
« Music, When Soft Voices Die », ou « To–« , est un poème de Percy Bysshe Shelley, parmi ses plus célèbres, écrit en 1821 et publié en 1824 à titre posthume dans le recueil Posthumous Poems of Percy Bysshe Shelley, par les éditeurs londoniens John et Henry Leigh Hunt, amis de Shelley. Le livre est publié à l’initiative de Mary Shelley, veuve de Percy, qui veut servir la mémoire du défunt, et écrit d’ailleurs une préface où elle vante ses qualités morales aussi bien que poétiques.
J’en propose ici cinq traductions, dont une rimée, qui pourront être modifiées et complétées, suivies du texte du poème en langue anglaise, de remarques concernant le contexte, et de pistes d’analyse.
Music, When Soft Voices Die – traductions
[1ère version]
La musique, quand les voix tendres s’éteignent,
Retentit dans la mémoire ;
Les parfums, quand les douces violettes fanent,
Vit encore dans les sensations qu’elles avivent.
Les pétales de rose, quand la rose est morte,
Sont amassés pour le lit de l’être aimé ;
Ainsi donc l’image de toi, quand tu auras disparu,
Sur quoi l’amour même reposera.
[2ème version]
La musique, alors que les voix douces meurent,
Retentit dans la mémoire ;
Les senteurs, alors que les violettes suaves s’altèrent,
Vit encore dans les sens qu’elles exaltent.
Les pétales de rose, alors que la rose est morte,
S’amoncellent pour la couche de l’être aimé ;
Or donc cette impression de toi, au moment de ton départ,
Sur quoi l’amour même trouvera le sommeil.
[3ème version : à noter au vers 7, le choix de rendre « thy thoughts » littéralement ; voir les pistes d’analyse, plus bas.]
La musique, lorsque meurent les douces voix,
Vibre en la mémoire ;
Les odeurs, lorsque dépérissent les suaves violettes,
Se préservent dans la sensation qu’elles attisent.
Les pétales de rose, lorsque est morte la rose,
Sont amoncelés pour le lit de la bien-aimée ;
Ainsi tes pensées, lorsque tu seras partie,
Seront la couche de l’amour.
[4ème version]
La musique, au moment que se taisent les voix douces,
Résonne en la mémoire ;
Les baumes, au moment que s’assèchent les violettes délicates,
Perdurent dans le sens qu’elles exaltent.
Les pétales de rose, une fois que la rose a péri,
S’amoncellent pour former la couche de l’aimé ;
De même la pensée de toi, une fois que tu seras parti,
À quoi l’amour lui-même s’endormira.
[5ème version, en rimes suivies, avec quelques approximations, mais pas de mètre fixe.]
La Musique, quand les voix s’adoucissent à mourir,
Résonne en souvenir ;
Les fragrances, quand les tendres violettes se gâtent,
Perdurent dans la sensualité qu’elles exaltent.
Les pétales de rose, quand la rose a péri,
Sont ramassés pour le lit de l’être chéri ;
Et donc cette impression de toi, quand tu t’en seras allée,
Sur laquelle l’amour même est voué à reposer.
Music, When Soft Voices Die
Music, when soft voices die,
Vibrates in the memory;
Odours, when sweet violets sicken,
Live within the sense they quicken.
Rose leaves, when the rose is dead,
Are heap’d for the belovèd’s bed;
And so thy thoughts, when thou art gone,
Love itself shall slumber on.

Contexte
En 1824, poème est publié sous le titre « To—« , titre commun à d’autres poèmes de Percy Shelley, ce qui le rend ambigu et explique que le poème soit désormais désigné par son premier vers, devenu célèbre.
