
« Who Murdered Mr. Thomas ? » (« Qui a assassiné M. Thomas ? ») est une brève nouvelle d’Edgar Rice Burroughs, le créateur de Tarzan et du cycle de Mars, vraisemblablement écrite au début des années 1930. Elle a pour particularité d’être conçue comme une énigme policière que le lecteur doit résoudre d’après les indices glissés dans le texte. Burroughs en écrit plusieurs du même type entre 1932 et 1940, dont il publie certaines dans le magazine Script. Elles mettent en scène un personnage récurrent, l’inspecteur Muldoon, détective et mathématicien de génie, et sont supposées être racontées par un narrateur-personnage qui n’est autre que Burroughs lui-même ! Le jeu logique est ainsi doublée d’une petite mise en abîme, dont l’effet est avant tout comique (même Doyle s’amusait parfois avec Sherlock Holmes !).
Le principe est celui du « whodunit » : tous les suspects d’un meurtre sont rassemblés au même endroit, et le lecteur doit s’efforcer de découvrir le coupable. Mais c’est le jeu logique qui l’emporte, Burroughs ne développant ni la psychologie des personnages, ni leurs motivations, ni le suspense…
Je propose ci-dessous une traduction personnelle de la nouvelle, suivie de la solution, d’un bref commentaire et du texte anglais (États-Unis).
Qui a assassiné M. Thomas ?
Par ED BURROUGHS Puzzle-enquête de Tarzana
Cher Rob :
Tu as le droit de te vanter du haut degré d’intelligence de tes lecteurs.
Voyons voir jusqu’à quel degré au juste.
L’enquête policière en huis clos peut être résolue logiquement grâce aux indices fournis dans l’histoire.
Il n’y a aucun « piège ».
Demande à tes lecteurs de se chronométrer et de te dire ensuite combien de temps ça leur a pris pour trouver la réponse correcte, en faisant preuve de logique.
Demande-leur aussi de ne pas mentir.
L’inspecteur Muldoon et moi sommes de vieux camarades. J’étais assis dans son bureau quand arriva le rapport informant que M. Thomas avait été assassiné. C’était un citoyen éminent et riche.
« Je vais m’occuper de l’affaire en personne, déclara Muldoon. M. Thomas était un bon ami à moi. »
– Puis-je venir ? demandai-je.
– Bien sûr, » fit Muldoon.
Quand nous eûmes rejoint la demeure des Thomas, un des endroits en vue de la ville, Muldoon prit immédiatement les choses en mains, plaçant des hommes à toutes les entrées avec ordre ne laisser entrer ou sortir personne.
En entrant dans la bibliothèque, grande pièce aux magnifiques lambris de noyer, nous trouvâmes six personnes, agitées et bouleversées, qui nous attendaient. Le corps de M. Thomas gisait sur le sol devant la cheminée, là où il était tombé. Entre les deux yeux, il y avait le trou laissé par la balle.
La fille de la victime pleurait. Son fiancé, un hôte de la maison, s’efforçait de la réconforter. Je me souviens que, la première fois où je les vis, je fus frappé par la ressemblance remarquable de la couleur de leurs cheveux. Un homme nommé Perry se tenait debout à leur opposé, de l’autre côté de la pièce, et il observait Mlle Terry avec attention.
Les premières questions de Muldoon rendirent clair le fait qu’il n’y avait personne d’autre dans la maison et que personne d’autre n’était entré ni sorti depuis le meurtre. L’examen du cadavre ne fournit aucun indice quant à l’identité du meurtrier, hormis un cheveu sur la veste qui pouvait avoir son importance.
Du moins, il attira notre attention sur les chevelures des présents ; deux d’entre eux étaient blonds, deux étaient bruns, et deux roux.
Interrogé, le majordome indiqua que les deux autres hommes étaient des invités et que leurs noms étaient M. Wayne and M. Perry.
Muldoon me fit remarquer que le cheveu unique découvert sur la veste de M. Thomas était de la même couleur que ceux de l’un des hommes, aucun des deux n’ayant la même couleur de cheveux ; mais je lui rappelai qu’il était aussi exactement de la même couleur que ceux de l’une des femmes.
Quand Muldoon questionna Mlle Mills, elle répondit qu’elle et Mlle Terry étaient venues rendre visite à Mlle Thomas pour le week-end, et quand il l’exhorta à vider son sac et à lui avouer qui était le meurtrier, elle ne fit que secouer la masse de sa chevelure noire coupée court, et elle enfouit son visage dans ses mains, éclatant en sanglots.
