Surprise sanglante Mickey Spillane

On trouve de tout dans les boîtes à livres. Des vieilleries surtout qui ne demandent qu’à reposer en paix. Mais parfois, aussi, des pépites. Cette rubrique vous propose de jeter un coup d’œil sur ces bouquins abandonnés et glanés au hasard de déambulations livresques.

Par Yves-Daniel Crouzet (retrouvez-le sur Facebook !)

Sang surprise ?

[Boîte à livres de Fay-sur-Lignon (43)]

Petit préambule sans importance :
Pour l’anecdote ce roman, trouvé dans une boîte à livres de Haute-Loire, devait appartenir à une bibliothèque publique comme en témoignent les références figurant sur le dos. L’image de couverture, montrant une jeune femme dénudée portant un pistolet, avait été recouverte d’une large bande de ruban adhésif pour ne pas heurter les âmes sensibles et bien pensantes. Je me suis empressé de l’enlever pour que vous ne perdiez rien de l’adorable pin-up qui se trouvait derrière. Ce voile pudique jeté sur la couverture d’un roman de gare est amusant et révélateur d’une autre époque, tout comme les traces de brûlures de cigarettes qui ont laissé leur marque indélébile sur une douzaine de pages à l’intérieur. En lisant le roman, je ne pouvais m’empêcher d’essayer d’imaginer ce lointain compagnon lecteur. Qui était-il ? Que faisait-il dans la vie ? Outre sa cigarette, avait-il aussi un verre de whisky ou de gnole à portée de main ? Ou bien était-ce un jeune gars qui découvrait, rêveur et émerveillé, les États-Unis grâce à la lecture gentiment sulfureuse de cet ouvrage ? Je me le demande. Si les vieux livres pouvaient parler, sûr que ce qu’ils nous raconteraient de leurs lecteurs serait aussi fascinant, si ce n’est plus, que leur contenu !

Surprise sanglante en bibliothèque : version censurée !

Mickey Spillane est surtout connu pour son personnage du détective privé Mike Hammer que beaucoup ont découvert dans la série TV éponyme des années 80 avec Stacy Keach dans le rôle-titre. Il a également fait l’objet de plusieurs interprétations cinématographiques dont la meilleure semble être celle de Ralph Meeker dans En quatrième vitesse, un film de Robert Aldrich datant de 1955 (tiré du roman Kiss me deadly).
Spillane, auteur oublié aujourd’hui, était pourtant dans les années 50 et 60 un écrivain très prolifique et un gros vendeur. À tel point qu’on l’avait surnommé « The King of pulp fiction ». Voilà qui situe son œuvre. Dans ses romans le héros est un dur à cuire (« hard boiled ») sévèrement burné comme on n’en fait plus (et c’est tant mieux !) qui n’hésite pas une seconde à enfreindre les lois et à tuer pour atteindre son but et faire triompher une cause qu’il estime juste. Les femmes y sont des « pépés » qui se caractérisent essentiellement par leur glamour et par leur dangerosité. Si on ajoute suspense et action à ces ingrédients de base, on tient le cocktail parfait du récit pulp.

Surprise sanglante roman extrait
Surprise sanglante, extrait de la page 179.

Dans Surprise sanglante (traduction stupide de Bloody sunrise qui trouve son explication dans les toutes dernières lignes du bouquin) le héros n’est pas un détective, mais une sorte d’agent secret, un ancien de l’OSS (Office of Strategic Service créé pendant la Seconde Guerre Mondiale) travaillant pour une organisation privée chargée de protéger les États-Unis d’Amérique des menaces qui pèsent sur eux et de l’incapacité des agences gouvernementales. Une organisation clandestine à côté de laquelle la CIA fait figure de camp de boy-scouts. Grâce à son mystérieux créateur, Martin Grady, elle dispose de moyens financiers presque illimités et, bien sûr, d’agents et d’entrées dans toutes les sphères. Tiger Mann, puisque c’est son nom on ne peut plus évocateur, est le héros de quatre romans dont l’écriture a probablement été suscitée par le succès du James Bond de Ian Fleming. On y retrouve l’univers trouble de l’espionnage, la menace Rouge, des gadgets qui permettent de renverser la situation au bon moment, de jolies filles faciles et plus de sexe (suggéré !) que dans les romans de Fleming. Car Tiger Mann n’est pas seulement un vrai dur, c’est aussi, (selon ses propres dires, puisque le roman est écrit à la première personne du singulier) une phénoménale bête de sexe. James n’a qu’à aller se rhabiller !

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Surprise sanglante, extrait de la page 90.

Dans cette aventure, la deuxième de la série et, a priori, la seule à avoir été rééditée à la fin des années 90 (i.e. la meilleure ?), Tiger Mann a pour mission de faire parler un transfuge russe dont les secrets donneront un avantage décisif aux USA. Mais pour arriver à ses fins, il doit non seulement affronter les Soviets qui veulent à tout prix empêcher le traître de se mettre à table, mais aussi les services de renseignements américains, sans parler de la police new-yorkaise lancée à ses trousses. Le style est direct et efficace. Les rebondissements abondent. L’intrigue, comme il se doit pour un roman d’espionnage, devient de plus en plus nébuleuse au fur et à mesure qu’on avance dans la lecture. Les femmes qu’on y croise sont sexy et succombent toutes au charme viril et irrésistible de Tiger. Le lecteur est plongé dans un décor de série noire américaine archétypal avec New York, ses ruelles et ses immeubles aux portes dérobées, sa pluie, ses femmes fatales. C’est agréable à lire pour quelqu’un qui comme moi adore les vieux films noirs américains.

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Surprise sanglante, extrait de la page 107.

Alors bien sûr la philosophie de l’ensemble est loin d’être irréprochable : l’Amérique seule garante de la liberté, les cocos infâmes, les femmes-objets, le super macho de service, la fin qui justifie les moyens. Ouais, tout ça ne sent pas très bon, j’en conviens. Ça appartient à une autre époque (et là encore, tant mieux !) et ça explique aussi pourquoi Mickey Spillane a disparu des librairies et qu’on ne le trouve plus que chez les bouquinistes ou dans les boîtes à livres. Pourtant… pourtant les aventures de Tiger Mann m’en ont rappelé d’autres beaucoup plus récentes. Celles d’un certain Jack Reacher, dont j’ai lu il n’y a pas très longtemps le tome 25 La sentinelle. Un gros dur qu’on a pu voir, comme Tiger Mann et Mike Hammer, au cinéma et à la télévision. Même individu implacable et quasiment invincible, évoluant en marge d’un gouvernement fédéral impuissant à faire régner l’ordre et la sécurité. Et si le Jack Reacher de Lee Child n’était en fait qu’une copie édulcorée de Tiger Mann et de Mike Hammer ? Une simple mise à jour du personnage pour cadrer avec le contexte de l’époque ? Ouais, les temps changent, les gros durs s’adaptent, mais leur nature profonde, elle, ne change guère !

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Surprise sanglante, roman de Mickey Spillane (1965), éditions Presses de la Cité (1966).

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