Ozymandias Horace Smith poème

« Ozymandias » est un sonnet écrit par Horace Smith et publié le premier février 1818 dans The Examiner, hebdomadaire tenu par ses proches Leigh et John Hunt. Le poème est écrit dans le contexte d’une compétition amicale avec Percy Bysshe Shelley, ami de Smith. Ils choisissent tous les deux de s’inspirer des écrits de l’historien grec Diodore de Sicile, qui décrit dans sa Bibliothèque historique (Ier siècle av. J.-C., livre I, chapitre 47) une immense statue égyptienne qui porterait l’inscription : « Je suis Osymandyas, roi des rois », Ozymandias étant le nom grec de Ramsès II, le pharaon considéré comme celui qui aurait été opposé à Moïse.
Shelley publie son Ozymandias le 11 janvier, Smith trois semaines après. Le lectorat de The Examiner est appelé à juger : pour ne pas l’influencer, Shelley utilise un nom de plume, Glirastes ; Horace Smith quant à lui indique ses seules initiales, « H. S. » La postérité… célèbre « Ozymandias » comme le poème le plus fameux de Shelley, au point qu’il est devenu une référence fréquente de la popculture. Le poème de Horace Smith, auteur de pastiches et de romans historiques, par ailleurs courtier en bourse fortuné, n’est guère lu que par son association avec Shelley.

J’en propose ci-dessous une traduction personnelle en alexandrins rimés, avec toutes les approximations que cela implique, suivie du texte anglais et de pistes d’analyse. Pour en lire une autre traduction et en apprendre plus sur l’Ozymandias de Shelley et sa postérité, suivre ce lien.

Ozymandias (Horace Smith) – traduction

Dans les sables muets d’Égypte, solitaire,
Géante, se dresse une Jambe qui étend
La seule Pénombre que le Désert comprend : –
« Je suis le grand Ozymandias », dit la pierre,
« Le Roi des Rois ; cette grande Cité épand
Ma majesté. » – La Cité disparut entière, –
Il n’en reste plus rien, que la Jambe indiquant
Le site de cette Babylone en poussière.

Nous méditons – quelque Chasseur s’ébaubirait
Ainsi que nous, lorsque traversant la contrée
Du Londres sauvage, un Loup fuyant son fusil,
Il découvre un vaste débris, marque un arrêt,
Songeant au peuple fort mais tombé dans l’oubli
Qui habitait jadis ce lieu anéanti.

IN Egypt's sandy silence, all alone,
Stands a gigantic Leg, which far off throws
The only shadow that the Desart knows:—
"I am great OZYMANDIAS," saith the stone,
"The King of Kings; this mighty City shows
"The wonders of my hand."— The City's gone,—
Nought but the Leg remaining to disclose
The site of this forgotten Babylon.
We wonder,—and some Hunter may express
Wonder like ours, when thro' the wilderness
Where London stood, holding the Wolf in chace,
He meets some fragment huge, and stops to guess
What powerful but unrecorded race
Once dwelt in that annihilated place.
Le poème « Ozymandias » de Horace Smith tel que publié dans The Examiner, numéro du 1er février 1818 (archives de The Examiner). Smith fait précéder son poème d’une adresse au rédacteur en chef de The Examiner, son ami Leigh Hunt : « Monsieur, – le sujet qui inspira le beau Sonnet, dans un numéro récent, signé « Glirastes », produisit aussi le poème ci-joint dû à une autre plume, qui, si vous jugez celui-ci digne d’insertion, est à votre service. »

Ozymandias (1818) – Horace Smith

IN Egypt’s sandy silence, all alone,
      Stands a gigantic Leg, which far off throws
      The only shadow that the Desart knows:—
    « I am great OZYMANDIAS, » saith the stone,
      « The King of Kings; this mighty City shows
    « The wonders of my hand. »— The City’s gone,—
      Nought but the Leg remaining to disclose
    The site of this forgotten Babylon.

    We wonder,—and some Hunter may express
    Wonder like ours, when thro’ the wilderness
      Where London stood, holding the Wolf in chace,
    He meets some fragment huge, and stops to guess
      What powerful but unrecorded race
      Once dwelt in that annihilated place.

Ozymandias Horace Smith poem analysis
La Plaine de Thèbes en Haute-Égypte, 1857, peinture orientaliste de Jean-Léon Gérôme.