Ce fut à peu près la même chose avec les autres ; personne ne se montrait disposé à donner le nom du meurtrier. L’une des filles dit à Muldoon qu’elle ignorait où Mlle Thomas se trouvait au moment où s’était fait entendre le tir qui avait tué M. Thomas.
Muldoon demanda à un des hommes, celui qui était blond, comment il expliquait le cheveu sur la veste de M. Thomas.
« Je crois que c’est sans rapport avec l’affaire, répliqua l’hôte. Ce n’est pas juste de présumer qu’il s’agit d’un cheveu du meurtrier. À vrai dire, le meurtrier a la même couleur de cheveux qu’un des invités qui était dans une autre partie de la maison, quand M. Thomas a été tué.
– Vous savez donc qui est le meurtrier ? » demanda Muldoon, mais l’homme se ferma comme une huître et ne voulut rien dire de plus.
Muldoon se tourna de nouveau vers Mlle Mills et fit brusquement :
« Où étiez-vous quand cet homme a été abattu ?
– J’étais avec Mlle Thomas. »
Le majordome se tenait derrière Mlle Mills ; le contraste entre les couleurs de leurs cheveux respectifs était frappante. Il remua nerveusement tandis que Muldoon l’interrogeait.
« Où se trouvait Mlle Terry au moment du meurtre ? fit l’inspecteur d’un ton cinglant.
– Elle… elle était ici… ici, dans cette pièce, avec M. Thomas, balbutia le majordome.
– Qui d’autre était dans la pièce à ce moment-là ?
– Il y avait deux autres personnes, outre M. Thomas et Mlle Terry.
– La couleur des cheveux de l’assassin était-elle la même que celle de l’un des deux autres qui étaient présents ?
– Non ; mais les deux autres avaient la même couleur de cheveux. »
Voici toutes les informations que nous pûmes obtenir, et pourtant Muldoon arrêta le meurtrier dans les dix minutes qui suivirent.
Qui Muldoon a-t-il donc arrêté ?
Solution de « Qui a assassiné M. Thomas ? »
Muldoon trouve six personnes dans la bibliothèque :
Mlle Thomas
Son fiancé (un invité)
Ces deux-là ont la même couleur de cheveux (Wayne)
M. Perry (un invité)
Le majordome
M. Wayne (un invité) (fiancé de Mlle Thomas)
Mlle Mills (cheveux bruns coupés court)
Mlle Terry (dans la pièce avec deux hommes quand Thomas a été assassiné)
Des six personnes, il a été indiqué que trois étaient des femmes et les trois autres des hommes ; les trois femmes ont été nommées et le majordome a déclaré que « les deux autres hommes » étaient des invités.
Comme Perry se tenait dans la pièce à l’opposé de Mlle Thomas et son fiancé, Wayne doit être l’autre invité et par conséquent le fiancé de Mlle Thomas.
Comme aucun des hommes n’avait la même couleur de cheveux, l’un devait être blond, l’un roux, et l’autre brun ; la même chose doit être vraie pour ce qui est des femmes, puisqu’il y avait deux personnes avec la même couleur de cheveux dans la pièce .
Mlle Terry était dans la pièce au moment du meurtre ; elle ignorait où Mlle Thomas se trouvait alors. Comme Mlle Mills était avec Mlle Thomas au moment du meurtre, aucune d’elle n’aurait pu être dans la bibliothèque ; aucune des deux n’aurait donc pu être la meurtrière. C’est pourquoi nous mettons une croix avant leurs noms.
Il y avait trois personnes dans la bibliothèque (outre Thomas) quand le meurtre a été commis ; deux avaient la même couleur de cheveux, il faut donc qu’ils aient été de sexes différents ; les cheveux de l’assassin étaient d’une couleur différente. Mlle Terry se trouvait là ; et comme les deux autres femmes n’étaient pas dans la pièce, Mlle Terry et deux hommes devaient être présents. Mlle Terry et l’un des hommes devaient avoir la même couleur de cheveux ; par conséquent la troisième personne devait être le meurtrier, et il s’agissait d’un homme.
Le tueur avait soit la même couleur de cheveux que Mlle Thomas, soit que celle de Mlle Mills.
Les cheveux du majordome étaient soit roux soit blonds, car ils contrastaient fortement avec la chevelure brune de Mlle Mills ; et il devait être un des deux hommes présents dans la pièce, pour pouvoir savoir de façon certaine qui était dans la bibliothèque au moment précis du meurtre.
