous heurtâmes une substance plus dure que la moisissure humide, et découvrîmes une boîte oblongue en décomposition, couverte de la croûte des dépôts minéraux issus de la terre laissée longtemps intacte. Elle était incroyablement résistante et épaisse, mais si vieille qu’enfin nous la forçâmes et rassasiâmes nos regards de son contenu mis au jour.

Beaucoup — étonnamment beaucoup — demeurait de l’objet, malgré l’intervalle de cinq cents années. Le squelette, bien que broyé par endroits par les mâchoires de la chose qui l’avait tué, se maintenait avec une fermeté surprenante, et nous jubilâmes de voir le crâne blanc immaculé, sa dentition longue et robuste, ainsi que les cavités vides qui avaient autrefois lui d’une fièvre charnelle comparable à la nôtre. Dans le cercueil reposait une amulette au motif bizarre et exotique, qui apparemment avait été porté autour du coup du dormeur. Il s’agissait de la forme singulièrement traditionnelle d’un chien ailé ramassé sur lui-même, ou d’un sphinx au visage semi-canin, et qui était sculptée délicatement, à la façon de l’Orient antique, dans un petit fragment vert de jade. L’expression de ses traits était repoussante à l’extrême, empreinte tout à la fois de mort, bestialité et malveillance. Autour de la partie inférieure courait une inscription en caractères que ni St. John ni moi ne pûmes identifier ; au-dessous, tel un sceau d’artisan, était engravé un grotesque et formidable crâne.

Aussitôt que nous eûmes contemplé cette amulette, nous sûmes que nous devions la posséder ; que ce trésor seul était le lucre que nous remporterions en toute logique de la tombe séculaire. Quand bien même ses contours eussent-ils été insolites, nous l’aurions désirée, or comme nous regardions plus près nous vîmes qu’elle n’était pas si singulière. Étrangère, certes elle l’était, à toute forme d’art et de littérature que des lecteurs sains et équilibrés connussent, cependant nous la reconnûmes comme étant l’artéfact à quoi il était fait allusion dans le Necronomicon [3] interdit de l’Arabe fou Abdul Alhazred : l’horrible symbole-âme du culte de dévoreurs de cadavres de l’inaccessible Leng [4], en Asie centrale. Nous n’identifiions que trop bien la sinistre tournure décrite par le vieux daimônologiste arabe ; des traits, écrivait-il, tracés d’après quelque obscure et surnaturelle manifestation des âmes de ceux qui offensaient et dérangeaient les morts.

Nous emparant de l’objet vert de jade, nous eûmes un dernier regard pour son propriétaire, ses yeux en caverne, la blancheur de craie de son visage, et comblâmes la tombe pour qu’elle fût telle que nous l’avions trouvée. Alors que nous nous éloignions en hâte de cet exécrable endroit, avec l’amulette dérobée dans la poche de St. John, nous crûmes voir les chauve-souris s’abattre toutes à la fois sur la terre que nous venions tout récemment de piller, comme à la recherche de quelque pitance maudite et impie. Mais la lune d’automne brillait pâle et faible, et nous ne pouvions en être certains. Ainsi, comme le jour suivant nous naviguions au large de la Hollande, en direction de notre foyer, nous crûmes également entendre, en toile de fond, l’aboi ténu, lointain, de quelque gigantesque chien de chasse. Mais triste et faible le vent d’automne gémissait, et nous ne pouvions en être certains.

Lovecraft The Hound St. John
Une tempête se lève, 1672, Willem van de Velde.

