A Little Journey by Ray Bradbury — traduction en français

[A Little Journey (Un petit périple) est une nouvelle de Ray Bradbury publiée en août 1951 dans la revue Galaxy Science Fiction, dirigée alors par Horace Gold. Elle est alors illustrée par un certain Thorne (Frank Thorne ?). L’année 1951 marque une étape importante pour Bradbury, qui publie, toujours dans Galaxy, The Fireman, nouvelle qui deviendra le classique… Fahrenheit 451 ! Mais, à l’époque où il publie dans Galaxy, Bradbury est déjà un auteur chevronné qui a déjà attiré l’attention en 1950 avec son recueil The Martian Chronicles (Chroniques martiennes, 1954, éditions Denoël)…
Pour l’anecdote : à l’été 1951, une petite bataille s’engage autour de la revue Galaxy Science Fiction, qui appartenait à un éditeur européen. Le diffuseur américain semble avoir tenté de saboter la distribution pour racheter la revue à moindre prix, mais c’est finalement l’imprimeur Robert M. Guinn qui l’obtint, fondant la Galaxy Publishing Corporation en octobre 1951…
 
fusée Bradbury a little journey
La fusée de Tintin dans On a marché sur la lune, bd de Hergé datant de 1951.

Peu connue, cette nouvelle de Bradbury n’a pas été souvent republiée. Elle présente des points communs avec Kaleidoscope ou encore The Rocket, textes qui eux ont été intégrés au recueil The Illustrated Man (en France, L’Homme Illustré, 1954, éditions Denoël).
A Little Journey a eu toutefois droit à une traduction dans le numéro 59 d’une édition française de Galaxie, publiée en octobre 1958 par les éditions Nuit et Jour, semble-t-il sans indication de traducteur et avec le titre ironique : Le grand voyage. Plus récemment, la nouvelle a été publiée dans le numéro 72 de la revue Bifrost d’octobre 2013, consacré à Ray Bradbury, et traduite par Pierre-Paul Durastanti ; curieusement, la référence donnée est « A small journey » avec un copyright daté de 1979 : une autre version ?
Le lecteur trouvera ci-dessous ma proposition de traduction de la nouvelle, qui à priori est dans le domaine public, quelques notes de traduction et éléments d’analyse, ainsi que le texte en anglais ((États-Unis) établi d’après les archives en ligne de Galaxy Science Fiction. Toute remarque est la bienvenue.]

La nouvelle traduite

Un petit périple
 
Elle avait mis le prix pour voir l’inéluctable… puis elle a dû y mettre du sien pour qu’il se produise !

Deux choses importaient — d’une, elle était très âgée ; de deux, M. Thirkell l’amenait à Dieu. Car ne lui avait-il pas tapoté la main, et dit : « Mme Bellowes, nous partirons dans l’espace avec ma fusée, et nous irons Le trouver ensemble. »
Et c’était bien ainsi qu’il en serait. Oh, ce n’était pas du tout comme les autres groupes auxquels Mme Bellowes avait pu se joindre, auparavant : dans le zèle qu’elle avait mis à illuminer un chemin pour ses pieds délicats et chancelants, elle avait frotté bien des allumettes, le long d’allées obscures, et elle s’était retrouvée auprès de mystiques hindous dont les cils étoilés, papillonnants, battaient au-dessus de boules de cristal. Elle avait marché sur les sentiers de prairie en compagnie de philosophes indiens ascétiques importés par les filles spirituelles de Madame Blavatsky. Elle avait effectué des pèlerinages dans les jungles de stuc de Californie, pour y traquer l’astrologue dans son habitat naturel. Elle avait même consenti à céder les droits de propriété d’une de ses maisons afin d’être intégrée dans l’ordre tapageur d’un temple d’extraordinaires évangélistes, qui lui avaient promis de la fumée dorée, du feu de cristal ainsi que la grande main douce de Dieu venue l’emporter dans Sa maison.
Ces gens n’avaient jamais ni en aucune façon ébranlé la foi de Mme Bellowes, même quand elle les voyait emmenés au bruit des sirènes dans une fourgonnette noire, au beau milieu de la nuit, ou qu’elle découvrait leurs photos, glauques et fort peu romantiques, dans la presse à scandale du matin. Le monde les avait malmenés et enfermés hors de portée parce qu’ils en savaient trop, voilà tout.
Et puis, deux semaines plus tôt, elle avait vu à New York la réclame de M. Thirkell :
VENEZ SUR MARS !
Séjournez une semaine au Restorium Thirkell. Ensuite, direction l’espace pour la plus grande aventure que la vie puisse offrir ! 
Demandez le prospectus gratuit : « Plus près de toi, mon Dieu ».
 Tarifs excursions. Aller-retour légèrement moins cher.
 
