Leda and The Swan, poème de Yeats

Écrit en 1923, « Leda and the Swan », ou « Léda et le Cygne », est un poème de William Butler Yeats recueilli notamment dans son recueil The Tower (La Tour) de 1928, cinq ans après que le célèbre auteur irlandais ait obtenu le prix Nobel de Littérature. Un des rares sonnets de Yeats, considéré comme un de ses chefs d’œuvre, il est consacré au mythe grec de Léda dont la version la plus commune raconte comment Zeus, roi des dieux, se métamorphose en cygne pour séduire la princesse Léda, selon entre autres Homère et l’Odyssée [1].
Certaines versions indiquent que de leur union naissent Hélène, dont l’enlèvement par Pâris causera la chute de Troie, et Clytemnestre qui épousera Agamemnon et l’assassinera (mythe des Atrides). Yeats, dans une approche plus sinistre et pessimiste, fait du mythe une scène de viol. Le lecteur trouvera ci-après le texte original et différentes traductions, ainsi que des éléments d’analyse (je précise que je ne propose ma traduction qu’en amateur, mais que les autres sont toutes issues de publications consacrées à Yeats).

Le poème en anglais :

Leda and the Swan
 
A sudden blow: the great wings beating still
Above the staggering girl, her thighs caressed
By the dark webs, her nape caught in his bill,
He holds her helpless breast upon his breast.
 
How can those terrified vague fingers push
The feathered glory from her loosening thighs ?
And how can body, laid in that white rush,
But feel the strange heart beating where it lies ?
 
A shudder in the loins engenders there
The broken wall, the burning roof and tower
And Agamemnon dead.
                                       Being so caught up,
So mastered by the brute blood of the air,
Did she put on his knowledge with his power
Before the indifferent beak could let her drop?
 
copie de la peinture Léda et le cygne de Michel-Ange
Copie de la peinture Léda et le Cygne de Michel-Ange, 1530. Le peinture fut envoyée à François Ier.

Traductions du poème en français

Léda et le Cygne [traduction personnelle]
 
Un choc soudain : les grandes ailes battent encore
sur la fille hébétée, cuisses caressées
par la palmure noire, nuque prise au bec,
il la tient impuissante, sein contre jabot.
 
Comment chasser d’une main incertaine, transie,
la gloire plumeuse loin des cuisses ouvertes ?
Comment le corps, couché dans cette nuée blanche,
ne peut-il sentir ce cœur étrange, là battant ?
 
Un frémissement dans les reins engendre ainsi
le mur brisé, le toit et la tour incendiés,
la mort d’Agamemnon.
                                      Prise au vol,
dominée par la violence du sang aérien,
subit-elle son savoir avec sa puissance
avant qu’un bec indifférent la laissât choir ?
 
Traduction par Yves Bonnefoy [Quarante-cinq poèmes, édition Gallimard, 1993] :
 
Le heurt d’un vent. De grandes ailes battent
Encore, sur la fille chancelante, dont les cuisses
Sont pressées par les palmes noires, dont la nuque
Est captive du bec. Et sa poitrine
Sous sa poitrine à lui est sans recours.
 
Comment ces vagues doigts terrifiés pourraient-ils
Des cuisses faiblissant repousser tant de gloire ?
Comment un corps, sous cette ruée blanche,
Ne sentirait-il pas battre l’étrange cœur ?
 
Un frisson dans les reins engendre là
Le mur brisé, la tour et la voûte qui brûlent
Et Agamemnon mort.
                                   Elle emportée,
Elle écrasée par le sang brut de l’air,
Prit-elle au moins sa science avec sa force
Avant qu’indifférent le bec l’eût laissé choir ?
 
Leda and the Swan was first published in The Dial
Sommaire du numéro de juin 1924 de la revue The Dial (volume LXXVI, n°6), dans laquelle Yeats publie pour la première fois « Leda and The Swan ». Le numéro coûtait alors 50 cents américains. Il se vend aujourd’hui 60 livres anglaises. [cliquer sur l’image pour agrandir]
Traduction par Jean Briat [La Rose et autres poèmes, édition Points, 2008]
 
Brutal assaut : les grande ailes encore frémissantes
Sur la vierge qui chancelle, les cuisses caressées
Par les sombres palmes, le cou saisi par son bec,
Il tient sur sa poitrine sa poitrine sans défense.
 