Le tueur n’avait pas la même couleur de cheveux que l’un ou l’autre des deux autres hommes, et comme il avait la même couleur de cheveux que l’un des deux autres invités qui n’était pas dans la pièce, il faut qu’il ait eu la même couleur de cheveux que celle de Mlle Mills, qui était brune, puisqu’elle était la seule invitée qui n’était pas dans la bibliothèque ; par conséquent, le tueur était brun.
Le majordome n’aurait pas pu être le tueur parce que ses cheveux contrastaient fortement avec ceux de Mlle Mills, et donc mettons une croix devant son nom.
Il faut donc que le tueur ait été soit Perry, soit Wayne.
Comme Mlle Mills était la seule fille aux cheveux bruns, ceux de Wayne n’auraient pas pu être bruns, puisqu’ils étaient de la même couleur que ceux de Mlle Thomas, et donc Wayne a droit à une croix.
Par conséquent, Muldoon a arrêté Perry.

Contexte
Entre 1932 et 1940, Burroughs écrit toujours ses séries de romans à succès, qu’il s’agisse du Cycle de Mars ou de Tarzan (on pourra lire au sujet de celui-ci la chronique d’Yves-Daniel Crouzet !), mais il expérimente aussi. D’où ses brefs « murder mystery puzzles », inspirés bien sûr du roman policier, mais conçus comme des jeux de déduction pour le lecteur invité à trouver le coupable du crime.
Burroughs écrit ainsi neuf petits textes, dont quatre sont publiés dans le magazine Script de Beverly Hills, dont le rédacteur en chef et éditeur Rob Wagner est un ami de Burroughs. Script était un hebdomadaire consacré surtout au cinéma, avec un engagement nettement à gauche, Wagner étant socialiste et soutenant la politique de Franklin Roosevelt. Outre Burroughs, on retrouve au sommaire des noms illustres tels qu’Upton Sinclair, William Saroyan, Charlie Chaplin, ou encore Ray Bradbury, pour n’en citer que quelques-uns !
Le concept demeure limité : il s’agit bien de « puzzles », d’exercices de logique plutôt que d’histoires étoffées, et il semble qu’ils aient eu peu de succès (ce n’est pas tout à fait À couteaux tirés !).
Burroughs notamment échoue à faire publier l’ensemble des neuf textes sous la forme d’un recueil, pour lequel il a pourtant écrit une préface. Il faut attendre la publication posthume du recueil Forgotten Tales of Love and Murder, en 2001, par la maison d’édition Guidry & Adkins, en fait deux fans de l’œuvre de l’auteur, qui cherchent à publier les œuvres jusque-là inédites de Burroughs. Le recueil inclut également des illustrations de Danny Frolich.
En 2019, on peut également découvrir ces histoires sur le site consacré à l’œuvre de Burroughs, et la page : ERB, Inc. series of ERB Comics. Il s’agit cette fois de les transformer en petites bandes dessinées, sur le modèle des Sunday Comics (ou « planche dominicale »), ces adaptations étant signées de Charles Santino (scénario) et Karl Comendador (dessin).

Who Murdered Mr. Thomas ?
By ED BURROUGHS Mystery Puzzle from Tarzana
Dear Rob:
You have a right to boast of the high order of intelligence of your readers.
Let’s see how high it is.
The enclosed murder mystery may be solved logically from the clues given in the story.
There is no « catch » to it.
Ask your readers to time themselves and then tell you how long it took them to reach the correct solution logically.
Also ask them not to lie.
POLICE INSPECTOR MULDOON and I are old cronies. I was sitting in his office when the report came in that Mr. Thomas had been murdered. Mr. Thomas was a prominent and wealthy citizen.
« I’ll look into this thing myself, » said Muldoon; « Mr. Thomas was a good friend of mine. »
« May I come along? » I asked.
« Sure, » said Muldoon.
When we reached the Thomas home, one of the show-places of the city, Muldoon immediately took full charge, placing men at all entrances with orders to permit no one to enter or depart.
As we entered the library, a large room beautifully paneled in walnut, we found six nervous and distraught people awaiting us. Mr. Thomas’ body lay on the floor in front of the fireplace, where it had fallen. There was a bullet hole between the eyes.
The daughter of the murdered man was weeping. Her fiance, a guest in the house, was trying to comfort her. I recall that as I first looked at them I was struck by the remarkable similarity of the color of their hair. A man named Perry stood across the room from them watching Miss Terry closely.