Il appartient alors à la section « Miscellaneous Poems » (soit, « poèmes divers ») des Posthumous Poems of Percy Bysshe Shelley, telles que Mary W. Shelley les a rassemblés à partir des manuscrits de Percy. Selon elle : « Bien des poèmes divers, écrits sous l’impulsion du moment, et jamais retouchés, je les trouvai parmi ses livres manuscrits, et recopiai avec soin : j’y ai adjoint, chaque fois que je le pouvais, la date de leur composition. »
Dans ses notes qui accompagnent le recueil, Mary W. Shelley revient sur le contexte de d’écriture. La famille Shelley est alors en Italie, en compagnie de Byron, le fameux Lord, et connaît quelques jours heureux : « L’année 1821 se passa à Pise, ou aux Bains de San Giuliano. Nous n’étions pas seuls, comme cela avait été notre habitude ; des amis s’étaient rassemblés autour de nous. » [Note on poems of 1821, by Mrs. Shelley, dans Notes to the Complete Poetical Works of Percy Bysshe Shelley, 1839]
Parmi ces amis, on peut mentionner en particulier la présence de Leigh Hunt, rédacteur en chef du journal The Examiner qui intéresse Byron. Il assiste en 1822 aux funérailles de Shelley sur la plage de Viareggio, en Toscane, et reste proche de Mary Shelley. C’est bien Leigh Hunt qui publie en 1824 les Posthumous Poems of Percy Bysshe Shelley sous le nom Henry L. Hunt.
1821 en tout cas semble avoir été une année particulièrement productive pour Percy Shelley : il écrit notamment de longs poèmes tels que « Hellas », « Epipsychidion », « Adonais »… qui sont publiés de son vivant. « Epipsychidion » convoque d’ailleurs la figure d’Emilia V., en fait Teresa Viviani, fille du gouverneur de Pise, qui fascine un temps le poète. On ignore cependant si un élément biographique précis peut avoir contribué à inspirer « Music, when soft voices die » et ces considérations restent donc secondaires.

Pistes d’analyse
« To–« , ou « Music, When Soft Voices Die », est un poème lyrique qui aborde le thème de la mort, et de la pérennité conséquente du souvenir, notamment grâce à la création, aux œuvres ainsi obtenues, le ton s’avérant dans l’ensemble doux-amer.
D’un point de vue formel, Shelley privilégie l’emploi du tétramètre trochaïque (vers de quatre pieds qui reposent sur l’alternance d’une syllabe longue avec une syllabe brève), donnant un effet de régularité et même de rapidité.
Le schéma de rimes est le suivant : AABB CCDD. Les vers impairs (1, 3, 5, 7) évoquent en particulier la mort, la finitude (ils s’achèvent par “die,” “sicken,” “dead,” et “gone”), tandis que, dans une logique d’équilibre, les vers pairs (2, 4, 6, 8) renvoient à ce qui perdure (« memory », « live within »…). On peut d’ailleurs constater que si les strophes s’ouvrent par une évocation de la mort, elles se concluent chaque fois sur une image positive.
Les deux premiers vers sont catalectiques, c’est-à-dire qu’ils comptent une syllabe de moins que ce qui serait attendu : ils manquent une syllabe brève après « die » vers 1 et « memory » vers 2 pour compléter le trochée. Ces absences peuvent être interprétées comme évoquant celles, thématiques, du poème : la musique qui disparaît, puis les fleurs. Cette idée peut encore être renforcée par le fait que « die » et « memory » constituent une rime imparfaite (slant rhyme, en anglais).
Dans la première strophe, la mort est d’abord associée à la musique (v.1-2), donc l’art, qui se poursuit quand bien même la voix (du chanteur, de l’artiste) se tait : l’œuvre, ou du moins quelque chose de l’œuvre, survit à l’homme dans les mémoires. Le mot « Music » est en particulier isolé par une virgule, qui donne un effet de césure, soit une pause dans le vers qui valorise ce premier mot, le thème de la musique étant ensuite poursuivi par les « voices », les voix. Cette image sonore trouve son équivalent dans les vers suivants (3 et 4), avec l’odeur des fleurs qui perdure après que celles-ci ont fané. La synesthésie valorise ainsi l’effet (la musique, l’odeur) tout en constatant le caractère éphémère de la cause (la voix, les fleurs). Les roses évoquant par ailleurs un motif pictural, celui-ci justement d’une nature morte, qui complète le motif musical. L’art en général devient ainsi sujet du poème, mais un art fragile puisque la mémoire, bien sûr, est oublieuse, et qu’une odeur ne persiste qu’un moment : ces thèmes de la mémoire et de la fragilité étaient déjà au cœur d' »Ozymandias« , sonnet majeur de Shelley.