II

Moins d’une semaine après notre retour en Angleterre, d’étranges phénomènes commencèrent à se produire. Nous vivions en reclus ; dépourvus d’amis, solitaires, sans serviteurs, partageant quelques pièces d’un ancien manoir retiré, dressé sur une lande morne ; si bien que nos portes étaient rarement agitées par le toc-toc des visiteurs. À présent, cependant, nous étions troublés par ce qui paraissait de fréquents tâtonnements dans la nuit, non seulement à l’entour des portes mais aussi aux abords des fenêtres, du haut comme du bas. Une fois nous nous figurâmes même qu’une grande masse opaque assombrissait la fenêtre de la bibliothèque, au moment où la lune y resplendissait, et une autre fois nous crûmes avoir entendu non loin un bruit de vrombissement ou de palpitation. À chacune de ces occasions des recherches minutieuses ne révélèrent rien, si bien que nous mîmes à attribuer telles occurrences à la seule imagination — étrangement perturbée, cette même imagination qui prolongeait encore à nos oreilles l’aboi ténu, lointain, que nous croyions avoir entendu dans le cimetière hollandais. À présent l’amulette de jade reposait dans une châsse de notre muséum, et parfois nous brûlions devant des bougies à l’étrange parfum. Nous en apprîmes beaucoup à son sujet en lisant le Necronomicon d’Alhazred, et concernant le lien entre les âmes des goules et les objets qu’elle symbolisait ; et fûmes troublés par notre lecture. Puis vint la terreur.

Durant la nuit du 24 septembre 19**, j’entendis frapper à la porter de ma chambre. Me figurant qu’il s’agissait de St. John, je priai d’entrer le visiteur, mais n’obtins en réponse qu’un rire strident. Il n’y avait personne dans le couloir. Quand je tirai St. John de son sommeil, il déclara ne rien savoir de l’événement, et s’inquiéta autant que moi. Ce fut au cours de cette nuit que l’aboi  ténu, lointain, qui passait sur la lande nous devint une réalité incontestable et redoutée. Quatre jours plus tard, cependant que nous nous tenions ensemble dans le muséum secret, survint un grattement faible, prudent, auprès de la porte qui conduisait à l’escalier dérobé de la bibliothèque. Notre sentiment d’alarme se trouvait maintenant dédoublé, car outre notre peur de l’inconnu, nous avions toujours nourri la crainte que notre collection macabre pût être découverte. Éteignant toutes les lumières, nous avançâmes vers la porte et l’ouvrîmes à la volée ; sur ce, nous sentîmes souffler un courant d’air indescriptible, et entendîmes comme se retirant au loin une association insolite de bruissements, de ricanements et de net babil. Que ce fût sous l’effet de la folie, du rêve, ou en pleine conscience, nous ne tentâmes pas de le déterminer. Nous nous rendîmes seulement compte, pris de la plus noire des appréhensions, que le babil en apparence désincarné avait été prononcé sans aucun doute possible en langue néerlandaise.

Après cela nous vécûmes dans une horreur et une fascination croissantes. Nous étions surtout tenants de la théorie selon laquelle nous devenions conjointement fous, en raison de notre vie faite de passions contre-nature, mais il nous plaisait parfois davantage de nous représenter à nous-mêmes comme les victimes de quelque épouvantable et sournoise fatalité. Les signes bizarres se produisaient maintenant trop fréquemment pour en tenir le compte. Notre demeure solitaire paraissait animée par la présence de quelque entité maligne dont nous ne pouvions déceler la nature, et toutes les nuits l’aboi daimôniaque se répandait sur la lande battue par le vent, toujours plus fort. Le jour du 29 octobre, nous découvrîmes dans la terre molle, sous la fenêtre de la bibliothèque, une série d’empreintes tout à fait impossible à décrire. Elles s’avéraient aussi déconcertantes que les hordes de grandes chauves-souris qui hantaient le vieux manoir, en nombres croissants et inégalés.

L’horreur atteignit un point culminant le 18 novembre, lorsque St. John, revenant après la nuit tombée de la gare lointaine, fut emporté par une chose effroyable et vorace qui le mit en lambeaux. Ses hurlements étaient parvenus jusqu’à la demeure, et je m’étais précipité à l’endroit de la terrible scène, à temps pour entendre un bruissement d’ailes et apercevoir une chose noire et vague qui se profilait sur la lune montante. Mon ami se mourait quand je lui adressai la parole, et il ne put me faire une réponse cohérente. Il parvint seulement à murmurer : « L’amulette — maudite chose —. » Puis il s’affaissa, masse inerte de chair mutilée.

Je l’enterrai à la minuit suivante, dans l’un de nos jardins à l’abandon, et penché sur son cadavre je marmonnai les paroles d’un des rituels diaboliques qu’il avait affectionné durant sa vie. Comme je prononçais la dernière formule daimôniaque, j’entendis au loin sur la lande l’aboi ténu de quelque gigantesque chien de chasse. La lune était levée, mais je n’osais la regarder. Et lorsque je vis sur la lande faiblement éclairée une ombre vaste et nébuleuse qui filait à toute allure de tertre en tertre, je fermai les yeux et me jetai au sol face la première. Quand je me relevai tremblant, je ne sais combien de temps après, je rentrai à pas incertains dans la demeure, et fis d’odieuses prosternations devant l’amulette de jade enchâssée.

