Audrey Wurdemann poem

« Earth grows old » (« La Terre prend de l’âge », ou encore « La Terre vieillit ») est un poème d’Audrey Wurdemann publié en 1928 dans le numéro de février de l’influente revue Poetry (volume XXXI), dirigé par Harriet Monroe (au sujet de la revue, voir « Venus Transiens » d’Amy Lowell). Wurdemann n’a alors que dix-sept ans : elle est alors notamment soutenue par le poète George Sterling, figure des bohèmes américains de la côte ouest. Son talent est vite reconnu : en 1935, elle remporte le prix Pulitzer de poésie pour son recueil Bright Ambush, devenant alors, à vingt-quatre ans, la plus jeune gagnante dans cette catégorie. Mais, peu prolifique, elle semble s’effacer ensuite derrière son mari l’écrivain Joseph Auslander, avec qui elle collabore pour deux romans.
Je propose ci-dessous une traduction personnelle du poème, suivie brèves remarques et du texte anglais (États-Unis).

La Terre prend de l’âge

Sans un son elle tourne sur des pôles de cristal
Et de glace ancienne, dont elle grandit, inébranlable,
Parée de feuillages et enveloppée dans la verdoyance
Qui se fond dans les veines de pierre agatines.
Épuisée par des années fertiles, elle s’efforce, à la façon
Des planètes, d’arborer un sourire compréhensif,
Afin de ne paraître trop âgée, cela des jours durant —
La mort n’est que plus douce, si elle patiente un peu.

Elle observe l’éploiement des étoiles
Qui aiguisent leurs lames sur le firmament.
Insensible aux cimeterres dégainés,
Elle se découpe dans la nuit obscure. Attentive,
Elle écoute, tandis que les eaux se jettent vers
L’éternité autour de ses pieds pris dans la glace.

Audrey Wurdemann
Étoiles filantes, 1912, peinture de Franz von Stuck.

Éléments d’analyse

On ne s’étonnera pas de trouver, de la part d’une protégée de Sterling, un certain goût pour la préciosité ancré dans la tradition poétique du XIXème siècle : sur ce point Wurdemann est comparable à Clark Ashton Smith, Nora May French, Amy Lowell ou même Maxwell Bodenheim. Elle partage avec eux le choix du mot rare ou littéraire (« crystalline », « agate »), l’évocation plus ou moins lyrique de la nature, les thèmes et les images qui évoquent l’orientalisme (« cimeterres dégainés »), le fantastique (Poe restant une figure tutélaire), voire la science-fiction, puisque la planète Terre est ici personnifiée à travers une vision cosmique et inquiétante que n’aurait pas reniée Lovecraft !
Formellement, le poème ne paraît guère novateur : il s’agit d’un sonnet au rythme régulier, distinguant le bloc des quatrains d’une part (selon le schéma de rimes croisées ABAB CDCD) et celui des tercets d’autre part (rimes croisées puis suivies selon la répartition EFEFGG), avec peut-être tout de même un effet de trouble dans les tercets : Wurdemann isole par un point les deux premiers vers du premier tercet, qui ne riment pas (« She watches the uncoiling of the stars / That whet their blades against the firmament. »), et fait un contre-rejet au premier vers du deuxième tercet (« She peers against the blinded night. Intent / She listens […]), ces petites ruptures donnant un effet d’accélération qui accompagnent, en quelque sorte, le mouvement final des eaux vers l’éternité.
On pourra également relever le choix en anglais de rendre la Mort (« Death ») masculine (« he waits »), difficulté difficile à résoudre pour la traduction française ; cette masculinisation, outre qu’elle permet le contraste avec la Terre féminine dans le poème, peut rappeler Dickinson (les fameux vers « Because I could not stop for Death – / He kindly stopped for me » donnaient déjà l’image d’une mort gentleman, et le « kindly » de Dickinson trouve son écho dans le « kind » de Wurdemann).

poème sur la planète terre
L’Astronome, 1668, peinture de Vermeer.

Earth grows old

Soundless she turns on poles of crystalline
And ancient ice, where steadfastly she’s grown,
Leaf-garmented and wrapped in living green
That merges in the agate veins of stone.
Wearied with fruitful years, she, in a way
That planets have, essays a knowing smile,
Not to be thought too old for many a day —
Death’s all the kinder if he waits awhile.

She watches the uncoiling of the stars
That whet their blades against the firmament.
Impervious to unsheathed scimitars,
She peers against the blinded night. Intent
She listens, while the waters rush to meet
Eternity about her ice-bound feet.