Comment ces doigts terrifiés et perdus pourraient-ils
Repousser de ses cuisses qui s’écartent cette gloire emplumée ?
Et comment pourrait le corps, couché dans ce flot de blancheur,
Ne pas sentir battre, sur sa couche, ce cœur étranger ?
 
Un frisson au creux des reins y dépose en germe
La chute des murailles, les flammes de la tour
Et la mort d’Agamemnon.
                                          Ainsi prisonnière,
Ainsi maîtrisée par ce sang brutal venu des airs,
A-t-elle reçu de lui avec sa puissance son savoir
Avant d’être lâchée par le bec indifférent ?
 
Traduction par René Fréchet [édition Aubier, 1975]
 
Un coup soudain : un grand battement d’ailes
Au-dessus de Léda ; lui caressant les cuisses
Entre ses pieds palmés, la nuque dans son bec,
Impuissante il la tient, le sein contre sa gorge.
 
Comment ces doigts perdus pourraient-ils repousser
La splendeur de l’oiseau de ces cuisses vaincues ?
Comment ce corps peut-il, en la blancheur fougueuse,
Ne pas sentir ce cœur étrange contre lui ?
 
Un frisson de ses reins engendre ici
La brèche dans le mur, la flamme dans le toit,
La mort d’Agamemnon.
                                       De la sorte saisie,
Domptée ainsi par le sang brut des airs,
Est-ce qu’elle assuma son savoir et sa force
Avant qu’indifférent le bec ne la lâchât ?
 
Leda and the Swan was published in The Tower, Yeats, 1928
The Tower de Yeats, couverture de l’édition Macmillan in 1928. Recueil de 21 poèmes, dont Léda et le Cygne.

Contexte historique

La première version du poème date du 18 septembre 1923, et la première parution a eu lieu dans The Dial en juin 1924. The Dial (littéralement : Le Cadran) était une revue littéraire américaine où publiaient les auteurs rattachés au modernisme (grossièrement, courant qui intègre ou rejette la tradition dans le cadre de formes nouvelles), dont T. S. Eliot qui y publia « The Waste Land », et Yeats qui y publia aussi « The Second Coming » en 1920. Yeats le publie à nouveau dans son recueil The Cat and the Moon and Certain Poems (1924), où il joint une note concernant le poème :

J’écrivis Leda et le Cygne parce que le rédacteur en chef d’une revue politique me demandait un poème. Je me dis : « Après le mouvement individualiste, démagogique, fondé par Hobbes et popularisé par les Encyclopédistes et la Révolution française, notre sol est tellement épuisé qu’une récolte pareille ne pourra y pousser de nouveau avant des siècles ». Alors je pensai : « Rien aujourd’hui n’est possible, sinon un mouvement, ou quelque naissance venus d’en-haut, précédés par une violente annonciation ». Mon imagination commença de jouer de la métaphore de Léda et du Cygne je me mis à écrire le poème ; mais comme j’écrivais, l’oiseau et la femme s’emparèrent de l’œuvre au point que toute considération politique en fut expulsée, et mon ami me déclara que « ses lecteurs conservateurs ne comprendraient pas le poème ».

L’ami mentionné par Yeats est George William Russell (peudonyme « AE », ou Æ) qui dirigeait alors l’Irish Statesman. Il s’agissait d’un journal hebdomadaire qui parut de 1923 à 1930 et soutenait sans grand succès un compromis entre les différents mouvements irlandais et l’Angleterre : l’Irlande était devenue indépendante en 1922, mais l’Irlande du Nord avait choisi de rester rattachée au Royaume-Uni. On comprend en quoi le mythe et son traitement sous l’angle du viol pouvait d’abord évoquer le cycle des violences entre nations, et l’horizon de désastres suggéré par la guerre de Troie.

Mythe et religion, brève analyse

Le mythe de Léda déploie une foule de possibilités d’interprétations : Léda donnera naissance, sous la forme d’un œuf (!), non seulement à Hélène et à Clytemnestre, mais aux jumeaux Castor et Pollux (mythe de Jason et les Argonautes), ainsi qu’à l’Amour et à la Guerre. C’est le sort de la Grèce mythique (et d’une conception de la culture occidentale) qui est déterminé. Bonnefoy, dans une note à sa traduction, cite ainsi Yeats et son essai A Vision :

J’imagine que l’Annonciation qui fonda la Grèce a été faite à Léda, me souvenant qu’on montrait dans dans un temple de Sparte, suspendu au plafond comme une sainte relique, un de ses œufs non couvés ; et que de l’un de ses œufs est né l’Amour, et de l’autre la Guerre.