La première strophe paraît donc ambiguë : « soft voices », les voix se meurent dès le premier vers, mais elles sont caractérisées par la douceur qui se présente comme une consolation face à la finitude, celle-ci irrémédiable puisque Shelley utilise « when », quand, qui n’apporte tout de même pas de précision temporel : la fin reste imprévisible. Mais elle suscite, de façon plus optimiste, des résonances (« vibrates » v. 2) elle-même associées à l’idée du temps qui passe par le biais de la mémoire, du souvenir (« memory ») qui, encore une fois, n’est pas destinée à durer éternellement. On peut ajouter que l’idée d’une mort des voix est en soi métaphorique, ou du moins métonymique : soit désignant une part de l’homme particulièrement éphémère dans la mesure où la voix n’existe que le temps de la parole (ici à une époque où aucun enregistrement n’est possible), soit désignant de façon indirecte l’homme lui-même qui, de toute façon, est mortel.
Les vers 3 et 4 poursuivent ce motif, « sweet » venant en écho à « soft », précède également une image de l’éphémère. Les violettes annoncent par ailleurs les roses de la seconde strophe, les roses étant communément à la passion, tandis que les violettes renverraient à une forme de tristesse, et ont pu symboliser le deuil (Shelley avait écrit sur ce sujet un poème intitulé “On a Faded Violet”). Ces fleurs du moins ne sont pas encore mortes, le verbe « sicken » vers 3 donnant l’image ici de la maladie, du lent dépérissement (on peut songer à la tuberculose de Keats, mort en 1821, année d’écriture du poème, et Shelley écrit la même année « Adonais » pour rendre hommage à Keats), à opposer au verbe « quicken » vers 4, qui signifie aussi bien stimuler qu’accélérer.
La seconde strophe met davantage en avant l’humain, représenté par « belovèd », bien-aimé(e) logiquement annoncée par l’image des roses, symbole donc de la passion, mais aussi de la beauté, dont la couleur plus ou moins rouge fait le lien avec le sang et la vitalité. Or la rose est morte, mettant fin à l’agonie qui caractérisaient la première strophe (« die » pour le processus en cours, « sicken » pour la maladie). Quelque chose de fragile néanmoins demeure, les pétales de la rose, qui seront comparées vers 7 aux pensées, variation de la mémoire. De même que la voix n’était qu’une part de l’être, les pétales ne sont qu’un fragment de la rose perdue, dont elles témoignent. « belovèd », avec un accent pour indiquer la prononciation marquée qui rend le mot trisyllabique, apporte le thème de l’amour qui n’était pas explicite dans la première strophe. L’image du lit, « belovèd’s bed » est cependant ambiguë : il peut s’agir du lit de mort, où le cadavre est étendu pour être contemplé, ultime image de la beauté, mais aussi bien du lit d’amour, ici lit de pétales de rose, qui convoque cette fois un imaginaire de la sensualité, donc de la vie.

« And so » vers 7 permet de construire la comparaison avec les vers précédents, liant une abstraction (les pensées) à du concret (les pétales de rose). On peut relever que « thy », vers 7, est une tournure archaïque pour « your », qui suggère ici le tutoiement, donc l’intimité, mais confère une dimension intemporelle au poème, comme si passé, présent et futur (« shall » vers. 8) se superposaient. Mais dans le contexte, « thy thoughts » signifierait « my thoughts of thee », « mes pensées à ton sujet », pour évoquer donc l’impact d’une personne (défunte, perdue) sur la mémoire de ceux qui restent pour se souvenir.