MULDOON’S FIRST QUESTIONS elicited the fact that there were no other people in the house and that no one had entered or left it since the murder. An examination of the corpse revealed no clue to the identity of the murderer, unless a strand of hair on the coat might have significance.
At least, it called our attention to the hair of those present; there were two with blond hair, two with black, and two red-heads.
When the butler was questioned, he said that the other two men were guests and that their names were Mr. Wayne and Mr. Perry.
Muldoon called my attention to the fact that the strand of hair found on Mr. Thomas’ coat was the same color as the hair of one of the men, no two of whom had the same color hair; but I reminded him that it was also exactly the same color as that of one of the women.
When Muldoon questioned Miss Mills, she said that she and Miss Terry were visiting Miss Thomas over the week-end, and when he urged her to make a clean breast of it and tell him who the murderer was she just shook her mass of bobbed black hair, and burying her face in her hands, burst into tears.
IT WAS ABOUT THE SAME with the others; no one would name the murderer. One of the girls told Muldoon that she did not know where Miss Thomas was at the time the shot was fired that killed Mr. Thomas.
Muldoon asked one of the male guests, the one with blond hair, how he accounted for the strand of hair on Mr. Thomas’ coat.
« I think it has no bearing on the case, » the guest replied. « It is not fair to assume that it was a strand of the murderer’s hair. As a matter of fact, the murderer has the same color hair as one of the guests who was in another part of the house when Mr. Thomas was shot. »
« So you know who the murderer is? » demanded Muldoon, but the man closed up like a clam and would say no more.
Muldoon turned again to Miss Mills and snapped, « Where were you when this man was shot? »
« I was with Miss Thomas. »
THE BUTLER WAS STANDING beside Miss Mills; the contrast between the colors of their hair was striking. He fidgeted as Muldoon questioned him.
« Where was Miss Terry at the time of the murder? » the Inspector shot at him.
« She — she was here — here, in this room, with Mr. Thomas, » stammered the butler.
« Who else was in the room at the time? »
« There were two others, beside Mr. Thomas and Miss Terry. »
« Was the color of the murderer’s hair the same as that of either of the other two present? »
« No; but the other two had the same color hair. »
This was all the information we could gather, yet within ten minutes Muldoon arrested the murderer.
Whom did Muldoon arrest ?
SOLUTION OF « WHO MURDERED MR. THOMAS? »
Muldoon finds six people in the library:
Miss Thomas
Her fiancé (a guest)
These two have the same color hair (Wayne)
Mr. Perry (a guest)
Butler
Mr. Wayne (a guest) (Miss Thomas’ fiancé)
Miss Mills (bobbed black hair)
Miss Terry (in room with two men when Thomas was murdered)
Of the six people it has been shown that three were women and the other three men; the three women have been named and the butler stating that « the other two men » were guests.
As Perry stood across the room from Miss Thomas and her fiancé, Wayne must be the other guest and therefore Miss Thomas’ fiancé.
As no two of the men had the same color hair, there must have been one blond, one red, and one black; and the same must be true of the women, as there were two of each color hair in the room.
Miss Terry was in room at time of murder; she did not know where Miss Thomas was at that time. As Miss Mills was with Miss Thomas at the time of the murder, neither of them could have been in the room; so neither could have been the murderess. We therefore place an X before their names.
There were three in the room (beside Thomas) when the murder was committed; two of them had the same color hair, so must have been of different sexes; the killer’s hair was of a different color. Miss Terry was there; and as both the other women were out of the room, Miss Terry and two men must have been there. Miss Terry and one of the men must have had the same color hair; therefore the third person must have been the murderer, and was a man.
The killer had the same color hair as either Miss Thomas or Miss Mills.
The butler’s hair was either red or blond, because it contrasted strikingly with Miss Mills’ black hair; and he must have been one of the two men in the room, in order to know definitely who was in t he room at the exact moment of the murder.
The killer did not have the same color hair as either of the other two men, and as he had the same color hair as one of the guests who was absent from the room it must have been the same color as Miss Mills’, which was black, as she was the only woman guest absent from the room; therefore the killer had black hair.
The butler could not have been the killer because his hair contrasted strikingly with Miss Mills’, and we X him out.
So either Perry or Wayne must be the killer.
As Miss Mills was the only girl with black hair, Wayne’s hair could not have been black, as it was the same color as Miss Thomas’s, and so we X Wayne out.
Therefore it was Perry whom Muldoon arrested.