« Aller-retour » avait pensé Mme Bellowes. « Mais qui voudrait revenir après L’avoir vu, Lui»
Alors elle avait acheté un billet et s’était envolée pour Mars, où elle avait passé sept journées agréables au Restorium de M. Thirkell, l’immeuble surmonté de l’enseigne clignotante : « La fusée de Thirkell pour le paradis ! » Elle avait passé la semaine à se baigner dans des eaux limpides, à ôter le poids des soucis de ses os minces, et à présent elle ne tenait plus en place, parée à embarquer dans la fusée privée spéciale de M. Thirkell, semblable à une balle, sur le point d’être tirée vers l’espace au-delà de Jupiter, Saturne et Pluton. De cette manière — qui aurait pu le nier ? — on se rapprocherait de plus en plus du Seigneur. Quelle merveille ! Ne Le sentait-on pas venir à soi ? Ne sentait-on pas Son souffle, Son regard pénétrant, Sa Présence ?
« Me voici », répétait Mme Bellowes, « un vénérable ascenseur branlant, prêt à soulever sa cage. Dieu n’a qu’à appuyer sur le bouton. »
À présent, au septième jour, comme elle se trémoussait en montant les marches du Restorium, elle était assaillie par un certain nombre de petits doutes.
« D’une, dit-elle à la cantonade, « ce n’est pas tout à fait le pays où coulent le lait et le miel, ici sur Mars, contrairement à ce qu’ils avaient prétendu. Ma chambre ressemble à une cellule, la piscine est vraiment tout à fait inappropriée, et, par ailleurs, combien de veuves qui ressemblent à des champignons ont envie de nager ? Enfin, le Restorium entier sent mauvais le chou bouilli et les tennis ! »
Elle ouvrit la porte d’entrée et la laissa se refermer sur un claquement, quelque peu irritée.
Elle s’émerveilla des autres femmes dans l’auditorium. C’était comme déambuler dans le labyrinthe de miroirs à la foire, se trouver encore et encore face à soi-même — la même figure farineuse, les mêmes mains tremblotantes, les bracelets cliquetants. L’une après l’autre, des images d’elle-même passaient en flottant devant elle. Elle tendit la main, mais il ne s’agissait pas d’un miroir ; c’était une autre dame qui remuait les doigts et disait :
« Nous attendons M. Thirkell. Chut ! »
« Ah, » murmura tout le monde. Les rideaux de velours s’écartèrent.
M. Thirkell parut, merveilleusement serein, ses yeux égyptiens englobant tout le monde. Néanmoins, il y avait quelque chose dans son apparence qui faisait que tout un chacun s’attendait à le voir s’exclamer « Salut ! » tandis que des chiens frisés sauteraient par-dessus ses jambes, à travers l’anneau de ses bras repliés, et par-dessus son dos. Ensuite, avec les chiens et tout et tout, il danserait en arborant un sourire éblouissant en clavier de piano, jusqu’au retour dans les coulisses.
Mme Bellowes, dans une part secrète de son for intérieur qu’il lui fallait constamment tenir en laisse, s’imaginait entendre un coup de gong chinois bon marché quand M. Thirkell entra. Ses grands yeux sombres limpides étaient si improbables que l’une des vieilles dames avait affirmé, facétieuse, qu’elle avait vu un nuage de moustiques les recouvrir, comme ils le faisaient en été autour des tonneaux remplis d’eau de pluie. Et parfois Mme Bellowes discernait le parfum de la naphtaline théâtrale et l’odeur du calliope à vapeur sur son costume impeccablement repassé.
Mais avec la même rationalisation sauvage qui avait reçu toutes les autres déceptions de sa vie chancelante, elle donna un coup de croc à sa suspicion et murmura, « Cette fois c’est réel. Cette fois ça marchera. N’avons-nous pas une fusée ? »
M. Thirkell s’inclina. Il sourit d’un brusque sourire de Masque de Comédie. Les vieilles dames observèrent son épiglotte et perçurent là du chaos.
Avant même qu’il eût commencé à parler, Mme Bellowes vit qu’il choisissait chacun de ses mots, le graissait, s’assurait qu’il glissait bien sur les rails. Son cœur se serra comme un petit poing, et ses dents de porcelaine grincèrent.
« Mes amies, » dit M. Thirkell, et l’on aurait pu entendre le bris de gel dans les cœurs de l’assemblée entière.
« Non » fit Mme Bellowes par avance. Elle pouvait entendre les mauvaises nouvelles se précipiter sur elle, se voir elle-même attachée à la voie ferrée alors que les immenses roues noires avançaient menaçantes et que le sifflet hurlait, impuissant.
« Il y aura un léger retard, » déclara M. Thirkell.
L’instant suivant, M. Thirkell aurait pu s’écrier, ou être tenté de s’écrier, « Mesdames, restez assises ! » comme dans les spectacles de minstrel, car les dames s’étaient élancées hors de leurs chaises pour l’encercler, entre protestations et tremblements.
« Un retard vraiment léger. » M. Thirkell leva les mains pour tapoter l’air alentour.
« Combien de temps ?
— Rien qu’une semaine.
— Une semaine !
— Oui. Vous pouvez bien rester sept jours de plus au Restorium, n’est-ce pas ? Un petit retard n’aura pas d’importance, au bout du compte, hein ? Vous avez attendu une vie entière. Rien que quelques jours de plus. »
À vingt dollars la journée, pensa Mme Bellowes, froidement.
« Quel est le problème ? s’écria une femme.
— Une difficulté juridique, dit M. Thirkell.
— Nous avons bien une fusée ?
— Eh bien, oui, oui.
— Mais ça fait un mois entier que je suis ici à attendre, dit une dame particulièrement vieille. Des retards, toujours des retards !
— C’est vrai, fit tout le monde.
— Mesdames, mesdames, murmura M. Thirkell, avec un sourire serein.
— Nous voulons voir la fusée ! » C’était Mme Bellowes qui chargeait, seule, brandissant le point comme un jouet en forme de marteau.
M. Thirkell scrutait les regards des vieilles dames, un missionnaire parmi les cannibales albinos.
« C’est-à-dire que là, tout de suite, dit-il.
— Oui, tout de suite ! s’exclama Mme Bellowes.
— J’ai bien peur… commença-t-il.
— Et moi donc ! fit-elle. C’est bien pourquoi nous voulons voir le vaisseau !
— Non, non, pour le moment, madame… » Il claqua des doigts, cherchant à se rappeler son nom.
« Bellowes ! » cria-t-elle. Elle était un petit conteneur, mais à présent toutes les pressions accumulées au fil de longues années remontaient bouillonnantes, s’échappaient en vapeur à travers les évents délicats de son corps. Ses joues devinrent incandescentes. Avec un gémissement qui sonnait tel un mélancolique coup de sifflet d’usine, Mme Bellowes courut à lui et s’y agrippa, presque avec les dents, comme un Spitz rendu fou par la chaleur d’été. Elle ne voulait ni ne pourrait jamais en démordre, jusqu’à ce qu’il mourût, et les autres femmes suivirent, bondissant et jappant comme si tous les chiens de la fourrière étaient lâchés sur leur dresseur, le même que celui qui les avait choyés et pour qui ils avaient remué et geint une heure auparavant, et elles froissèrent sa chemise et mirent en fuite la sérénité égyptienne de son regard.
« Par ici ! cria Mme Bellowes, se sentant comme Madame Lafarge. Passons par derrière ! Nous avons attendu assez longtemps pour voir le vaisseau. Chaque jour il nous en a dissuadées, chaque jour nous avons attendu, maintenant allons voir.
— Non, non, mesdames ! » protesta M. Thirkell, qui sautillait.
Elles firent irruption par l’arrière de la scène puis par une porte, telles un déluge, emportèrent avec elles le pauvre homme jusque dans un hangar, puis débouchèrent, assez soudainement, dans un gymnase à l’abandon.
« La voilà ! fit quelqu’un. La fusée. »
Puis un silence s’abattit, trop affreux pour être décrit.
La fusée était là.
Mme Bellowes la contempla et ses mains s’abaissèrent d’un coup, abandonnant le col de M. Thirkell.