Les questions rhétoriques posées dans le poème, adressées au lecteur aussi bien qu’à personne, vont dans le sens d’une lecture pessimiste : la violence, irrésistible, emporte tout (Dylan Thomas en a dit quelque chose !), la vision de l’avenir loin de donner un sens à la brutalité endurée en démontrent seulement le caractère durable. Le savoir n’empêche pas le désastre, puisqu’il est déjà trop tard : nous y sommes, nous en étions prenantes avant même d’en prendre conscience. Du moins est-ce le cas de Léda en proie à un dieu. Et si les synecdoques : « Le mur brisé, la tour et la voûte qui brûlent » renvoient à l’Iliade et à la chute de Troie, ce qui est explicité par la mention d’Agamemnon, elles donnent une image universelle de la guerre. L’image est d’autant plus tragique que la tour, pour Yeats, est un symbole positif, voire une métaphore des valeurs qui fondent l’individu, la patrie.
 
le recueil Le Chat et la Lune et certains poèmes eut un tirage réduit
 Le recueil The Cat and the Moon and Certain Poems, publié en 1924 et tiré à 500 exemplaires, dans lequel Yeats publia Leda and the Swan
Le rapport au temps, et à l’avenir, est donc signifiant : le huitain est rédigé au présent, le premier tercet donne un aperçu de l’avenir de la Grèce (mais déjà le passé de la culture classique), le deuxième tercet évoque la chute de Léda et son expérience au passé, irrévocable. On peut remarquer que le poème s’organise autour d’une structure binaire : le premier quatrain développe une phrase affirmative, le deuxième est interrogatif ; le premier tercet est affirmatif, le deuxième est interrogatif. Le lecteur tour à tour sait, et s’interroge.
La violence du poème est aussi dans la confrontation entre l’animalité de l’oiseau Zeus et l’humanité de Léda : on notera que ces noms n’apparaissent pas dans le poème, que le nom même de Zeus est écarté. Le « cygne », lui, n’apparaît que dans le titre du poème, n’étant pas même qualifié d’oiseau : la femme et l’oiseau apparaissent par morceaux, alors que les corps sont trop proches pour qu’il y ait une vision d’ensemble.
L’anthropomorphisme traditionnel des dieux grecs est donc tu, mettant en avant la perception confuse de la victime, le trouble ressenti face aux « caresses », à la blancheur et à la « gloire » de l’agresseur : la puissance est là, qui s’impose sous une apparence sublime, dont les « palmes » sombres, inquiétantes, sont à peine entrevues. De plus, cette altérité illusionne grâce à la proximité du « cœur » battant, certes « étrange », mais dont l’évocation renvoie aux métaphores du discours amoureux. Le « cœur » achève de semer le trouble, de faire accepter même la domination :  il y a en Léda (comme en nous) l’envie de croire à la puissance et aux beautés qu’elle semble promettre, jusque dans le crime (Baudelaire en savait quelque chose, Percy Shelley ironisa sur le sujet avec « Ozymandias« ).
Cependant, pour le spécialiste Giorgio Melchiori (The Whole Mystery Of Art, 1960) [2] Yeats donne une contre-partie chrétienne dans son poème « The Mother of God » (« La Mère de Dieu ») :
Des ailes qui battent dans la chambre ;
De toutes les terreurs la terreur de porter
Les Cieux en mon sein. [Traduction Jean Briat]
C’est associer deux figures de vierges, Léda et Marie, confronter ou compléter le mythe et la religion, la tradition homérique et la tradition chrétienne. Dans sa violence, l’oiseau (le dieu, le Saint-Esprit) unit des plans différents.
Pour la spécialiste Jacqueline Genet, dans son livre La Poétique de W. B. Yeats [Presses Universitaires du Septentrion, 1er mai 1995)] :
La métamorphose est donc le pont jeté entre l’intemporel et le temporel. Elle implique l’existence de deux mondes contrastés ; humain et féerique, naturel et surnaturel, temporel et éternel. Elle correspond à une vision dualiste et mythique, si l’on suit Gilbert Durand qui définit la structure du mythe comme « un ensemble dynamique c’est-à-dire un système de forces antagonistes ». Yeats se plaît sur ce point à rejoindre les anciens Celtes et les occultistes qui établissent des réseaux de correspondances entre le monde visible et invisible. Transfiguration et Incarnation sont dès lors les métamorphoses par excellence et se confondent avec le miracle. La métamorphose répond en effet d’abord au besoin de transcendance. L’initié doit se transfigurer spirituellement et pour cela accomplir au préalable un voyage métamorphique. Le mythe de la régénération se termine d’ordinaire par le retour au monde du héros qui veut communiquer aux autres la sagesse qu’il a acquise. Car le poète tient avant tout à retourner à la vie, à la réalité, ce qui explique la place importante qu’il donne à l’Incarnation. Elle est en même temps une manière de s’interroger sur le mystère de l’union de l’âme et du corps. Il n’est pas rare que les divinités s’incarnent dans le corps d’un animal ou d’un homme. Le cygne ou un oiseau semblable tel le héron ou la grue est alors le véhicule le plus fréquent de cette incarnation. Le cygne est l’oiseau immaculé, dont la blancheur, la puissance et la grâce font une « vivante épiphanie de lumière ». L’étreinte du cygne — Zeus et de Léda cristallise pour Yeats le problème fascinant de savoir si l’homme pourra jamais participer à l’omniscience divine. Par le miracle du divin et de l’humain, une nouvelle possibilité a-t-elle été communiquée à l’humanité ? Quel a été le legs du dieu à la femme ?
Zeus repart solitaire : l’éternel lui aussi a besoin du temporel. Quant à la femme, elle a hérité de la vie du dieu, à la fois animale et spirituelle : « The brute blood of the air. »
Yeats caractérise ainsi le génie païen de l’ère nouvelle. Car cette union du cygne et de Léda est l’Annonciation de la civilisation grecque. Elle a orienté l’histoire. La force qui a maîtrisé Léda est un acte apocalyptique qui a bouleversé le cours des événements. ] Comme l’âme, le poème recherche la formule qui établit un lien entre le visible et l’invisible. Suivant une démarche cyclique, typiquement yeatsienne, nous bouclons le cercle et revenons à la métamorphose esthétique qui fut notre point de départ car l’âme et l’art se rejoignent dans ce jeu de métamorphoses dont le but ultime est la perfection représentée par l’Unité d’Être, la Sphère ou encore l’Œuf, cet œuf, résultat des métamorphoses, issu de l’union du cygne et de Léda.
Ajoutons que, selon Melchiori, parmi d’autres, Yeats a été influencé par la peinture de Michel-Ange sur le thème : la Léda de Yeats retrouve la position de celle du tableau, les couleurs (noir, blanc) correspondent au souci du peintre, de même que les « terrified vague fingers » dont le « vague » rappelle ainsi celui des contours esquissés par le pinceau. Le poème devient maillon d’une chaîne de la tradition artistique qui dépasse la littérature. Dernier détail : la peinture originale de Michel-Ange, intitulée Léda et le Cygne, a disparu et n’est connue que par des études préparatoires et des copies.
 