À présent, effrayé à l’idée de vivre seul dans l’ancienne demeure sur la lande, je m’en allai le jour suivant pour Londres, emportant avec moi l’amulette après avoir détruit par le feu et l’ensevelissement ce qui restait dans le muséum de notre collection impie. Trois nuits plus tard, cependant, j’entendis de nouveau l’aboi, et avant qu’une semaine fût écoulée je sentais glisser sur moi d’étranges regards, chaque fois qu’il faisait sombre. Un soir, comme je déambulais le long de Victoria Embankment [5], mû par la nécessité de prendre l’air, j’entrevis une forme noire occulter l’un des reflets jetés  sur l’eau par les réverbères. Une bourrasque plus fort que le vent nocturne se précipita, et je sus que ce qui était advenu à St. John m’adviendrait bientôt.

Le jour suivant j’enveloppai soigneusement l’amulette de jade et fit voile pour la Hollande. Quelle miséricorde pouvais-je obtenir en rapportant la chose à son propriétaire silencieux et endormi, je l’ignorais ; mais je sentais qu’il me fallait du moins tenter toute démarche que la logique pût concevoir. Ce qu’était le limier, et pourquoi il me poursuivait, restaient de vagues questions ; mais j’avais d’abord entendu l’aboi dans cet antique cimetière, et tout événement subséquent, y compris le murmure d’agonie de St. John, avait contribué à associer la malédiction au vol de l’amulette. En conséquence, je plongeai dans les abysses du désespoir lorsque, à une auberge de Rotterdam, je m’aperçus que des voleurs m’avaient dépouillé de cet unique planche de salut.

L’aboi retentit bruyamment ce soir-là, et au matin j’appris en lisant le journal qu’un acte innommable avait été commis dans le quartier le plus infâme de la ville. La canaille était terrorisée, car s’était abattue sur un logement ignoble une mort rouge [6], qui outrepassait en vilenie les crimes antérieurs du voisinage. Dans un repaire de voleurs sordide une famille entière avait été mise en pièces par une chose inconnue qui n’avait laissé aucune trace, et toute la nuit les gens alentour avaient entendu, par-delà la clameur habituelle des voix d’ivrognes, une note insistante, profonde, ténue, comme jaillie de quelque gigantesque chien de chasse.

Enfin donc, je me tins de nouveau dans ce cimetière sordide où une pâle lune d’hiver jette ses ombres hideuses, et des arbres effeuillés s’affaissaient mornement à la rencontre de l’herbe flétrie, gelée, et du pavage brisé, et l’église recouverte de lierre pointait un doigt moqueur vers le ciel hostile, et le vent nocturne hurlait frénétiquement, venu de marécages gelés et de mers glacées. L’aboi s’avérait de plus en plus ténu, et il cessa tout à fait comme j’approchais la tombe ancienne que j’avais jadis profanée, et j’effarouchai une horde anormalement vaste de chauves-souris qui étaient restées à voleter alentour de manière étrange.

J’ignore pourquoi je m’étais rendu là sinon pour prier, ou balbutier des requêtes et des excuses insensées à la calme chose blanche qui reposait à l’intérieur ; cependant, quelles que fussent mes raisons, je m’attaquais à la terre à demi gelée en proie à un désespoir qui m’était propre en partie, et en partie celui d’une volonté dominante qui m’était extérieure.

L’excavation fut bien plus aisée que je ne m’y attendais, bien qu’à un moment donné je fus confronté à une curieuse interruption ; lorsqu’un mince vautour se précipita du ciel glacial et se mit à donner des coups de bec frénétiques sur la terre sépulcrale, jusqu’à ce qu’un coup de ma pelle ne mît un terme à sa vie. J’atteignis finalement la boîte oblongue en décomposition, et en ôtai l’humide couche de salpêtre. Ce fut le dernier acte rationnel que j’accomplis jamais.