La fusée était quelque chose comme une marmite en cuivre cabossée. Il y avait un millier de bosses, de fêlures, de tuyaux rouillés et de conduits, à l’extérieur aussi bien qu’à l’intérieur. Les hublots étaient recouverts de poussière, tels les yeux d’un cochon aveugle.
Toutes poussèrent un petit soupir plaintif.
« Est-ce là la fusée Gloire Soit au Très-Haut ? » s’écria Mme Bellowes, horrifiée.
M. Thirkell opina du chef et regarda ses pieds.
« Pour laquelle nous avons payé chacune nos mille dollars, pour laquelle nous avons fait tout le voyage jusqu’à Mars, dans le but d’embarquer avec vous et de partir à Sa rencontre ? demanda Mme Bellowes. Eh bien, elle ne vaut pas un sac de pois secs — ce n’est qu’un tas de ferraille ! »
Un tas la ferraille, murmurèrent-elles toutes, de plus en plus hystériques.
« Ne le laissez pas filer ! »
M. Thirkell tenta de se dégager et de s’enfuir, mais un millier de pièges à opossum se referma sur lui de toutes parts. Il se recroquevilla.
Tout le monde se mit à tourner en rond comme des souris aveugles. Il y eut de la confusion et des pleurs qui durèrent cinq minutes pendant qu’elles allaient toucher la fusée, la Bouilloire Ébréchée, le Conteneur
Rouillé pour les Enfants de Dieu.
« Bon, » fit Mme Bellowes. Elle grimpa les marches et se tint dans l’entrée tordue de la fusée, et fit face à toute le monde.
«  Il semblerait qu’une chose terrible nous arrive, dit-elle. Je n’ai plus d’argent pour retourner sur Terre, à la maison, et j’ai trop de fierté pour aller dire au Gouvernement qu’un homme quelconque tel que celui-là nous a escroquées de nos économies. Je ne sais pas comment vous voyez la chose, vous toutes, mais la raison pour laquelle nous sommes toutes venues, c’est que j’ai quatre-vingt ans, et toi quatre-vingt-neuf, et toi soixante-dix-huit, que toutes nous allons sur nos cent, que sur Terre il n’y a rien pour nous, et sur Mars non plus apparemment. Aucune d’entre nous ne s’attendait à respirer encore ou à faire beaucoup plus de napperons au crochet, ou nous ne serions jamais venues ici. J’ai donc une simple chose à proposer — tentons notre chance. »
Elle tendit le bras et toucha la carcasse rouillée de la fusée.
« C’est notre fusée. Nous avons payé pour notre trajet. Et nous allons faire ce voyage ! »
Toutes s’agitèrent avec des froufrous, se dressèrent sur la pointe des pieds et ouvrirent une bouche stupéfaite.
M. Thirkell se mit à pleurer. Cela lui venait très facilement, sur commande.
« Nous allons monter à bord de ce vaisseau, poursuivit Mme Bellowes, sans lui prêter attention. Et nous allons nous rendre là où nous avions prévu d’aller. »
M. Thirkell cessa de pleurer assez longtemps pour dire : « Mais tout était faux. Je ne sais rien de l’espace. Il n’y est pas, en tout cas. J’ai menti. Je ne sais pas où Il est, et je ne pourrais pas le trouver si je le voulais. Et vous étiez naïves de me croire sur parole.
— Oui, répondit Mme Bellowes, nous étions bien naïves. Je suis d’accord. Mais vous ne pouvez pas nous le reprocher, car nous sommes vieilles, et c’était une idée plaisante, bonne et agréable, une des idées les plus plaisantes du monde. Oh, nous n’étions pas vraiment assez candides pour croire que nous pouvions nous rapprocher physiquement de Lui. C’était le rêve délicat et fou de vieilles personnes, du genre auquel se raccrocher quelques minutes par jour, même en sachant que ce n’est pas vrai. Alors, toutes celles d’entre vous qui voulez y aller, suivez-moi dans le vaisseau.
— Mais vous ne pouvez pas partir ! fit M. Thirkell. Vous n’avez pas de navigateur. Et ce vaisseau est une épave !
— C’est vous, dit Mme Bellowes, qui serez le navigateur. »
Elle entra dans le vaisseau, et après un instant, les autres vieilles dames se précipitèrent à sa suite. M. Thirkell, malgré les grands moulinets frénétiques de ses bras, fut poussé à travers le sas, et une minute après la porte se referma en claquant. M. Thirkell se retrouva attaché au siège du navigateur, tout le monde parlant en même temps et le maintenant assis. Les casques spéciaux furent distribués pour être ajustés sur les têtes grises ou blanches, afin de fournir l’oxygène supplémentaire en cas de fuite dans la coque de l’appareil, et enfin l’heure tant attendue était arrivée, Mme Bellowes se plaça derrière M. Thirkell et déclara : « Nous sommes prêtes, monsieur. »
Il ne répondit rien. Il plaida silencieusement sa cause auprès d’elles en se servant de ses grands yeux noirs humides, mais Mme Bellowes secoua la tête et pointa du doigt le panneau de contrôle.
« Décollage, » consentit M. Thirkell, morose, et il pressa un bouton.
Toutes tombèrent. La fusée s’éleva de la planète Mars en une grande traînée de feu, cela faisait le vacarme d’une cuisine entière lancée dans une gaine d’ascenseur, avec un bruit de pots, de casseroles, de bouillons sur le feu et de ragoûts mijotés, répandait une odeur d’encens consumé, de caoutchouc et de soufre, traçait une flamme de couleur jaune, puis un ruban rouge qui s’étirait dans leur sillage, et toutes les vieilles femmes chantaient en s’agrippant les unes aux autres, et Mme Bellowes  remontait en rampant le long du vaisseau ébranlé, tremblant et soupirant.
« Droit vers l’espace, M. Thirkell.
— Cela ne peut pas durer, répliqua M. Thirkell, tristement. Le vaisseau ne peut pas tenir. Il va — »
Ce qu’il fit.
La fusée explosa.
Mme Bellowes se sentit soulevée et ballottée de façon vertigineuse, comme une poupée. Elle entendit les grands hurlements et eut la vision fugitive des corps qui dérivaient autour d’elle dans des débris de métal et de lumière poudreuse.
« Au secours, au secours ! » criait M. Thirkell, au loin, sur une onde radio distante.
Le vaisseau se désintégra en un million de fragments, et les vieilles dames, toute la centaine, furent précipitées en avant à la même vitesse que le vaisseau.
En ce qui concerne M. Thirkell, pour une quelconque raison de trajectoire, peut-être, il avait été soufflé de l’autre côté du vaisseau. Mme Bellowes le vit dégringoler à l’écart, de plus en plus loin d’elles, et il hurlait, hurlait.
Ainsi s’en va M. Thirkell, pensa Mme Bellowes.
Et elle savait où il allait. Il allait être brûlé et rôti et grillé pour de bon, oh oui, bien cuit.
M. Thirkell tombait en direction du Soleil.
Et nous voici, pensa Mme Bellowes. Nous voici, filantes, filantes, filantes.
C’est à peine s’il y avait une sensation de déplacement, mais elle savait qu’elle voyageait à cinquante mille miles à l’heure et qu’elle continuerait de voyager à cette vitesse pour une éternité, jusqu’à ce que…
Elle vit les autres femmes qui se balançaient tout autour d’elle selon leurs propres trajectoires, avec encore quelques minutes d’oxygène dans leurs casques, et chacune levait la tête pour voir où elles allaient.
Bien sûr, pensa Mme Bellowes. Dans les profondeurs de l’espace. De plus en plus loin, et les ténèbres telles une immense église, les étoiles telles des bougies, et en dépit de tout, de M. Thirkell, de la fusée, de la malhonnêteté, nous nous dirigeons vers le Seigneur.
Et là, oui, , alors qu’elle chutait encore et encore, venant à sa rencontre, à présent elle distinguait presque la silhouette, venant à sa rencontre c’était Sa puissante main dorée, qui se tendait pour la saisir et la réconforter comme un passereau effrayé…
« Je suis Mme Amelia Bellowes, dit-elle doucement, de sa voix la plus hospitalière. Je viens de la planète Terre. »