The British Museum possède un relief du mythe
Relief en marbre daté de l’an 50-100, période romaine, représentant Léda et Zeus sous la forme d’un Cygne. The British Musem.

Sonnet, mètre et rythme

Le poème reprend le modèle du sonnet pétrarquiste, ici sous la forme de trois strophes. Les deux premières, constituées de quatrains (quatre vers), devraient traditionnellement se regrouper en un seul huitain. La dernière strophe également, au lieu de former un seul sizain, rend visible une rupture en plein milieu du troisième vers, découpé sur deux lignes. Cette rupture précède immédiatement l’interrogation finale, qui évoque la vision possible de l’avenir (« knowledge ») qui découlera du viol (descendance meurtrière, guerre…).
La volta (ou renversement) est également préservé entre huitain et sizain : le huitain pose la question terrible de la capacité de Léda à résister au prédateur, le sizain annonce que le viol a eu lieu. La rupture du sizain suggère visuellement le moment de l’éjaculation et donc celui où se noue le destin tragique des Achéens et des Troyens.
On relèvera que le sonnet pétrarquiste est habituellement lyrique, consacré à l’expression du sentiment amoureux (c’est le cas des sonnets de Shakespeare, par exemple), alors qu’ici Yeats l’utilise pour faire le récit d’un viol, s’écartant également de la tradition du mythe qui présente la relation entre Léda et Zeus comme consentie, sous le sceau de la séduction.
Par ailleurs, Yeats ne respecte pas non plus strictement l’utilisation attendue du pentamètre iambique, mètre courant de cinq pieds en langue anglaise. Le pied iambique repose sur l’alternance entre une syllabe non accentuée et une syllabe accentuée : dès le premier vers, « A sud/den blow: / the great / wings beat-/ing still » le quatrième pied est un spondée (deux syllabes longues). Le battement d’ailes du cygne est ainsi accentué. Cependant, le deuxième vers comprend un anapeste (deux brèves puis une longue), « -gering girl », qui souligne la faiblesse de Léda.
Ces multiples infractions aux règles accompagnent donc le sens du poème.