Car tapie à l’intérieur de ce cercueil centenaire, recouverte par une escorte compacte d’énormes chauves-souris somnolentes, toutes tendons et cauchemars, se tenait la chose osseuse que mon ami et moi avions spoliée ; non pas propre et placide ainsi que nous l’avions vue auparavant, mais maculée de sang caillé et de lambeaux de chairs et de cheveux qui n’étaient pas les siens, et me lançant de ses orbites phosphorescentes un regard torve, où paraissait la conscience, tandis que ses crocs sanguinolents ouvraient une béance difforme pour railler mon sort inéluctable. Puis, quand de ces mâchoires au large rictus s’échappa un hurlement sardonique et profond, comme jailli de quelque gigantesque chien de chasse, quand je vis que  dans sa griffe immonde et sanglante se trouvait la funeste amulette vert de jade, je ne fis que crier et m’enfuis sottement, ma clameur bientôt fondue en éclats de rires hystériques.

La démence parcourt le vent stellaire… griffes et dents aiguisées par des siècles de cadavres… mort dégoulinante à califourchon sur une bacchanale de chauves-souris montées depuis les ruines nocturnes des temples de Bélial… À présent, comme l’aboi de cette monstruosité morte et décharnée se fait de plus en plus fort, qu’en cercles de plus en plus étroits tournoient et trépident furtivement ces maudites ailes entoilées, il me faut chercher par mon revolver le néant qui est mon seul refuge face à l’innommé et l’innommable.

Notes :

[1] cacodaimôn : du grec kakodaimōn, qui désigne un mauvais esprit.
[2] goule : Lovecraft utilise « ghoul » au sens large, mais ambigu, de pilleur de tombe.
[3] Necronomicon : livre fictif que Lovecraft attribue à l’auteur également fictif Abdul Alhazred. Ce livre est mentionné dans plusieurs textes de Lovecraft, mais c’est ici sa première occurrence.
[4] Leng : lieu fictif (plateau) que Lovecraft mentionne dans d’autres textes, dont son roman La Quête onirique de Kadath l’inconnue (1926-1927).
[5] Victoria Embankment : digue de Londres nommée d’après la reine Victoria, sur la rive gauche de la Tamise. Lovecraft n’a par ailleurs jamais visité Londres, ni même quitté les États-Unis.
[6] mort rouge : allusion probable à la nouvelle Le Masque de la mort rouge (The Masque of the Red Death, 1842) d’Edgar Allan Poe, que Lovecraft admirait. La mort rouge en tant que telle désigne symboliquement l’inéluctabilité de la mort.

tapuscrit de Lovecraft The Hound
Détail du tapuscrit de Lovecraft.

Pour en lire plus :

Les amateurs de Lovecraft pourront lire ma traduction de poèmes de Lovecraft, dont son recueil Fungi de Yuggoth, dans la collection poésie des éditions Points (parution mars 2024), à commander par exemple ici :
https://www.placedeslibraires.fr/livre/9791041411009-fungi-de-yuggoth-et-autres-poemes-howard-phillips-lovecraft/

Commentaire :