illustration pour Un petit périple
Main à la poursuite d’un oiseau, peinture de Joan Miró, 1926
Notes de traduction et remarques
 
La nouvelle peut paraître typique de la science-fiction de Bradbury et dans une certaine mesure des attentes de la revue Galaxy Science Fiction à l’époque, c’est-à-dire que les éléments de SF servent essentiellement de prétexte à un commentaire social 
En guise d’introduction, commençons par un point sur les noms. « Bellowes » est un nom courant aux États-Unis, variante de bellows dont l’étymologie renvoie au belly, au ventre. bellows désigne aussi un soufflet, mais aussi les poumons (Mme Bellowes ne… manque pas d’air, et crie souvent) ; c’est également une façon de désigner un conteneur, auquel le personnage est comparé explicitement. Le prénom Amelia, variante d’Amalia, est d’origine germanique, amal signifiant « travail », avec une connotation de fertilité. Amelia Bellowes n’est-elle pas celle qui travaille sur elle-même pour atteindre Dieu ?
Thirkell dériverait du vieux norrois : il s’agit du chaudron (sacrificiel) de Thor. Le nom, associé à un personnage au regard « égyptien », montre l’approche syncrétique de Bradbury, et bien sûr le pauvre (?) Thirkell est sacrifié dans le feu, à cause de sa fusée-marmitte, le soleil pouvant être interprété ici comme une image de l’enfer ou un feu de cuisson.
Petite remarque de détail : j’ai conservé « cinquante mille miles à l’heure », qui représente plus de quatre-vingt mille kilomètres heures.