Schéma de rimes et sonorités

Le schéma de rimes peut se résumer ainsi : ABAB CDCD EEF EEF, en considérant que la rupture du sizain n’affecte pas les rimes « up/drop ». Comme le montre ce dernier exemple, il ne s’agit pas nécessairement de rimes mais plutôt d’assonances, difficile à restituer en traduction.
Yeats privilégie aussi l’allitération, en particulier dans la première strophe : « A sudden blow: the great wings beating still / Above the staggering girl, her thighs caressed » multiplie les « s » et les « g »,  « He holds her helpless breast upon his breast, » multiple les « h » et « b ». L’allitération proliférante contribue à donner l’impression que le cygne Zeus domine Léda.
Dans la deuxième strophe les corps se heurtent en même temps que les sons en « f » : « fingers » de Léda et « feathered glory » du cygne, aboutissant à l’interrogation autour du sentiment, « feel », du vers huitième vers. Les « b » de « body » et « beating » se font écho, résonant avec le rythme du mètre et les battements du cœur étrange ou étranger, selon les traductions. Ce passage correspond à un moment d’incertitude, où Yeats semble suggérer que Léda ressent une attraction pour le prédateur qui la domine alors corps et âme. Le résultat dépasse les individus : l’allitération des « b » se poursuit dans la troisième strophe avec « broken » et « burning », liant tragiquement la violence subie par la femme (Léda, toutes les femmes ?) et la nation (Troie, l’Irlande, toutes les nations, alors que la Grande Guerre est récente, que la Deuxième approche ?). La cause en tout cas est déterminée : le sang brutal, « brute blood », à la fois symbolique et très concret, renvoyant à la nature humaine comme à l’individu.
 
Zeus est un cygne dans le mythe de Léda
Zeus va-t-il nous déchirer avec un coup d’aile ivre ?

Postérité du poème

Le poème bénéficie d’une solide reconnaissance. L’universitaire féministe Camille Paglia l’a qualifié de « plus grand poème du XXème siècle », déclarant que « tous les êtres humains, ainsi que Léda, sont pris un instant après l’autre dans la « ruée blanche » de l’expérience. Pour Yeats, l’unique salut provient de la beauté formelle et de l’apaisement de l’art ».
 
Notes :
[1] Homère, Odyssée, dans la traduction de Leconte de Lisle (édition 1893), rhapsodie XI : « Puis, je vis Lèdè, femme de Tyndaros. Et elle conçut de Tyndaros des fils excellents, Kastôr dompteur de chevaux et Polydeukès formidable par ses poings. La terre nourricière les enferme, encore vivants, et, sous la terre, ils sont honorés par Zeus. Ils vivent l’un après l’autre et meurent de même, et sont également honorés par les Dieux. » On peut aussi songer à Ovide dont les Métamorphoses (livre VI) mentionnent brièvement « Léda reposant sous les ailes d’un cygne ».
[2] Melchiori, selon Briat, mentionne notamment la référence de Yeats à Edmund Spenser, qui traite du mythe de Léda et Zeus dans le livre III, canto XI de The Faerie Queene (La Reine des Fées) :
Then was he turned into a snowy man,
To win fair Leda to his loveley trade:
O wondrous skill, and sweet wit of the man,
That her in daffodillies sleeping made
From scorching heat her dainty limbs to shade!
Whiles the proud bird, ruffing his fethers wide
And brushing his fair breast, did her invade,
She slept, yet twixt her eyelids closely spied
How towards her he rushed, and smiled at his pride.