The Hound est un cas particulier de la bibliographie lovecraftienne : écrite en 1922, publiée seulement en 1924 dans Weird Tales, et même réimprimée dans le magazine en septembre 1929, sa réception critique est restée assez négative : elle est considérée comme un pastiche d’Edgar Allan Poe et de son style gothique, dérivé du Chien de Baskerville d’Arthur Conan Doyle (The Hound of the Baskervilles, 1901-1902). C’est d’ailleurs un texte auquel il est fait référence pour moquer la tendance de Lovecraft à abuser des adjectifs (ce qui est appelé « adjectivitis »).
À noter : le tapuscrit de la nouvelle est conservé à la Brown University Library, avec des corrections manuscrites qui suppriment une mention de l’auteur Clark Ashton Smith, ami de Lovecraft !
Lovecraft lui-même émit dans sa correspondance des remarques négatives au sujet de la nouvelle : il la qualifie de « piece of junk », « dead dog », autant dire rien qui vaille. Il s’agit pourtant d’une des premières nouvelles que Lovecraft envoie à Weird Tales et dont il obtient la publication (il écrit à James F. Morton en 1923 : « Once again I have followed a Mortonian tip … and have slipped Weird Tales five of my hell-beaters … Dagon, Randolph Carter, Cats of Ulthar, Hound, and Arthur Jermyn. »).
Le spécialiste américain de son œuvre, S. T. Joshi, a pu la décrire comme une parodie de Poe, Ambrose Bierce (notamment pour sa nouvelle The Damned Thing de 1893, dans laquelle des chasseurs sont confrontés à un monstre invisible) et Joris-Karl Husymans, l’auteur français qui exemplifie le courant décadentiste. Avec Baudelaire, Huysmans représente ici le goût d’une esthétique en rupture avec la modernité, où l’atmosphère et le décor, leur symbolisme, ont plus d’importance que l’intrigue. Les personnages de la nouvelle de Lovecraft peuvent ainsi être lus comme des cousins du Des Esseintes du roman À rebours de Huysmans : le personnage, en proie à un ennui durable, vit retiré dans un pavillon, où il s’entoure d’objets précieux et surtout de livres (dont ceux de Poe !).
À ces influences livresques s’ajoute l’inspiration directe d’un voyage à New York, que Lovecraft fait en compagnie de son ami Rheinhart Kleiner, qui utilisait le pseudonyme Randolph St. John. Tous deux visitent un cimetière de Brooklyn, dont Lovecraft dit avoir rapporté un petit débris de pierre tombale, qu’il s’e serait engagé’engage à mettre sous son oreiller en guise de charme protecteur. Ce discret trouble entre fiction et réalité témoigne aussi d’une dimension ludique de la nouvelle.
Le critique James Goho (voir son article de 2008 The Sickness unto Death in H. P. Lovecraft’s “The Hound”) remarque d’ailleurs que The Hound est « l’exemple du langage baroque de l’horreur […] ce n’est pas la peur mais à l’épouvante que Lovecraft se confronte. Et le message est qu’à la fin même le langage ne peut nous protéger. »
a nouvelle a suscité suffisamment d’intérêt pour être lue et enregistrée dès 1962-63 par l’acteur Roddy McDowall (présent à cette époque dans le film Cléopâtre avec Elisabeth Taylor !). Elle a également été adaptée en comics par Jack « Jaxon » Jackson, dans le n°4 de la revue underground Skull (mai 1972) inspirée par les revues d’horreur EC Comics. Plus récemment, le mangaka Gou Tanabe a proposé sa version du récit dans son manga Le Molosse (2022), dans la série « Les chefs d’œuvre de Lovecraft » des éditions Ki-oon.

The Hound par Jaxon (1972)
Deux vignettes de l’adaptation en BD de The Hound par Jaxon (1972).

Le texte original :

The Hound

I

In my tortured ears there sounds unceasingly a nightmare whirring and flapping, and a faint, distant baying as of some gigantic hound. It is not dream—it is not, I fear, even madness—for too much has already happened to give me these merciful doubts. St. John is a mangled corpse; I alone know why, and such is my knowledge that I am about to blow out my brains for fear I shall be mangled in the same way. Down unlit and illimitable corridors of eldritch phantasy sweeps the black, shapeless Nemesis that drives me to self-annihilation.

May heaven forgive the folly and morbidity which led us both to so monstrous a fate! Wearied with the commonplaces of a prosaic world, where even the joys of romance and adventure soon grow stale, St. John and I had followed enthusiastically every aesthetic and intellectual movement which promised respite from our devastating ennui. The enigmas of the Symbolists and the ecstasies of the pre-Raphaelites all were ours in their time, but each new mood was drained too soon of its diverting novelty and appeal.

Only the sombre philosophy of the Decadents could hold us, and this we found potent only by increasing gradually the depth and diabolism of our penetrations. Baudelaire and Huysmans were soon exhausted of thrills, till finally there remained for us only the more direct stimuli of unnatural personal experiences and adventures. It was this frightful emotional need which led us eventually to that detestable course which even in my present fear I mention with shame and timidity—that hideous extremity of human outrage, the abhorred practice of grave-robbing.