Bradbury et la religion

Le récit de Bradbury se construit autour d’une évocation de la religion, ce qui implique certaines particularités stylistiques dont certaines se résolvent assez facilement par le recours au texte biblique. On évoquera par exemple « the land of milk and honey », qui se trouve dans l’Exode 33 « Monte vers ce pays où coulent le lait et le miel. » (traduction de Louis Segond version 1910), ou encore les traductions « Me voici » (et sa variante « nous voici ») pour « Here I am », dont les mentions sont innombrables dans la Bible. D’où aussi dans le texte anglais les répétitions systématiques des verbes de parole (« said », très fréquent dans le texte biblique), que j’ai toutefois eu tendance à varier, pour alléger la lecture.
Il n’est pas anodin de ce point de vue que Thirkell ait un regard égyptien, puisque le livre de l’Exode raconte comment les Hébreux quittent l’Égypte pour la Terre promise.
 
extract from galaxy science fiction
Un extrait de la nouvelle telle que publiée à l’époque.

On pourra aussi relever, parmi les autres allusions religieuses (les sept journées, le nom de la fusée, l’église et les bougies…) l’image finale du passereau : « sparrow » peut en fait en fait correspondre à divers oiseaux, l’oiseau étant en particulier cité dans l’Évangile selon Matthieu. Parmi les possibilités on peut s’appuyer sur Segond, encore : « Ne vend-on pas deux passereaux pour un sou ? » (Matthieu 10:29-30). Pour revenir aux répétitions, Bradbury multiplie les « everybody » et autres termes exprimant l’intégralité, le groupe, que j’ai rendu par différents synonymes : on notera sur ce sujet comment l’auteur fait de la recherche spirituelle individuelle une aventure féminine collective, quelque part entre la National American Woman Suffrage Association (NAWSA) des années 1890 et l’essor de la ménagère des années 1950. Les petites dames forment à leur manière une église (ekklêsia en grec, l’assemblée), et l’on ne s’étonnera pas du nom pseudo-latin du Restorium, évidemment un faux temple dont Mme Bellowes n’est pas dupe. On peut ainsi facilement supposer que, malgré l’univers de conquête spatial construit dans la nouvelle, Bradbury projette dans ses « old ladies » des modèles de petites vieilles de son époque… en gardant en tête que, s’il n’était pas rarissime de voir des femmes aussi vieilles en 1950, le fait qu’il paraisse aussi banal dans le texte de voir des quasi centenaires devait déjà paraître un élément de science-fiction !

instrument de musique
Un calliope à vapeur en action
Mais Mme Bellowes est peut-être tout simplement une caricature des vieilles dames riches des états du Nord, obsédées par les bonnes manières et un comportement bourgeois, vaguement aristocratique, qui leur valait d’être désignées par le terme lady (qu’on songe aux riches new yorkaises de Gastby le magnifique, publié en 1925). Est-elle vraiment du nord ? New York est nommé, mais aussi la Californie : Mme Bellowes voyage… Riche, elle l’est certainement : propriétaire, capable de se payer une fusée et un hôtel de luxe… elle mentionne notamment un coût de mille dollars, quelque chose comme douze mille dollars d’aujourd’hui !
Il est d’ailleurs amusant de constater que les références de Mme Bellowes sont bien celles du XIXème siècle. 
Ainsi, le calliope à vapeur est instrument de musique inventé dans le Massachusetts (état du sud) entre 1830 et 1855, utilisé en particulier dans les cirques. Bradbury ne se prive pas de développer tout un champ lexical du spectacle (« Comedy Mask », « carnival mirror-maze », ou « minstrel », voir plus bas pour ce dernier) sans oublier le fatras des « Hindu mystics » et de leur « crystal balls »…
Autres références au XIXème siècle : madame Lafarge (1916-1852) est une Française soupçonnée d’avoir empoisonné son époux malveillant, ce qui lui vaut une série de procès, et qui a vécu dans les ruines d’un monastère ; madame Blavatsky (1831-1891) est quant à elle une figure de l’ésotérisme et de la théosophie, connue pour sa Doctrine secrète qui prétend plus ou moins synthétiser bouddhisme et hindouisme, mais en y superposant aussi des idées racialistes.
 
légende tonneau
La légende du tonneau d’eau de pluie qui se remplissait tout seul.

