Anna Wickham poème

« The Fired Pot » (« Le feu au pot », ou littéralement, « le pot en feu », le pot embrasé ») est un poème d’Anna Wickham publié en 1916 dans son recueil The man with a hammer : verses, aux éditions Grant Richards Ltd (qui avait notamment publié A Shropshire Lad d’Alfred Housman !). Anna Wickham est le nom de plume d’Edith Alice Mary Harper, poétesse anglaise qui a vécu un temps en Australie, ce à quoi fait référence « Wickham », choisi d’après le nom du quartier de Wickham Terrace, à Brisbane. Anna Wickham est une figure du féminisme littéraire et une pionnière de la poésie moderniste anglo-saxonne. Elle fréquente les milieux bohèmes, est proche de D. H. Lawrence, de Dylan Thomas, de Natalie Clifford Barney, ou encore de Malcolm Lowry… George Orwell est un temps son voisin ! Très prolifique, des milliers de ses poèmes resteraient à publier, et elle est méconnue en France.
Je propose ci-dessous une traduction personnelle du poème, suivie de brèves remarques et du texte anglais (États-Unis).

Le feu au pot

Dans notre ville, les gens vivent dans des cases.
La seule irrégularité d’une rue est celle du clocher ;
Vers quoi il pointe, Dieu seul le sait,
Pas les pauvres gens obéissants !

Et j’ai regardé les femmes vieillir,
Se passionner pour des têtes d’épingle, pour quatre sous, pour du savon,
Tant et si bien que mon cœur s’est figé dans ma poitrine de femme mariée,
Et j’ai perdu tout espoir.

Mais un jeune soldat est arrivé en ville.
Il parlait avec une franchise désarmante.
Il m’a demandé bien vite de m’étendre,
Et ça m’a fait beaucoup de bien.

Car même si je ne lui ai pas accordé d’étreinte —
Me souvenant de mon devoir —
Il a changé l’expression sur mon visage,
Et m’a rendu ma beauté.

Éléments d’analyse

The man with a hammer (1916) est le troisième recueil de Wickham, publié dans le contexte de la Première Guerre mondiale. En 1911, Patrick Hepburn, le mari de Wickham, l’avait fait interner plusieurs semaines dans un asile privé parce qu’il refuse qu’elle écrive. Cela semble ne faire que renforcer la vocation de Wickham : elle publie un deuxième recueil en 1915 (The Contemplative Quarry). La guerre est peut-être paradoxalement favorable à la créativité de Wickham, et à sa liberté : en effet, Hepburn rejoint un temps le Royal Naval Air Service et doit s’éloigner. Il est tentant dans ce contexte de lire « The Fired Pot » du point de vue de l’autobiographie, et comme l’expression provocatrice d’une femme pour qui la guerre permet la tentation de l’infidélité (songeons qu’en 1923, Le Diable au corps de Radiguet fait scandale en France sur un thème comparable !).
Ainsi le titre « The Fired Pot », qui fait référence au « pot à feu » ou brasero, évoque-t-il à la fois la vie domestique et la redécouverte de la sensualité. Wickham introduit rapidement son cadre spatial : une ville rangée, pour ainsi dire, avec son clocher pour marquer le poids de la religion organisée, peut-être, qui ne se confond pas avec la compréhension du divin. Les préoccupations des autres femmes sont celle d’un quotidien humble, familial, que d’ailleurs la locutrice ne semble pas condamner en tant que tel, mais qui la mine.
L’arrivée du jeune soldat, qui pourrait représenter l’irruption de la guerre dans des existences jusque-là paisibles et ternes, marque un changement d’humeur et de forme : aux deux premières strophes (des quatrains ; pour précision, les rimes sont croisées et varient à chaque strophe) dont les vers s’allongeaient parfois, jusqu’à la perte de l’espoir du vers 8, répondent les vers plus brefs des deux dernières strophes. La routine est perturbée jusque dans la métrique ! Et, tandis que le clocher de l’église invitait à regarder vers le ciel, le soldat invite, lui, à (se) coucher. Le péché n’est pas loin… mais la tentation suffit pour la locutrice, qui retrouve une certaine joie de vivre sans passer à l’acte. La morale est sauve, d’ailleurs proche d’une morale de conte de fées qui voit la beauté de l’épouse restaurée, au cœur d’une ville qu’on pourrait qualifier de maudite. Ou, plus crûment : la proposition sexuelle du soldat, qualifié par sa franchise, a rappelé à la femme mariée qu’elle pouvait susciter le désir. Wickham sans doute s’amuse : c’est donc dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes !

Anna Wickham poem
Merry-Go-Round, 1916, peinture de Mark Gertler.

The Fired Pot

In our town, people live in rows.
The only irregular thing in a street is the steeple;
And where that points to, God only knows,
And not the poor disciplined people!

And I have watched the women growing old,
Passionate about pins, and pence, and soap,
Till the heart within my wedded breast grew cold,
And I lost hope.

But a young soldier came to our town,
He spoke his mind most candidly.
He asked me quickly to lie down,
And that was very good for me.

For though I gave him no embrace —
Remembering my duty —
He altered the expression of my face,
And gave me back my beauty.

Sources :
Repressive Communities in ‘The Fired Pot’ by Anna Wickham ;
Women Writing World War I in Poetry: the Long Angle Toward Peace ;
Anna Wickham : Prélude à un nettoyage de printemps, fragments d’autobiographie.