Vénus poème Amy Lowell

« Venus Transiens » (du latin, qu’on pourrait traduire par « Vénus de passage ») est un poème d’Amy Lowell publié en 1915 dans la revue Poetry. Il est publié par la suite dans son recueil Pictures of the Floating World, publié en 1919 aux éditions Macmillan. En particulier, « Venus Transiens » fait partie de la section « Two speak together » de la deuxième partie du recueil, intitulée « Planes of personality ». Cette partie est consacrée au lyrisme, notamment le lyrisme amoureux, et toute la section « Two speak together » est une adresse de Lowell à sa compagne et muse Ada Dwyer Russell, comme la poétesse l’a confié à l’universitaire John Livingston Lowes (source).
« Venus Transiens » est ainsi un poème de l’amour lesbien. Dans un contexte de secret et d’interdits, Lowell utilise le motif de La Naissance de Vénus de Botticelli pour évoquer, sous prétexte d’un sujet artistique traditionnel, le sentiment d’émerveillement que lui inspire sa bien-aimée.
Le poème a été repris depuis dans ses œuvres poétiques complètes, The Complete Poetical Works of Amy Lowell,(1955) par les éditions Houghton Mifflin Company.

Je propose ci-dessous une traduction personnelle du poème, suivie de quelques remarques et du texte en langue anglaise (États-Unis).

Venus Transiens

Dis-moi,
Vénus était-elle plus belle
Que tu ne l’es,
Lorsqu’elle surmontait
Les vagues ondoyantes,
Voguant vers la rive
Sur sa conque torsadée ?
La vision de Botticelli était-elle
Plus gracieuse que la mienne ;
Et les boutons de rose peints
Qu’il lança sur sa dame,
Valaient-ils mieux
Que les mots que j’exhale à ton entour
Pour recouvrir tes charmes si grands
Comme d’une gaze
D’argent embrumé ?

Pour moi,
Tu te tiens en équilibre
Dans l’air bleu et allègre,
Ceinte de vents brillants,
À parcourir la lumière du soleil.
Et les vagues qui te précèdent
Ondulent et agitent
La grève à mes pieds.

Ada Dwyer Russell
Ada Dwyer Russell dans les années 1890.

Ada Dwyer Russell

L’actrice Ada Dwyer Russell, en tournée à Boston, y devient la compagne d’Amy Lowell à partir de 1912. C’est un « Boston marriage », selon l’expression du XIXème siècle, soit la cohabitation de deux femmes qui ne dépendent pas financièrement d’un homme. Russell devient pour Lowell « the lady of the moon » (« la dame de la lune ») et leur relation dure jusqu’à la mort de Lowell en 1925, Russell étant son exécutrice testamentaire. Leur vie de famille est cependant mal connue, et la poésie de Lowell reste ainsi l’expression la plus explicite de leur amour.

La revue Poetry

Poetry est une revue mensuelle fondée en 1912 par Harriet Monroe, elle-même poétesse et critique littéraire. Elle est devenue la plus importante revue américaine consacrée à la poésie et connaît toujours une diffusion importante. dès sa création, la revue se veut ouverte, sans discriminer en fonction des théories littéraires ou des courants. Elle devient vite un moyen de publication privilégié pour les poètes américains « modernistes » ou autres, comme T. S. Eliot, Ezra Pound, Hilda Doolittle, Marianne Moore, Robert Frost, E. E. Cummings… on y retrouve même Hemingway ou l’Irlandais William Butler Yeats !
Quand Amy Lowell y publie, la revue est encore jeune, mais la poétesse écrit depuis déjà 1902, et publie depuis 1910. Elle est une adepte du vers libre et une figure (plus ou moins controversée) du courant imagiste, qui prétend mettre en avant un langage imagé, précis, direct, pensé en opposition aux poètes victoriens et géorgiens, plus soucieux de tradition. Mais le courant n’est pas à proprement parler une école, et des auteurs comme Maxwell Bodenheim connaissent son influence sans s’en revendiquer.

Amy Lowell
Amy Lowell dans les années 1910 (?).

Vers libre ?

En outre, Lowell dans ces années-là se revendique de l’influence du Parnasse français, citant entre autres Leconte de Lisle, Henri de Régnier ou Paul Fort, notamment pour expliquer son utilisation du vers libre, désignation à laquelle elle ne semble pas totalement adhérer.
Elle décrit ainsi, dans la préface à son recueil Sword Blades and Poppy Seed (Macmillan, 1914), ses poèmes comme en « unrhymed cadence », soit littéralement : cadence sans rimes, qui s’appuieraient sur un « rythme organique », « le rythme de la voix avec les nécessités de la respiration ».

Éléments d’analyse

« Venus Transiens » est écrit en vers libres de longueur variables, répartis entre deux strophes : une de seize vers, l’autre de huit vers. Dans la mesure où le poème fait explicitement référence à La Naissance de Vénus de Botticelli, on peut imaginer que la forme original du poème cherche à restituer quelque chose de la silhouette de la « Vénus » de la locutrice. On peut toutefois relever en particulier la brièveté du premier vers de chaque strophe, qui évoque un dialogue : « Tell me (« Dis-moi »), « For me » (« Pour moi »), la première strophe étant constituée de questions adressées à l’aimée, auxquelles la seconde strophe apporte une réponse et le point de vue de l’amoureuse.
En ce qui concerne la structure, la première strophe présente des temps de pause qui valorisent les questions : une première question de « Tell me » à « plaited shell », une deuxième question sur deux vers « Was Botticelli’s vision / Fairer than mine; » avec la pause marquée par les deux points, puis la question finale qui poursuit la précédente, ce qui donne l’impression d’un découpage musical : sept vers, deux vers, sept vers. Comme le disait Lowell, sans rimes le rythme est valorisé différemment, ici entre variations et récurrence.
La deuxième strophe quant à elle est constituée de deux phrases, une première répartie sur cinq vers qui confirme la comparaison entre l’aimée et la Vénus de Botticelli, une deuxième sur trois vers qui ramène à la locutrice, comme si le regard ébloui par la vision de la beauté retombait sur le sable.
Le poème est ainsi à la fois une description de la femme aimée et divinisée, en accord avec la tradition du lyrisme amoureux, et une description de la Vénus de Botticelli, dans une logique de rivalité plaisante : les mots de la poétesse peuvent-ils être à la hauteur de la peinture ?
La derière strophe du poème relativisent cependant cette façon de rejouer la tension entre les arts (« Ut pictura poesis« , soit « comme la peinture, la poésie », selon la formule d’Horace), puisqu’ils mettent avant tout en avant la subjectivité (« For me »), surtout de l’effet produit, « Ripple and stir », celui donc d’un tremblement de la vision. L’amour poétique de Lowell ne rend pas aveugle : il fait voir autrement.

poème naissance de Vénus Amy Lowell
La Naissance de Vénus, 1482-1485, peinture de Botticelli, Offices de Florence.

Venus Transiens

Tell me,
Was Venus more beautiful
Than you are,
When she topped
The crinkled waves,
Drifting shoreward
On her plaited shell?
Was Botticelli’s vision
Fairer than mine;
And were the painted rosebuds
He tossed his lady,
Of better worth
Than the words I blow about you
To cover your too great loveliness
As with a gauze
Of misted silver?

For me,
You stand poised
In the blue and buoyant air,
Cinctured by bright winds,
Treading the sunlight.
And the waves which precede you
Ripple and stir
The sands at my feet.