I cannot reveal the details of our shocking expeditions, or catalogue even partly the worst of the trophies adorning the nameless museum we prepared in the great stone house where we jointly dwelt, alone and servantless. Our museum was a blasphemous, unthinkable place, where with the satanic taste of neurotic virtuosi we had assembled an universe of terror and decay to excite our jaded sensibilities. It was a secret room, far, far underground; where huge winged daemons carven of basalt and onyx vomited from wide grinning mouths weird green and orange light, and hidden pneumatic pipes ruffled into kaleidoscopic dances of death the lines of red charnel things hand in hand woven in voluminous black hangings. Through these pipes came at will the odours our moods most craved; sometimes the scent of pale funeral lilies, sometimes the narcotic incense of imagined Eastern shrines of the kingly dead, and sometimes—how I shudder to recall it!—the frightful, soul-upheaving stenches of the uncovered grave.

Around the walls of this repellent chamber were cases of antique mummies alternating with comely, life-like bodies perfectly stuffed and cured by the taxidermist’s art, and with headstones snatched from the oldest churchyards of the world. Niches here and there contained skulls of all shapes, and heads preserved in various stages of dissolution. There one might find the rotting, bald pates of famous noblemen, and the fresh and radiantly golden heads of new-buried children. Statues and paintings there were, all of fiendish subjects and some executed by St. John and myself. A locked portfolio, bound in tanned human skin, held certain unknown and unnamable drawings which it was rumoured Goya had perpetrated but dared not acknowledge. There were nauseous musical instruments, stringed, brass, and wood-wind, on which St. John and I sometimes produced dissonances of exquisite morbidity and cacodaemoniacal ghastliness; whilst in a multitude of inlaid ebony cabinets reposed the most incredible and unimaginable variety of tomb-loot ever assembled by human madness and perversity. It is of this loot in particular that I must not speak—thank God I had the courage to destroy it long before I thought of destroying myself.

The predatory excursions on which we collected our unmentionable treasures were always artistically memorable events. We were no vulgar ghouls, but worked only under certain conditions of mood, landscape, environment, weather, season, and moonlight. These pastimes were to us the most exquisite form of aesthetic expression, and we gave their details a fastidious technical care. An inappropriate hour, a jarring lighting effect, or a clumsy manipulation of the damp sod, would almost totally destroy for us that ecstatic titillation which followed the exhumation of some ominous, grinning secret of the earth. Our quest for novel scenes and piquant conditions was feverish and insatiate—St. John was always the leader, and he it was who led the way at last to that mocking, that accursed spot which brought us our hideous and inevitable doom.

By what malign fatality were we lured to that terrible Holland churchyard? I think it was the dark rumour and legendry, the tales of one buried for five centuries, who had himself been a ghoul in his time and had stolen a potent thing from a mighty sepulchre. I can recall the scene in these final moments—the pale autumnal moon over the graves, casting long horrible shadows; the grotesque trees, drooping sullenly to meet the neglected grass and the crumbling slabs; the vast legions of strangely colossal bats that flew against the moon; the antique ivied church pointing a huge spectral finger at the livid sky; the phosphorescent insects that danced like death-fires under the yews in a distant corner; the odours of mould, vegetation, and less explicable things that mingled feebly with the night-wind from over far swamps and seas; and worst of all, the faint deep-toned baying of some gigantic hound which we could neither see nor definitely place. As we heard this suggestion of baying we shuddered, remembering the tales of the peasantry; for he whom we sought had centuries before been found in this selfsame spot, torn and mangled by the claws and teeth of some unspeakable beast.

I remember how we delved in this ghoul’s grave with our spades, and how we thrilled at the picture of ourselves, the grave, the pale watching moon, the horrible shadows, the grotesque trees, the titanic bats, the antique church, the dancing death-fires, the sickening odours, the gently moaning night-wind, and the strange, half-heard, directionless baying, of whose objective existence we could scarcely be sure. Then we struck a substance harder than the damp mould, and beheld a rotting oblong box crusted with mineral deposits from the long undisturbed ground. It was incredibly tough and thick, but so old that we finally pried it open and feasted our eyes on what it held.

