Féminité et neige, origine d’un motif
Voici, partiellement modifiée et augmentée, une nouvelle version de cet article, avec l’aimable autorisation des joyeux chaperons d’Etherval.
La suite de l’article est en ligne ici.
Chrétien de Troyes, Perceval
Enluminure d’un manuscrit du Conte du Graal de Chrétien de Troyes et détail de l’adaptation de La Fille du géant du gel de Roy Thomas (scénario) et Barry Windsor-Smith (dessin) pour Conan the Barbarian chez Marvel. |
Cette oie était blessée au col d’où coulaient trois gouttes de sang répandues parmi tout le blanc. Mais l’oiseau n’a peine ou douleur qui la tienne gisante à terre. Avant qu’il soit arrivé là, l’oiseau s’est déjà envolé ! Et Perceval voit à ses pieds la neige où elle s’est posée et le sang encore apparent. Et il s’appuie dessus sa lance afin de contempler l’aspect, du sang et de la neige ensemble. Cette fraîche couleur lui semble celle qui est sur le visage de son amie. Il oublie tout tant il y pense car c’est bien ainsi qu’il voyait sur le visage de sa mie, le vermeil posé sur le blanc comme les trois gouttes de sang qui sur la neige paraissaient.
Robert E. Howard, Conan
Devant lui, ondoyant comme un arbrisseau sous le vent, se tenait une femme. Pour ses yeux éblouis, le corps de l’inconnue semblait d’ivoire ; à l’exception d’un léger voile tissé des fils les plus fins, elle était aussi nue qu’au premier jour. Ses pieds délicats étaient plus blancs que la neige qu’ils foulaient avec dédain. Elle riait en regardant le guerrier déconcerté ; son rire était plus mélodieux que le doux clapotis de fontaines argentées, et cependant empreint d’une cruelle moquerie.
Cet aspect est particulièrement (et magnifiquement) valorisé dans l’adaptation en bande dessinée de la nouvelle d’Howard par Robin Recht. Dans sa postface, Patrice Louinet rappelle :
L’inspiration de cette nouvelle en particulier […] Howard est sans doute allé la chercher dans un ouvrage du vulgarisateur Thomas Bulfinch, très connu aux Usan et qui se faisait une spécialité de raconter sous une forme « moderne » les contes et légendes du monde entier. […] La plupart des éléments de La Fille du géant du gel se retrouvent chez Bulfinch, à commencer par tous les noms propres, mais également la trame du récit, dont les points communs avec la légende d’Atalanta sont assez marqués : […] À tous ceux qui voulaient la courtiser, et ils étaient nombreux, elle imposait une condition qui suffisait généralement à écarter les prétendants assidus : « Je serai la récompense de celui qui me battra à la course, mais la mort sera le lot de ceux qui essaieront et échoueront. » […]Howard combina cette trame avec celle de Daphné et Apollon, mais il en inversa les rôles : là où Apollon était un dieu et Daphné une mortelle, il fait d’Atali une déesse et de Conan le mortel.
Mais Howard faisait de Conan un blasphémateur qui recevait une leçon effrayante du dieu Ymir et se voyait finalement confronté aux limites de son humanité. Le Conan de Robin Recht, d’abord humilié et presque brisé, est finalement dépouillé de sa raison par les tortures de la déesse, et devient alors presque pure allégorie : celle d’une rage incoercible et d’une volonté farouche de défier les puissances qui prétendent présider au destin.
Photo d’une planche de Robin Recht prise à HUBERTY & BREYNE GALLERY, à Paris.
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