« gone » est également ambigu, pouvant signifier la mort par euphémisme, ou le départ, le mot n’ayant pas la connotation négative de « die », « sicken » ou « dead » : en approchant de la fin, le poème paraît plus positif, tend à la célébration de la personne perdue. Le mot « Love » renforce la tonalité sentimentale, mais « slumber » poursuit l’ambiguïté, le mot pouvant signifier « reposer », dans son lit ou dans la tombe. Cependant, « slumber on », avec la préposition, suggère un sommeil continu, durable, renforcé par le « shall » qui exprime le futur : prédiction ou promesse, engagement verbal qui évoque le discours d’un amoureux. Ce repos nécessite par ailleurs un soutien (Keats dans « Bright Star » évoque aussi un sommeil amoureux, et cette fois la poitrine de l’aimée sert d’oreiller) : « slumber on » a donc pour complément « thy thoughts » du vers précédent, ce qui crée un effet de surprise et oblige le lecteur à reconstruire l’enchaînement logique de la phrase. Les pensées, comme les roses, sont des soutiens : les deux paires de vers (5-6 et 7-8) sont donc mises en parallèle, et aboutissent à une image de l’amour qui surmonte ou recouvre tout, musique et odeurs, fleurs, symboles, pensées. La mémoire paraît ainsi amoureuse du bon souvenir, c’est-à-dire que le poète nous renvoie à cette tendance de l’esprit et des émotions à embellir, sinon à sacraliser, ce qui nous ayant été cher, est désormais perdu.

Explication complémentaire
Pour compléter ce bref commentaire de « Music, When Soft Voices Die », on peut également lire ce qu’en pense le physicien et poète Desmond King-Hele, passionné de Shelley à qui il a consacré deux ouvrages. Il aurait ainsi écrit (d’après cet article non sourcé), de façon synthétique : « Comment des vers d’apparence si innocente sont-ils devenus si célèbres ? La première Strophe est finement balancée : « ‘ »When sweet violets » répond à « when soft voices » tel un écho, et ce qui suit immédiatement les mentions du son et de l’odeur sont précisément parallèles. Il y a aussi un jeu discret sur les consonnes : chacun des quatre vers contient « v » et « n » ; chaque vers, à l’exception du deuxième, contient « ic » (k), « s » (deux fois) et « w » ; alors que « g », « j », « p » et « h » (hormis dans « th ») manquent. Au bout de la première Strophe, nous avons l’impression de connaître le schéma. « soft » et « sweet » nous bercent, au point que nous nous attendons à un adjectif confortable dans des vers qui alternent, et la surprise de ne découvrir aucun adjectif dans la seconde Strophe fait l’effet de s’avachir dans un profond fauteuil et de le trouver dur. Résultat, la seconde Strophe, malgré son émotion évidente, paraît quelque peu astringente. Lorsque nous approchons de la fin, le motif semble de nouveau s’être remis en place, et nous pourrions nous attendre à ce que le dernier vers donne ‘in my mind shall slumber on’. Au lieu de ça, le motif est encore une fois enfreint, par une inversion grammaticale, qui fait de « thoughts » le complément d’objet de « slumber on ». Ce second choc léger, provoqué par la surprise, suffit à nous rendre attentifs jusqu’à la fin, et alors nous nous apercevons que le second couplet a le même motif que le premier ; « l’amour sommeille sur les pensées », de la même façon que « la bien-aimée repose sur les pétales de rose ». Ainsi, bien que le poème ne soit guère profond, sa forme est parfaite et le choix des mots est minutieux ; il n’y a aucune trace des formules ampoulées qui se glissent parfois dans les poèmes plus triviaux de Shelley. « Soft » et « sweet » sont nécessaires pour donner le ton, et le seul autre mot susceptible de paraître une cheville, « itself » dans le dernier vers, fournit une force supplémentaire et nécessaire à l’idée neuve qui vient d’être introduite. »
Sources :
Braun, David. ―Permanence in Memory.‖ Asterism, Ohio State University, 2015, lima.osu.edu/Asterism/?
q=HogCreekReview.
Patrick J. Wilson, « Shelley’s Posthumous Ditty », International Journal on Studies in English Language and Literature (IJSELL) ; volume 7, Issue 6, June 2019, PP 40-43