Much—amazingly much—was left of the object despite the lapse of five hundred years. The skeleton, though crushed in places by the jaws of the thing that had killed it, held together with surprising firmness, and we gloated over the clean white skull and its long, firm teeth and its eyeless sockets that once had glowed with a charnel fever like our own. In the coffin lay an amulet of curious and exotic design, which had apparently been worn around the sleeper’s neck. It was the oddly conventionalised figure of a crouching winged hound, or sphinx with a semi-canine face, and was exquisitely carved in antique Oriental fashion from a small piece of green jade. The expression on its features was repellent in the extreme, savouring at once of death, bestiality, and malevolence. Around the base was an inscription in characters which neither St. John nor I could identify; and on the bottom, like a maker’s seal, was graven a grotesque and formidable skull.

Immediately upon beholding this amulet we knew that we must possess it; that this treasure alone was our logical pelf from the centuried grave. Even had its outlines been unfamiliar we would have desired it, but as we looked more closely we saw that it was not wholly unfamiliar. Alien it indeed was to all art and literature which sane and balanced readers know, but we recognised it as the thing hinted of in the forbidden Necronomicon of the mad Arab Abdul Alhazred; the ghastly soul-symbol of the corpse-eating cult of inaccessible Leng, in Central Asia. All too well did we trace the sinister lineaments described by the old Arab daemonologist; lineaments, he wrote, drawn from some obscure supernatural manifestation of the souls of those who vexed and gnawed at the dead.

Seizing the green jade object, we gave a last glance at the bleached and cavern-eyed face of its owner and closed up the grave as we found it. As we hastened from that abhorrent spot, the stolen amulet in St. John’s pocket, we thought we saw the bats descend in a body to the earth we had so lately rifled, as if seeking for some cursed and unholy nourishment. But the autumn moon shone weak and pale, and we could not be sure. So, too, as we sailed the next day away from Holland to our home, we thought we heard the faint distant baying of some gigantic hound in the background. But the autumn wind moaned sad and wan, and we could not be sure.

II.

Less than a week after our return to England, strange things began to happen. We lived as recluses; devoid of friends, alone, and without servants in a few rooms of an ancient manor-house on a bleak and unfrequented moor; so that our doors were seldom disturbed by the knock of the visitor. Now, however, we were troubled by what seemed to be frequent fumblings in the night, not only around the doors but around the windows also, upper as well as lower. Once we fancied that a large, opaque body darkened the library window when the moon was shining against it, and another time we thought we heard a whirring or flapping sound not far off. On each occasion investigation revealed nothing, and we began to ascribe the occurrences to imagination alone—that same curiously disturbed imagination which still prolonged in our ears the faint far baying we thought we had heard in the Holland churchyard. The jade amulet now reposed in a niche in our museum, and sometimes we burned strangely scented candles before it. We read much in Alhazred’s Necronomicon about its properties, and about the relation of ghouls’ souls to the objects it symbolised; and were disturbed by what we read. Then terror came.

On the night of September 24, 19––, I heard a knock at my chamber door. Fancying it St. John’s, I bade the knocker enter, but was answered only by a shrill laugh. There was no one in the corridor. When I aroused St. John from his sleep, he professed entire ignorance of the event, and became as worried as I. It was that night that the faint, distant baying over the moor became to us a certain and dreaded reality. Four days later, whilst we were both in the hidden museum, there came a low, cautious scratching at the single door which led to the secret library staircase. Our alarm was now divided, for besides our fear of the unknown, we had always entertained a dread that our grisly collection might be discovered. Extinguishing all lights, we proceeded to the door and threw it suddenly open; whereupon we felt an unaccountable rush of air, and heard as if receding far away a queer combination of rustling, tittering, and articulate chatter. Whether we were mad, dreaming, or in our senses, we did not try to determine. We only realised, with the blackest of apprehensions, that the apparently disembodied chatter was beyond a doubt in the Dutch language.

After that we lived in growing horror and fascination. Mostly we held to the theory that we were jointly going mad from our life of unnatural excitements, but sometimes it pleased us more to dramatise ourselves as the victims of some creeping and appalling doom. Bizarre manifestations were now too frequent to count. Our lonely house was seemingly alive with the presence of some malign being whose nature we could not guess, and every night that daemoniac baying rolled over the windswept moor, always louder and louder. On October 29 we found in the soft earth underneath the library window a series of footprints utterly impossible to describe. They were as baffling as the hordes of great bats which haunted the old manor-house in unprecedented and increasing numbers.