On peut considérer que Bradbury oppose la foi inébranlable de Mme Bellowes aux ostentations trompeuses de la religion organisée, avec ses rites aisés à reproduire et à dissimuler sous un langage hermétique, dans une approche satirique qui correspondait au ton recherché alors par la revue Galaxy Science Fiction. Bradbury lui-même s’est décrit comme un homme de foi, allant jusqu’à préciser : « Je suis un bouddhiste zen, s’il fallait me définir. Je ne pense pas à ce que je fais. Je le fais. C’est du bouddhisme. Je saute de la falaise et je fabrique mes ailes pendant la chute. » Pour revenir à la nouvelle, ajoutons que Bradbury, allant sur ses quatre-vingt dix ans, établissait toujours un lien entre exploration spatiale et foi en Dieu : « Nous nous rapprochons de Dieu. Nous allons vers davantage de preuves de sa création, dans d’autres mondes qu’il a créé, dans d’autres parties de l’univers. Le voyage spatial augmentera notre foi en Dieu. […] Nous devons devenir des astronautes, aller explorer l’univers et découvrir le Dieu en nous. » (d’après un entretien de 2010)

En somme, Bradbury à l’âge de Mme Bellowes reformulait ce qu’il racontait déjà, entre autres, dans A little journey.

a little journey illustration
Un piège à opossum, mentionné dans la nouvelle.

Bradbury contre la ségrégation

Que représente Thirkell ? Outre l’insistance sur le regard égyptien de M. Thirkell, Mme Bellowes l’associe aux minstrel shows, spectacles américains qui mettaient en scène des acteurs blancs grimés en noir (blackface), puis des Noirs censés jouer des stéréotypes racistes (certaines troupes au contraire les subvertissaient), dont le personnage-type est le tristement célèbre Jim Crow, qui donne son nom aux lois de ségrégation des états du Sud des États-Unis.
Ce type de spectacles connaît son apogée au XIXème siècle et se poursuivit jusque dans les années 1960… Bradbury, qui avait passé son adolescence dans les états du sud, était particulièrement sensible au sujet : il est l’un des rares auteurs de science-fiction de l’époque à évoquer explicitement la ségrégation dans ses textes, ce qu’il développe en particulier dans les recueils L’Homme illustré et Chroniques martiennes (en particulier les  nouvelles The Other Foot et Way in the Middle of the Air).
Si le sujet de A little journey n’est pas le racisme et qu’il n’y a pas de personnages de Noirs, on peut pourtant avancer que l’escroc Thirkell s’arroge par ruse et artifices des caractéristiques de prophète, en particulier l’apparence. Mais, ironiquement, son regard travaillé annonce plutôt un « nuage de moustiques », soit l’une des dix plaies d’Égypte décrite dans l’Exode, mais une plaie ramenée à l’image « des tonneaux remplis d’eau de pluie » des états du Sud. En un sens, Mme Bellowes offre le point de vue du Nord sur le Sud, avec une sensibilité amère face aux éléments qui rappellent la ségrégation.

regard égyptien a little journey
Le regard égyptien d’Elizabeth Taylor dans le film Cléopâtre en 1963.

Le texte en anglais (États-Unis) 

A Little Journey
She’d paid good money to see the inevitable… and then had to work to make it happen!
 
There were two important things—one, that she was very old; two, that Mr. Thirkell was taking her to God. For hadn’t he patted her hand and said: « Mrs. Bellowes, we’ll take off into space in my rocket, and go to find Him together. »
And that was how it was going to be. Oh, this wasn’t like any other group Mrs. Bellowes had ever joined. In her fervor to light a path for her delicate, tottering feet, she had struck matches down dark alleys, and found her way to Hindu mystics who floated their flickering, starry eyelashes over crystal balls. She had walked on the meadow paths with ascetic Indian philosophers imported by daughters-in-spirit of Madame Blavatsky. She had made pilgrimages to California’s stucco jungles to hunt the astrological seer in his natural habitat. She had even consented to signing away the rights to one of her homes in order to be taken into the shouting order of a temple of amazing evangelists who had promised her golden smoke, crystal fire, and the great soft hand of God coming to bear her home.
None of these people had ever shaken Mrs. Bellowes’ faith, even when she saw them sirened away in a black wagon in the night, or discovered their pictures, bleak and unromantic, in the morning tabloids. The world had roughed them up and locked them away because they knew too much, that was all.
And then, two weeks ago, she had seen Mr. Thirkell’s advertisement in New York City:

COME TO MARS!
Stay at the Thirkell Restorium for one week. And then, on into space on the greatest adventure life can offer!
Send for Free Pamphlet: « Nearer My God To Thee. »
Excursion rates. Round trip slightly lower.
 
