
« Poet to his love » (« Le poète à sa bien-aimée ») est un poème de Maxwell « Bogey » Bodenheim, le « Roi des Bohèmes de Greenwich Village » dans les années 1920. Ce poème est extrait de son recueil Minna and Myself, publié en 1918 à New York par Pagan Publishing Company, mais un certain nombre des poèmes du recueil avaient été publiés dans des revues. Il s’agit alors du premier recueil de Bodenheim, âgé de vingt-cinq ou vingt-six ans, qui s’est jusque-là fait un nom dans les cercles littéraires de Chicago et commence à s’en faire un à Greenwich Village, le fameux quartier d’artistes de New York où il déménage en 1916.
Le nom du recueil fait référence à Minna Schein, qu’il épouse en novembre 1918 (ils divorcent en 1938).
Je propose ci-dessous une traduction du poème, suivi du texte original et de quelques remarques.
Le poète à sa bien-aimée
Une vieille église argentée dans une forêt,
Voici mon amour pour toi.
Les arbres autour d’elle
Sont des mots que j’ai dérobés à ton cœur.
Une vieille cloche d’argent, le dernier sourire que tu fis,
Pend au faîte de mon église.
Elle sonne seulement lorsque traversant la forêt
Tu viens te tenir auprès d’elle.
Mais alors, elle n’a pas besoin de retentir,
Puisque ta voix la remplace.

POET TO HIS LOVE
An old silver church in a forest
Is my love for you.
The trees around it
Are words that I have stolen from your heart.
An old silver bell, the last smile you gave,
Hangs at the top of my church.
It rings only when you come through the forest
And stand beside it.
And then, it has no need for ringing,
For your voice takes its place.

Remarques
« Poet to his love » est le premier poème de la section intitulée « Myself » du recueil de Bodenheim, cette section étant elle-même la deuxième du recueil (la première est consacrée explicitement à « Minna »). Le recueil est complété par deux pièces de théâtre en un acte, The Master Poisoner (co-écrite avec Ben Hecht, qui devient dans les années 1930 et 1940 un scénariste hollywoodien à succès, pour le Scarface (1932) d’Howard Hawks, par exemple) et Poet’s Heart.
Le poème « Poet to his love », lyrique, fait la part belle à la métaphore amoureuse qui fait de la femme une muse, entre images romantiques (la nature, l’église) et blason (le cœur, le sourire, la voix). On peut par ailleurs relever la disparition de la rime et la diversité des mètres qui contribuent à la modernité du poème, à une époque où la poésie américaine est secouée par les œuvres de T. S Eliot, Ezra Pound ou encore Amy Lowell, pour n’en citer que quelques-uns, mais on peut mentionner également l’amitié de Bodenheim avec William Carlos Williams et Marianne Moore, figures du magazine Others. Les années 1910 sont en particulier marquées par l’émergence de l’Imagisme aux États-Unis, courant qui défend notamment le vers libre et une expression simple et directe. Bodenheim se situe semble-t-il au carrefour de ces influences, mais s’il connaît un certain succès de scandale dans les années 1920 il décline par la suite, sombrant dans l’alcoolisme.