The horror reached a culmination on November 18, when St. John, walking home after dark from the distant railway station, was seized by some frightful carnivorous thing and torn to ribbons. His screams had reached the house, and I had hastened to the terrible scene in time to hear a whir of wings and see a vague black cloudy thing silhouetted against the rising moon. My friend was dying when I spoke to him, and he could not answer coherently. All he could do was to whisper, “The amulet—that damned thing—.” Then he collapsed, an inert mass of mangled flesh.

I buried him the next midnight in one of our neglected gardens, and mumbled over his body one of the devilish rituals he had loved in life. And as I pronounced the last daemoniac sentence I heard afar on the moor the faint baying of some gigantic hound. The moon was up, but I dared not look at it. And when I saw on the dim-litten moor a wide nebulous shadow sweeping from mound to mound, I shut my eyes and threw myself face down upon the ground. When I arose trembling, I know not how much later, I staggered into the house and made shocking obeisances before the enshrined amulet of green jade.

Being now afraid to live alone in the ancient house on the moor, I departed on the following day for London, taking with me the amulet after destroying by fire and burial the rest of the impious collection in the museum. But after three nights I heard the baying again, and before a week was over felt strange eyes upon me whenever it was dark. One evening as I strolled on Victoria Embankment for some needed air, I saw a black shape obscure one of the reflections of the lamps in the water. A wind stronger than the night-wind rushed by, and I knew that what had befallen St. John must soon befall me.

The next day I carefully wrapped the green jade amulet and sailed for Holland. What mercy I might gain by returning the thing to its silent, sleeping owner I knew not; but I felt that I must at least try any step conceivably logical. What the hound was, and why it pursued me, were questions still vague; but I had first heard the baying in that ancient churchyard, and every subsequent event including St. John’s dying whisper had served to connect the curse with the stealing of the amulet. Accordingly I sank into the nethermost abysses of despair when, at an inn in Rotterdam, I discovered that thieves had despoiled me of this sole means of salvation.

The baying was loud that evening, and in the morning I read of a nameless deed in the vilest quarter of the city. The rabble were in terror, for upon an evil tenement had fallen a red death beyond the foulest previous crime of the neighbourhood. In a squalid thieves’ den an entire family had been torn to shreds by an unknown thing which left no trace, and those around had heard all night above the usual clamour of drunken voices a faint, deep, insistent note as of a gigantic hound.

So at last I stood again in that unwholesome churchyard where a pale winter moon cast hideous shadows, and leafless trees drooped sullenly to meet the withered, frosty grass and cracking slabs, and the ivied church pointed a jeering finger at the unfriendly sky, and the night-wind howled maniacally from over frozen swamps and frigid seas. The baying was very faint now, and it ceased altogether as I approached the ancient grave I had once violated, and frightened away an abnormally large horde of bats which had been hovering curiously around it.

I know not why I went thither unless to pray, or gibber out insane pleas and apologies to the calm white thing that lay within; but, whatever my reason, I attacked the half-frozen sod with a desperation partly mine and partly that of a dominating will outside myself. Excavation was much easier than I expected, though at one point I encountered a queer interruption; when a lean vulture darted down out of the cold sky and pecked frantically at the grave-earth until I killed him with a blow of my spade. Finally I reached the rotting oblong box and removed the damp nitrous cover. This is the last rational act I ever performed.

For crouched within that centuried coffin, embraced by a close-packed nightmare retinue of huge, sinewy, sleeping bats, was the bony thing my friend and I had robbed; not clean and placid as we had seen it then, but covered with caked blood and shreds of alien flesh and hair, and leering sentiently at me with phosphorescent sockets and sharp ensanguined fangs yawning twistedly in mockery of my inevitable doom. And when it gave from those grinning jaws a deep, sardonic bay as of some gigantic hound, and I saw that it held in its gory, filthy claw the lost and fateful amulet of green jade, I merely screamed and ran away idiotically, my screams soon dissolving into peals of hysterical laughter.

Madness rides the star-wind . . . claws and teeth sharpened on centuries of corpses . . . dripping death astride a Bacchanale of bats from night-black ruins of buried temples of Belial. . . . Now, as the baying of that dead, fleshless monstrosity grows louder and louder, and the stealthy whirring and flapping of those accursed web-wings circles closer and closer, I shall seek with my revolver the oblivion which is my only refuge from the unnamed and unnamable.