« Round trip, » Mrs. Bellowes had thought. « But who would come back after seeing Him? »
And so she had bought a ticket and flown off to Mars and spent seven mild days at Mr. Thirkell’s Restorium, the building with the sign on it which flashed: THIRKELL’S ROCKET TO HEAVEN! She had spent the week bathing in limpid waters and erasing the care from her tiny bones, and now she was fidgeting, ready to be loaded into Mr. Thirkell’s own special private rocket, like a bullet, to be fired on out into space beyond Jupiter and Saturn and Pluto. And thus—who could deny it?—you would be getting nearer and nearer to the Lord. How wonderful! Couldn’t you just feel Him drawing near? Couldn’t you just sense His breath, His scrutiny, His Presence?
« Here I am, » said Mrs. Bellowes, « an ancient rickety elevator, ready to go up the shaft. God need only press the button. »
Now, on the seventh day, as she minced up the steps of the Restorium, a number of small doubts assailed her.
« For one thing, » she said aloud to no one, « it isn’t quite the land of milk and honey here on Mars that they said it would be. My room is like a cell, the swimming pool is really quite inadequate, and, besides, how many widows who look like mushrooms or skeletons want to swim? And, finally, the whole Restorium smells of boiled cabbage and tennis shoes! »
She opened the front door and let it slam, somewhat irritably.
She was amazed at the other women in the auditorium. It was like wandering in a carnival mirror-maze, coming again and again upon yourself—the same floury face, the same chicken hands, and jingling bracelets. One after another of the images of herself floated before her. She put out her hand, but it wasn’t a mirror; it was another lady shaking her fingers and saying:
« We’re waiting for Mr. Thirkell. Sh! »
« Ah, » whispered everyone.
The velvet curtains parted.
Mr. Thirkell appeared, fantastically serene, his Egyptian eyes upon everyone. But there was something, nevertheless, in his appearance which made one expect him to call « Hi! » while fuzzy dogs jumped over his legs, through his hooped arms, and over his back. Then, dogs and all, he should dance with a dazzling piano-keyboard smile off into the wings.
Mrs. Bellowes, with a secret part of her mind which she constantly had to grip tightly, expected to hear a cheap Chinese gong sound when Mr. Thirkell entered. His large liquid dark eyes were so improbable that one of the old ladies had facetiously claimed she saw a mosquito cloud hovering over them as they did around summer rain-barrels. And Mrs. Bellowes sometimes caught the scent of the theatrical mothball and the smell of calliope steam on his sharply pressed suit.
But with the same savage rationalization that had greeted all other disappointments in her rickety life, she bit at the suspicion and whispered, « This time it’s real. This time it’ll work. Haven’t we got a rocket? »
Mr. Thirkell bowed. He smiled a sudden Comedy Mask smile. The old ladies looked in at his epiglottis and sensed chaos there.
Before he even began to speak, Mrs. Bellowes saw him picking up each of his words, oiling it, making sure it ran smooth on its rails. Her heart squeezed in like a tiny fist, and she gritted her porcelain teeth.
« Friends, » said Mr. Thirkell, and you could hear the frost snap in the hearts of the entire assemblage.
« No! » said Mrs. Bellowes ahead of time. She could hear the bad news rushing at her, and herself tied to the track while the immense black wheels threatened and the whistle screamed, helpless.
« There will be a slight delay, » said Mr. Thirkell.
In the next instant, Mr. Thirkell might have cried, or been tempted to cry, « Ladies, be seated! » in minstrel-fashion, for the ladies had come up at him from their chairs, protesting and trembling.
« Not a very long delay. » Mr. Thirkell put up his hands to pat the air.
« How long? »
« Only a week. »
« A week! »
« Yes. You can stay here at the Restorium for seven more days, can’t you? A little delay won’t matter, will it, in the end? You’ve waited a lifetime. Only a few more days. »
At twenty dollars a day, thought Mrs. Bellowes, coldly.
« What’s the trouble? » a woman cried.
« A legal difficulty, » said Mr. Thirkell.
« We’ve a rocket, haven’t we? »
« Well, ye-ess. »
« But I’ve been here a whole month, waiting, » said one old lady. « Delays, delays! »
« That’s right, » said everyone.
« Ladies, ladies, » murmured Mr. Thirkell, smiling serenely.
« We want to see the rocket! » It was Mrs. Bellowes forging ahead, alone, brandishing her fist like a toy hammer.
Mr. Thirkell looked into the old ladies’ eyes, a missionary among albino cannibals.
« Well, now, » he said.
« Yes, now! » cried Mrs. Bellowes.
« I’m afraid— » he began.
« So am I! » she said. « That’s why we want to see the ship! »
« No, no, now, Mrs.— » He snapped his fingers for her name.
« Bellowes! » she cried. She was a small container, but now all the seething pressures that had been built up over long years came steaming through the delicate vents of her body. Her cheeks became incandescent. With a wail that was like a melancholy factory whistle, Mrs. Bellowes ran forward and hung to him, almost by her teeth, like a summer-maddened Spitz. She would not and never could let go, until he died, and the other women followed, jumping and yapping like a pound let loose on its trainer, the same one who had petted them and to whom they had squirmed and whined joyfully an hour before, now milling about him, creasing his sleeves and frightening the Egyptian serenity from his gaze.
« This way! » cried Mrs. Bellowes, feeling like Madame Lafarge. « Through the back! We’ve waited long enough to see the ship. Every day he’s put us off, every day we’ve waited, now let’s see. »
« No, no, ladies! » cried Mr. Thirkell, leaping about.
They burst through the back of the stage and out a door, like a flood, bearing the poor man with them into a shed, and then out, quite suddenly, into an abandoned gymnasium.
« There it is! » said someone. « The rocket. »
And then a silence fell that was terrible to entertain.
There was the rocket.
Mrs. Bellowes looked at it and her hands sagged away from Mr. Thirkell’s collar.