Pistes d’analyse

« Ozymandias » est un sonnet qui suit le schéma de rimes : ABBABABA CCDCDD, variation originale qui se distingue du sonnet élisabéthain (ABAB CDCD, EFEF, GG), le sonnet se présentant ici sous la forme de deux blocs, l’un regroupant les deux quatrains (ou un octain), l’autre les deux tercets (ou un sizain). Par comparaison, pour son « Ozymandias », Shelley choisit également un schéma original : ABABACDC EDEFEF. Smith comme Shelley, cependant, utilisent le pentamètre iambique (soit un vers de cinq pieds alternant une syllabe non accentuée suivie d’une syllabe accentuée).
Le poème commence par indiquer un cadre spatial, « Egypt » (vers 1), aussitôt associé au désert (« sandy ») et au silence (« silence »), l’endroit désolé contribuant encore à rendre exceptionnelle et symboliquement marquante la présence de la Jambe gigantesque du vers 2 (« gigantic Leg »), valorisée également par la majuscule qui tend à en faire une allégorie. Le lecteur est ainsi déplacé en imagination dans un espace autre, paraissant certainement plus exotique au XIXème siècle, période influencée par l’Orientalisme et l’égyptomanie. Shelley et Smith sont par ailleurs vraisemblablement inspirés par l’arrivée alors annoncée d’une statue de Ramsès II, achetée par le British Museum de Londres (sur ce sujet, lire l’article de complément sur « Ozymandias » de Shelley).
De la statue donc ne demeure plus qu’une seule jambe (Shelley en gardait deux !), imposante certes, mais support d’un corps invisible, perdu, et évoquant par sa solitude affirmée et répétée (« all alone » vers 1, « only » vers 3) un déséquilibre. On notera, vers 3, la majuscule à Désert (en anglais « Desart », variation archaïque) qui met le lieu sur le même plan allégorique que la Jambe, celle-ci devenant une émanation du désert silencieux et, dans les vers suivants, son messager, voire son porte-parole (« saith the stone », Smith privilégiant le verbe dire, plus ambigu que la formule « these words appear » de Shelley). Les vers suivants donc restituent la parole d’Ozymandias au discours direct, valorisée aussi bien par les hyperboles (« great » vers 4, « King of Kings » et « mighty » vers 5, « wonders » vers 6), que par les majuscules qui peuvent donner l’impression d’une accentuation emphatique. Le locuteur de Smith, indéterminé, s’exprime comme s’il était le voyageur revenu d’Égypte (peut-être Diodore de Sicile lui-même) rapportant un témoignage, sans donner d’opinion. L’incise « — The City’s gone,— » (vers 6) contraste avec le propos pompeux, rappelant brusquement la réalité : la Jambe est une ruine qui est l’équivalent d’un poteau indicateur, la cité d’autrefois a perdu jusqu’à son nom et ne peut être évoquée que par métonymie (vers 8), Babylone étant elle-même une ville antique en ruine de Mésopotamie : autre référence d’actualité pour le lecteur du XIXème siècle, Babylone ayant été explorée en 1811 par l’archéologue Claudius Rich, dont la « Narration d’un voyage sur le site de Babylone en 1811 » est publiée en Angleterre en 1815.
Si l’octain expose une situation, un bref récit exemplaire (ce qui rappelle le modèle de la fable, avec sa chute ironique) tourné vers le passé, le sizain propose quant à lui une expérience de pensée qui a trait au futur. Le poème incite ainsi à une réflexion collective, avec « We wonder » vers 9, avant qu’un tiret d’incise ne fasse basculer le poème dans un monde imaginaire qu’on qualifierait aujourd’hui de science-fiction post-apocalyptique : un Chasseur anonyme parcourt un Londres ensauvagé pour traquer le Loup. Smith emploie encore une fois les majuscules pour faire de ses personnages des tropes, par antonomase. Chasseur et Loup convoque tout un imaginaire de violence et de conte de fées qui contraste avec les paysages de la révolution industrielle alors en cours. Par mimétisme avec la strophe précédente, le Chasseur du futur considère la Londres en ruine (vers 12 à 14) comme le lecteur du XIXème siècle (et celui d’aujourd’hui) considère les ruines égyptiennes. Toutefois, la strophe est plus brève, et son rythme plus rapide : Smith limite l’emploi des signes de ponctuation, privilégiant les virgules plutôt que les tirets d’incise ou les points virgules de l’octain, plus solennel, ainsi que les enjambements qui entraîne le lecteur, en quelque sorte, jusqu’au dernier vers tragique. Le sonnet donne finalement au lecteur l’image d’un avenir possible, sinistre. Il n’est pas question ici de technologie, d’écritures, d’œuvre d’art ou même de monument précis (Smith évoque seulement un vague « fragment » vers 12) : la destruction envisagée semble plus totale encore que celle infligée au domaine d’Ozymandias, ce qui peut laisser pensif le lecteur contemporain pris entre les imaginaires des catastrophes climatiques et de l’hiver nucléaire : le sonnet se conclut par « annihilated place », vision pessimiste du futur de la société anglaise (voire occidentale), à l’opposé du positivisme du début du XIXème siècle. On pourra ainsi remarquer que le sonnet de Smith s’inscrit plus dans une perspective historique que celui de Shelley, qui aspire plutôt à une dimension mythique. « Ozymandias », au fond, est une sorte de « memento mori » pour civilisation mortelle.