The rocket was something like a battered copper pot. There were a thousand bulges and rents and rusty pipes and dirty vents on and in it. The ports were clouded over with dust, resembling the eyes of a blind hog.
Everyone wailed a little sighing wail.
« Is that the rocket ship Glory Be to the Highest? » cried Mrs. Bellowes, appalled.
Mr. Thirkell nodded and looked at his feet.
« For which we paid out our one thousand dollars apiece and came all the way to Mars to get on board with you and go off to find Him? » asked Mrs. Bellowes.
« Why, that isn’t worth a sack of dried peas, » said Mrs. Bellowes.
« It’s nothing but junk! »
Junk, whispered everyone, getting hysterical.
« Don’t let him get away! »
Mr. Thirkell tried to break and run, but a thousand possum traps closed on him from every side. He withered.
Everybody walked around in circles like blind mice. There was a confusion and a weeping that lasted for five minutes as they went over and touched the Rocket, the Dented Kettle, the Rusty Container for God’s Children.
« Well, » said Mrs. Bellowes. She stepped up into the askew doorway of the rocket and faced everyone. « It looks as if a terrible thing has been done to us, » she said. « I haven’t any money to go back home to Earth and I’ve too much pride to go to the Government and tell them a common man like this has fooled us out of our life’s savings. I don’t know how you feel about it, all of you, but the reason all of us came is because I’m eighty-five, and you’re eighty-nine, and you’re seventy-eight, and all of us are nudging on toward a hundred, and there’s nothing on Earth for us, and it doesn’t appear there’s anything on Mars either. We all expected not to breathe much more air or crochet many more doilies or we’d never have come here. So what I have to propose is a simple thing—to take a chance. »
She reached out and touched the rusted hulk of the rocket.
« This is our rocket. We paid for our trip. And we’re going to take our trip! »
Everyone rustled and stood on tiptoes and opened an astonished mouth.
Mr. Thirkell began to cry. He did it quite easily and very effectively.
« We’re going to get in this ship, » said Mrs. Bellowes, ignoring him. « And we’re going to take off to where we were going. »
Mr. Thirkell stopped crying long enough to say, « But it was all a fake. I don’t know anything about space. He’s not out there, anyway. I lied. I don’t know where He is, and I couldn’t find Him if I wanted to. And you were fools to ever take my word on it. »
« Yes, » said Mrs. Bellowes, « we were fools. I’ll go along on that. But you can’t blame us, for we’re old, and it was a lovely, good and fine idea, one of the loveliest ideas in the world. Oh, we didn’t really fool ourselves that we could get nearer to Him physically. It was the gentle, mad dream of old people, the kind of thing you hold onto for a few minutes a day, even though you know it’s not true. So, all of you who want to go, you follow me in the ship. »
« But you can’t go! » said Mr. Thirkell. « You haven’t got a navigator. And that ship’s a ruin! »
« You, » said Mrs. Bellowes, « will be the navigator. »
She stepped into the ship, and after a moment, the other old ladies pressed forward. Mr. Thirkell, windmilling his arms frantically, was nevertheless pressed through the port, and in a minute the door slammed shut. Mr. Thirkell was strapped into the navigator’s seat, with everyone talking at once and holding him down. The special helmets were issued to be fitted over every gray or white head to supply extra oxygen in case of a leakage in the ship’s hull, and at long last the hour had come and Mrs. Bellowes stood behind Mr. Thirkell and said, « We’re ready, sir. »
He said nothing. He pleaded with them silently, using his great, dark, wet eyes, but Mrs. Bellowes shook her head and pointed to the control.
« Takeoff, » agreed Mr. Thirkell morosely, and pulled a switch.
Everybody fell. The rocket went up from the planet Mars in a great fiery glide, with the noise of an entire kitchen thrown down an elevator shaft, with a sound of pots and pans and kettles and fires boiling and stews bubbling, with a smell of burned incense and rubber and sulphur, with a color of yellow fire, and a ribbon of red stretching below them, and all the old women singing and holding to each other, and Mrs. Bellowes crawling upright in the sighing, straining, trembling ship.
« Head for space, Mr. Thirkell. »
« It can’t last, » said Mr. Thirkell, sadly. « This ship can’t last. It will— »
It did.
The rocket exploded.
Mrs. Bellowes felt herself lifted and thrown about dizzily, like a doll. She heard the great screamings and saw the flashes of bodies sailing by her in fragments of metal and powdery light.
« Help, help! » cried Mr. Thirkell, far away, on a small radio beam.
The ship disintegrated into a million parts, and the old ladies, all one hundred of them, were flung straight on ahead with the same velocity as the ship.
As for Mr. Thirkell, for some reason of trajectory, perhaps, he had been blown out the other side of the ship. Mrs. Bellowes saw him falling separate and away from them, screaming, screaming.
There goes Mr. Thirkell, thought Mrs. Bellowes.
And she knew where he was going. He was going to be burned and roasted and broiled good, but very good.
Mr. Thirkell was falling down into the Sun.
And here we are, thought Mrs. Bellowes. Here we are, going on out, and out, and out.
There was hardly a sense of motion at all, but she knew that she was traveling at fifty thousand miles an hour and would continue to travel at that speed for an eternity, until….
She saw the other women swinging all about her in their own trajectories, a few minutes of oxygen left to each of them in their helmets, and each was looking up to where they were going.
Of course, thought Mrs. Bellowes. Out into space. Out and out, and the darkness like a great church, and the stars like candles, and in spite of everything, Mr. Thirkell, the rocket, and the dishonesty, we are going toward the Lord.
And there, yes, there, as she fell on and on, coming toward her, she could almost discern the outline now, coming toward her was His mighty golden hand, reaching down to hold her and comfort her like a frightened sparrow….
« I’m Mrs. Amelia Bellowes, » she said quietly, in her best company voice. « I’m from the planet Earth. »
 
couverture a little journey